Discours de réception

Discours prononcée lors de la réception de Quinault à l'Académie Française, 1670. Voir la réponse de l'abbé de la Chambre, à la page Contemporains.

Les notes renvoient aux variantes, à la fin de la page.


MESSIEURS,

    Vous ne devez pas être surpris de l’étonnement qui me saisit en entrant dans une Compagnie si celebre : il est difficile que j’occupe sans quelque trouble la place que vous me faites l’honneur de me donner ; & je crains bien que vous ne remarquiez encore plus de desordre dans mes paroles qu’il ne vous en paroît1 sur mon visage.

C’est l’effet ordinaire2 des faveurs qui touchent sensiblement le cœur de ne pas laisser toute la liberté d’esprit qui seroit necessaire pour les graces que l’on est obligé d’en rendre en de pareilles occasions : une extrême hardiesse n’est pas si propre à bien remercier3 qu’un peu d’embarras ; & j’espere qu vous ne compterész pas4 pour une faute ce qui vous doit être une marque de ma veneration.

   Ne doutez pas, MESSIEURS, que je ne sois instruit parfaitement de l’excellence de vôtre illustre Academie5. Elle fut formée sous les auspices de Louïs le Juste, dont le Regne commença de rendre6 nôtre siecle si fecond en merveilles. Elle fut l’ouvrage de l’admirable Cardinal de Richelieu, qui la voulut établir comme la dépositaire de l’immortalité qu’il avoit si bien meritée. Elle est aujourd’huy sous la protection7 du grand Seguier, qui prend soin de l’appuyer de la même main, dont il soûtient si hautement la majesté des Loix. Elle est composée de ce que la France a de plus achevé pour les belles Lettres, & pour la profonde érudition ; elle a des Heros, en qui Minerve guerriere & sçavante a réüni les dons qu’elle ne distribuë que separément au reste des hommes8 ; elle a choisi ce qu’elle a vû de rare dans les dignitez les plus sublimes, & les plus sacrées ; elle a même étendu son choix jusqu’aux premieres intelligence [sic] de l’Etat.

    Je n’ay pas pris assez de vanité des applaudissemens dont mes Vers ont été quelquefois favorisez, pour me croire digne d’être admis dans une Societé si pleine de gloire. Je scay, MESSIEURS, qu’il s’en faut beaucoup que le vulgaire apperçoive ce que vous pénetrez, & que souvent il y a bien loin de l’estime du peuple à vôtre approbation, aussi n’ay-je souhaité d’obtenir la grace que vous m’accordez, que pour acquerir parmy vous la perfection qui me manque, & les lumieres dont j’ay besoin.

    Il en est du Royaume des Lettres ainsi que des autres Empires, il y doit avoir de la subordination, & l’harmonie ne s’y trouveroit jamais parfaite, si tous les Genies s’y rencontroient également élevez. Contentez-vous donc, s’il vous plaît, MESSIEURS, que je m’attache à vous étudier soigneusement ; Ce n’est pas une étude peu considerable, & tandis que vous sacrifierez aux principales Divinitez du Parnasse, il est bon que vous ayez quelqu’un qui soit reservé pour le culte de cette dixiéme Muse, à qui Numa Pompilius fit élever des Autels dans l’ancienne Rome, & qui preside à la Science de se taire, & à l’art de bien écouter. Je puis tirer de si glorieux avantages de ces emplois9 que l’impatience que j’ay d’en jouïr, m’oblige à précipiter les protestations que je vous dois faire10, de ne perdre de ma vie le souvenir de vos bienfaits, & de ne point avoir de plus forte passion que de vous en témoigner ma reconnoissance.

Recueil des harangues prononcées par MM. de l'Académie françoise dans leurs réceptions et en d'autres occasions différentes, depuis l'establissement de l'Académie jusqu'à présent,

Paris,J.-B. Coignard, 1698, p. 102-103

Version presque identique disponible en ligne : Recueil des harangues prononcées par Messieurs de l’Académie Françoise, Amsterdam, Aux dépens de La Compagnie, 1709, t. I, p. 141-143.

Variantes du manuscrit français 20.862 de la BnF , f. 6r-7r :