La Satire des satires

Cette satire est parfois attribué à Quinault ; voir la page Attributions douteuses ou erronées.


Texte transcrit par Fr. Lachèvre (Bibliographie des recueils poétiques [...], III, 272-276), selon le Recueil des Contes du sieur de La Fontaine, les Satyres de Boileau et autres pièces curieuses, Amsterdam, J. Verhoeven,1668. Selon Lachèvre, ce serait la première publication de cette satire. Sa Bibliographie est disponible sur le site Wikisources.


Mon cher, toy qui m'as veu cent fois en compagnie ;

Toy qui sçais qui je suis, et quel est mon génie ;

Toy qui ne m'as jamais ouy parler d'autruy

Qu'à dessein d'approuver ce que l'on trouve en luy,

A peine pourras-tu lisant cette Satyre,

Croire que ce soit moy qui te la puisse écrire :

Ce Titre est tellement contraire à mon humeur,

Qu'à peine croiras-tu que j'en puisse estre Autheur :

On ne m'a jamais veu d'un esprit incommode ?

Je permets que chacun se gouverne à sa mode ;

Dans ce qu'un autre fait prenant peu d'intérest.

Je laisse volonliers le monde comme il est :

Mon humeur en tous lieux se trouve satisfaite,

J'ay veu de méchans vers, sans blâmer le Poëte ;

J'ay leu patiamment les écrits de Rifflé,

J'ay entendu Molière, et ne I'ay pas sifflé :

J'ay depuis quatre mois toujours fait mon possible

Pour conserver en moy cette humeur si paisible :

Mais enfin, cher Amy, le moyen d'endurer

Ce qu'on fait à présent et n'en pas murmurer :

J'ay cent fois essayé de retenir ma plume.

Et de faire des vers comme j’avois coutume ;

De faire une Elégie, un Sonnet, un Sixain ;

Et la plume cent fois m'est tombée de la main:

Mon inclination me deffendoit d'écrire ;

Mais aujourd'huy Boileau m'inspire une Satyre ;

Luy qu'à peine on connoît dans le sacré Vallon,

Veut trancher du Phœbus, et faire l'Apollon :

Je ne puis endurer qu'il critique les autres;

On a souffert ses vers, on souffrira les nôtres ;

Peut-estre dira-t'il que je critique mal ;

Mais je n'ay pas aussi copié Juvénal ;

Je n'ay pas comme luy pour faire une Satyre

Volé dans les Auteurs ce que j'avois à dire ;

Et pour reprendre enfin les vices d' aujourd'huy,

Horace et Martial m'ont moins presté qu'à luy :

Je n'ay pas avec eux un si lâche commerce ;

Je n'ay jamais traduit les Satyres de Perse ;

Et si je voulois faire un compliment au Roy,

Je luy dirais au moins quelque chose de moy,

J'inventerois enfin, et ne voudrais pas suivre,

Les divers sentlmens que l'on prend dans un livre :

Je dis ce que je pense, et ne suis point menteur ;

J'apelle Horace Horace, et Boileau Traducteur :

Ce n'est pas à mon sens le fait d'un galant homme,

D'apliquer à Paris ce qu'on a leu de Rome ;

De traduire en François ce qu'on voit en Latin,

Et ne faire aucun vers, sans commettre un larcin.

Si Juvénal fut mort sans faire aucun Volume,

Boileau n'auroit jamais mis la main à la plume,

El Boileau ne pourroit satyrizer autry,

S'il ne nous disoit rien que ce qui vient de luy :

Mais que faire à cela ? chacun a sa manie,

Boileau veut critiquer, et c'est là son génie :

Chaque fat a son sens, qui le guide et conduit :

Horace invente bien, et Boileau le traduit :

Un foû le plus souvent rit de son camarade,

Scarron rit de Boileau , Boileau de Benserade,

Et quelque temps devant qu'Herbin fut au congrès,

Il rioit hardiment du mal heureux Langeais :

Le Vasseur se mocquoit d'un autre son confrère,

Et le lâche Pecquet de Fleury Commissaire.

Boileau qui mot à mot copie un livre entier,

Censure impunément Quinault et Pelletier,

Il reprend Chapelain, il rit de son Ouvrage,

Corrige Vaugelas, se mocque de Ménage,

Et comme si l'esprit n'estoit fait que pour luy,

Il veut tout censurer ce qu'on fait aujourd'huy :

Enfin c'est son plaisir, il veut se satisfaire.

Il ne peut bien parler, et ne sçauroit se taire.

Quand sa Muse devroit choquer tout l'Univers,

Il n'épargne personne, et veut faire des vers.

Mais pour l'en empêcher, que pourrions-nous luy dire ?

Il est infatué de son genre d'écrire,

La Satyre luy plaist, et tandis qu'il vivra,

Malgré tous ses amis, Boileau critiquera :

Qu'il critique toûjours, s'il ne sçauroit se taire,

On ne peut empescher un Asne qui veut braire.

Et puisque la Satyre a pour lui tant d'apas.

Qu'il critique toûjours, je n'y résiste pas.