Michaud

   La Biographie universelle de Louis-Gabriel MICHAUD (1773-1858) est un des outils biographiques les plus importants du dix-neuvième siècle. La première édition parut en 52 volumes, à partir de 1811. Une seconde édition, en 45 volumes, verra le jour à partir de 1843.

   L'article sur Quinault, signé Charles-Louis de Sevelinges (1767-1831), parut dans le vol. 36 en 1823, p. 426-426. Historien, journaliste, nouvelliste, Sevelinges contribua aussi les articles sur Haydn, Métastase, Mozart et J.-J. Rousseau. Il contribua des critiques de spectacles lyriques à de nombreuses revues. Son article est un des meilleurs du genre, bien informé pour la plupart (même s'il se trompe sur le nom de l'auteur de la Vie de Quinault dans ses Oeuvres de 1715) et relativement impartial. L'article dans le vol. 34 de la seconde édition, p. 648-651, est légèrement diffférent.


QUINAULT (PHILIPPE) naquit à Paris, le 3 juin 1635. Son extrait de baptême l'atteste : c'est donc à tort que tous les dictionnaires historiques le font naître à Felletin, dans la Marche. Furetière, dans son 2°. et 3°. Factum, prétend que Quinault devait le jour à un boulanger de petits pains. L'abbé d'Olivet, dans son Histoire de l'académie française, affirme que cette assertion est celle d'un imposteur, et qu'elle lui fut dictée par la médisance et la colère. « Quand cela serait, ajoute l'abbé, Quinault n'en mérite que plus d'estime, pour avoir si bien reparé le tort de sa naissance. » Tout le monde adoptera cette opinion ; mais il n’en est pas moins hors de doute que le poète, qui va faire l'objet de cet article, était « fils de Thomas Quinault, maitre boulanger, et de Perrine Riquier, sa femme, demeurants rue de Grenelle. » C'est ce qui résulte des registres de la paroisse Saint-Eustache, où il fut baptisé. Après avoir fait quelques études, le jeune Quinault manifesta un penchant inné pour la poésie ; penchant que redoubla une connaissance qu’il fit alors. Ce fut celle de Tristan l’Hermite, qui, malgré son esprit bizarre et son mauvais goût, jouissait d’une certaine réputation. On a prétendu, mais sans aucune apparence de vérité, que le jeune poète avait été son domestique. Ce qu’il y a de certain, c'est que Tristan s'était épris pour lui d'une amitié si vive, qu'il lui avait fait accepter un logement et sa table ; et qu’enfin il lui laissa, par son testament, un legs assez considérable, à l'aide duquel le jeune poète acheta une place de valet-de-chambre du roi. Ce fut, sous les auspices de ce généreux ami, que Quinault fit ses premiers pas dans la carrière dramatique. Il avait composé une pièce intitulée les Rivales : il engagea Tristan à la présenter aux comédiens, comme un de ses propres ouvrages. La supercherie fut découverte ; et les comédiens, qui avaient promis cent écus, ne voulurent plus en donner que la moitié. Le résultat d'une nouvelle négociation fut que le poète serait payé, chaque fois, au prorata de la recette ; et telle est, dit-on, l'origine de ce que l'on nomme aujourd'hui la part d'auteur. Encouragé par un premier succès, d’autant plus flatteur, qu'il n'avait encore que dix-huit ans (1653), Quinault ne laissa plus passer une année sans donner une et quelquefois même deux pièces de théâtre. Elles s'élevaient au nombre de seize, en 1666 ; et il n’était encore que dans sa trente-unième année. Parmi ces productions, dont les unes portent le titre de comédie, d’autres celui de tragédie, d’autres enfin celui de tragédie-comédie, on en compte deux seulement dont on ait conservé le souvenir : l’une est La mère coquette, l’autre est l’Astrate, si courue dans le temps, et si malheureusement immortalisée par Boileau. La première s’est long-temps soutenue au théâtre : « Elle fait voir, dit Laharpe, que Quinault avait plus d'un talent : elle est bien conduite ; les caractères et la versification sont d'une touche naturelle, mais un peu faible. Il y a des détails agréables et ingénieux, de bonnes plaisanteries. » Quoique Voltaire ait dit qu’il y a de très-belles scènes dans l’Astrate, il serait assez difficile de défendre cette tragédie contre le satirique. C’est ici le lieu d'examiner quel a pu être le fondement, ou, du moins, le pretexte, du mépris injurieux que Despréaux affectait pour Quinault, et des railleries cruelles dont il l'accabla pendant un certain temps. Qui ne connaît ce trait de la Satire II :

Si je pense exprimer un auteur sans défaut,

La raison dit Virgile, et la rime Quinault,

et cet autre de la Satire III :

Les héros chez Quinault parlent bien autrement,

Et jusqu’à je vous hais, tout s’y dit tendrement !

On pourrait ici laisser Boileau s’excuser lui-même. Dans la préface de la dernière édition de ses œuvres, en 1713, il répète, avec un soin particulier, ce qu’il avait dit, dans une autre préface, trente ans auparavant : « Dans le temps où j’écrivis contre M. Quinault, nous étions tous deux fort jeunes ; et il n’avait pas fait alors beaucoup d’ouvrages qui lui ont, dans la suite, acquis une juste réputation. » On trouve une garantie plus certaine encore des sentiments de Boileau, dans une lettre confidentielle qu’il écrivait à Racine, le 19 août 1687 : « Dites bien à M. Quinault que je lui suis infiniment obligé de son souvenir. Vous pouvez l'assurer que je le compte présentement au rang de mes meilleurs amis, et de ceux dont j'estime le plus le cœur et l’esprit. » On voit maintenant à quel point Voltaire était fondé à flétrir l’immortel satirique du nom odieux de Zoïle de Quinault ! En supposant même qu’il faille prendre à la lettre toutes les boutades qu'un poète, dans sa mauvaise humeur, peut se permettre contre un autre, qu'avait produit Quinault à l’époque où Boileau l’attaqua dans ses Satires ? les pièces de théâtre que nous avons mentionnées ci-dessus, et dont aucune assurément ne faisait présager la hauteur à laquelle, vingt ans plus tard, il s’éleva dans ses chefs-d’œuvre lyriques. Mais tel est l'empire de la routine et des préjugés populaires, que l’on entend, chaque jour encore, des gens lettrés ou du moins qui devraient l’être, appliquer aux tragédies lyriques de Quinault, ce vers composé si long-temps avant leur existence :

Et jusqu'à je vous hais, tout l'y dit tendrement.

Brossette nous apprend pourtant quelle était l’application de ce trait. Il était dirigé contre une tragédie-comédie de Stratonice, où Quinault, âgé de vingt-un ans, avait fait dire a sa princesse, secrètement éprise d’Antiochus :

Adieu : croyez toujours que ma haine est extrême,

Prince ; et si je vous hais, haïssez-moi de même.

Le silence que le législateur du Parnasse a gardé, dans son Art poétique, à l’égard de Quinault et du genre où il a excellé, paraît décisif à certaines gens. Mais Boileau, dans ce poème, où il n’a oublié ni le sonnet, ni la ballade, a-t-il donné plus de place à la fable et à La Fontaine ? De tous les arguments employés contre Quinault, celui qui se reproduit le plus souvent est fondé sur ces vers, tant de fois répétés :

. . . Ces discours sur l'amour seul roulants,

Ces doucereux Renauds, ces insensés Rolands,

Et tous ces lieux communs de morale lubrique,

Que Lulli réchauffa des sons de sa musique.

Ce trait de la Satire sur les Femmes, qui ne fut composée que cinq ans après la mort de Quinault, n’en a paru que plus concluant contre ce poète. D'autres personnes en ont fait un crime à Despréaux : ils l’ont trouvé impardonnable d’attaquer, jusque dans sa tombe, un homme avec lequel, depuis long-temps, il s’était réconcilié. Les noms de Renaud et de Roland désignent en effet deux des plus célèbres ouvrages de Quinault ; et il est d’autant moins permis de s’y méprendre, que, quelques lignes plus bas, il nomme Angélique et Armide ; mais l’équité veut qu’on s'attache à l’intention du poète : ce n’est point à Quinault personnellement qu’il déclare ici la guerre ; c’est à la morale licencieuse d’un spectacle enchanteur. Peut-on s'étonner de cette sévérité de la part de Boileau, dont l’âge était avancé, l’esprit morose et la piété rigide ? Au reste, comme le dit Laharpe, si le satirique est insensible aux charmes du style de Quinault, il faut lui pardonner d’avoir été injuste : il était assez puni ; et ne s’en punit-il pas lui-même, lorsqu'il fit, pour un opéra ébauché par Racine (la Chute de Phaéton), ce malheureux Prologue, indigne du dernier des rimeurs qu’il avait livrés à la risée publique. Nous avons donné une certaine étendue à cette discussion : elle nous a paru nécessaire pour détruire des préventions trop généralement répandues ; en un mot, pour ôter à l’ignorance tout prétexte d'attaquer l’un par l’autre deux hommes qui s’estimaient réciproquement, et qui firent tous deux honneur au grand siècle. La prodigieuse fécondité dont Quinault avait donné des preuves dans la première partie de sa carrière dramatique, ne l’empêcha point de dérober aux Muses un temps qu’il employa fort utilement pour ses intérêts. Il avait recherché avec ardeur la main d’une fort jolie personne, nommée Louise Goujon, qui ressentait pour lui une inclination non moins vive. Mais les parents de la demoiselle la forcèrent d’épouser un riche négociant appelé Bouvet. La mort de cet homme la laissant veuve, à l’âge de vingt-un ans, Quinault la détermina sans peine à s'unir à lui (1660) : elle lui apporta une fortune considérable pour l'époque (quarante mille écus, selon l’estimation la plus modeste). Quinault composa, sur ses amours et son mariage, une Nouvelle qu’il intitula : l’Amour sans faiblesse, titre usurpé [note à la fin], si l'on en croit certains Mémoires du temps, qui représentent [sic] les jeunes mariés comme brûlant l’un et l'autre d’une passion si violente, qu’ils n’eurent pas la force d’attendre la retraite de leurs nombreux convives pour se livrer aux douceurs du tête-à-tête. Quinault, dans son acte de mariage, prit le titre d'avocat en parlement ; et, dans l’acte de naissance de sa fille, qui eut lieu l'année d'après, il se qualifie d’écuyer, valet de chambre du roi. Il avait promis à sa femme de ne plus travailler pour le théâtre : mais, ayant été reçu membre de l’académie française, en 1670, il crut, contre l’opinion consacrée par trop d’exemples, qu’il fallait honorer le fauteuil par de nouvelles productions. Il accueillit donc avec empressement la proposition que lui fit Molière de se charger de la partie chantante de sa Psyché, qui fut donné à la cour en janvier 1671. Bientôt après, Quinault acheta une charge d’auditeur en la chambre des comptes. Cette compagnie ayant fait quelque difficulté à l’admettre, il parut une Epigramme qui finit par trait :

Puisqu’il a fait tant d’auditeurs,

Pourquoi l’empêchez-vous de l’être ?

Il faut observer que l'éloge contenu dans cette Épigramme ne se rapportait encore qu'aux premières pièces de Quinault, dont il a été question au commencement de cet article. Ce ne fut que l’année suivante que, cédant aux instances de Lulli, qui venait d'obtenir le privilége de l'académie royale de musique, il arrangea son premier opéra des Fêtes de l'Amour et de Bacchus. Digne appréciateur de son rare talent pour la poésie lyrique, le compositeur florentin s'attacha à ses pas avec une telle opiniâtreté, que La Fontaine, dans une querelle violente qu’il eut avec Lulli, crut ne pouvoir mieux exprimer l'obsession dont il avait eu à se plaindre de sa part, qu'en disant : « Cet homme a voulu m'enquinauder. » Une fois lancé dans cette nouvelle carrière, Quinault, pendant l'espace de quatorze ans, n'en laissa point passer un seul sans livrer à Lulli un de ces poèmes qui ont immortalisé son nom. Le compositeur les lui payait quatre mille francs, selon les conditions passées entre eux. Louis XIV, toujours appréciateur des talents, et particulièrement sensible aux beautés des premiers Opéras de Quinault, s'était plu à lui indiquer des sujets, tels que celui d’Amadis de Gaule : il le décora du cordon de Saint-Michel, en y joignant le brevet d'une pension de deux mille livres. L'académie des inscriptions et belles-lettres s'empressa d'admettre Quinault au nombre de ses membres (1674). Son talent poétique semblait s'accroître avec sa fécondité, lorsqu'après avoir donné son chef-d’œuvre Armide il cessa tout-à-coup de produire. Profondément religieux, comme tous les hommes distingués du grand siècle, et frappé de la mort de Lulli, il ressentit des scrupules de travailler pour le théâtre ; scrupules qu’il exprima dans ces vers, qui devaient faire le début d'un poème intitulé l’Hérésie détruite :

Je n'ai que trop chanté les jeux et les amours.

Je vous dis adieu, Muse tendre,

Je vous dis adieu pour toujours !

Quinault mourut à Paris, le 26 novembre 1688, n'ayant encore que cinquante-trois ans. Il fut inhumé dans l'église de Saint-Louis en l'île. Sa succession s'élevait à trois cent mille francs. Cette fortune, considérable pour le temps, ne l'avait pas empêché de se plaindre de son sort, si toutefois il faut prendre à la lettre les vers suivants :

C'est, avec peu de bien, un terrible devoir

De se sentir pressé d’être cinq fois beau-père.

Quoi ! cinq actes devant notaire !

Pour cinq filles qu'il faut pourvoir!

O ciel! eut-on jamais avoir

Opéra plus fâcheux à faire !

Tout ce que Quinault a écrit dans le genre lyrique devant exciter vivement la curiosité des amis des lettres, nous allons donner la liste la plus complète qui ait encore paru de ceux de ses ouvrages qui ont été représentés sur le théâtre de l’Académie-Royale de musique ; nous suivons l’ordre des dates: les Fêtes de l’Amour et de Bacchus ; Cadmus ; Alceste; Thésée, le Carnaval ; Atys ; Isis; Proserpine ; le Triomphe de l’Amour ; Persée ; Phaéton ; Amadis de Gaule ; Roland ; la Grotte ou l’Eglogue de Versailles ; le Triomphe de la paix ; Armide. Indépendamment de la partie chantante de la Psyché de Molière et de Corneille, dont nous avons déjà fait mention, Quinault avait aussi composé, pour la paix des Pyrénées et le mariage de Louis XIV, une pastorale où tout est allégorique, jusqu’au titre : Lysis et Hespérie. Cette pièce n’a point été imprimée ; et beaucoup d’autres écrits de l’auteur ne l’eussent point été, si l’on eût respecté les dispositions testamentaires par lesquelles il défendait la publication de tous les ouvrages que l’on pourrait trouver après sa mort. La prodigieuse facilité dont était doué ce poète ingénieux, s’exerça dans tous les genres connus, mais non pas, assurément, avec le même succès. Une seule de ces productions mélangées mérite quelque attention : c’est la description de Sceaux, poème en deux chants, offert en manuscrit à Colbert, et qui n’a été imprimé que dans ces dernières années. La plus grande gloire, ou, pour mieux dire, toute la gloire de Quinault réside maintenant dans ses tragédies lyriques. Nous ne croyons pas, néanmoins, pouvoir lui décerner le titre de créateur de ce genre, qu’on lui donne assez communément. Longtemps avant l’apparition du premier opéra de Quinault, Corneille avait donné son Andromède, et sa Toison d’Or, pièces fort inférieures, assurément, aux chefs-d’œuvre de l’auteur d’Armide, mais qui ont suffi pour faire dire à Voltaire : « Le génie de Corneille se pliait à tous les genres. Il fut le premier qui fit des comédies, le premier qui fit des tragédies, et le premier qui ait donné des pièces à machines. » Le prodigieux mérite de Quinault, en ce genre, loin d’avoir été exagéré, n’est pas assez généralement senti. D'autres poètes, sans doute, ont possédé les grâces et l’élégance du style ; mais nul d'entre eux n’a été doué de cette mélodie enchanteresse qui permettrait de dire que les vers de Quinault étaient déjà de la musique, avant d’être livrés au musicien. Racine seul a mérité le même éloge dans quelques strophes de ses chœurs d’Esther et d’Athalie. Celui qui a dit que Quinault avait désossé la langue française, a cru lui décerner la louange la plus délicate, et il lui a fait injure. Ce poète, en effet, si moelleux et si suave dans la peinture des scènes tendres et voluptueuses, devient quelquefois énergique et même sublime dans l’expression des grandes pensées, et des passions violentes. Nous croyons faire plaisir aux amis des lettres en rassemblant ici les opinions des juges les plus accrédités. Nous commencerons par Voltaire. On a prétendu que dans les éloges qu’il prodiguait au poète lyrique, il était bien moins dirigé par une admiration sincère, que par le desir de se mettre en opposition avec Boileau. Nous avons déjà fait voir ce qu'il fallait penser du mot connu : Zoïle de Quinault. Voltaire n'écoutait certainement que son goût personnel, lorsqu'il s'exprimait dans les termes suivants : « Quinault insérait des morceaux admirables dans les opéras que Lulli lui commandait. Ce musicien était très adroit et bon courtisan; et Quinault n'était que doux et modeste. Lulli fit accroire que celui-ci était son garçon poète, qui, sans lui, ne serait connu que par les satires de Boileau. Quoi, cependant, de plus beau et même de plus sublime que ce chœur des suivants de Pluton dans Alceste :

Tout mortel doit ici paraître, etc.

La charmante tragédie d'Atys, les beautés ou nobles ou délicates, ou naïves, répandues dans les pièces suivantes, auraient dû mettre le comble à la gloire de Quinault, et ne firent qu'augmenter celle de Lulli.... Y a-t-il beaucoup d'odes de Pindare plus fières et plus harmonieuses que ce couplet de l'opéra de Proserpine :

Ces superbes géants armés contre les dieux, etc.

Le quatrième acte de Roland, et toute la tragédie d'Armide sont des chefs-d'œuvre. Le sévère auteur de l'Art poétique, si supérieur dans son seul genre, devait être plus juste envers un homme supérieur aussi dans le sien. » Un critique, souvent aussi sévère que l'auteur de l'Art poétique, a consigné dans plusieurs endroits de son Cours de littérature, ses opinions sur Quinault. Nous les reproduisons ici: « Rien n'approche, dit Laharpe, même de loin, dans le genre de l'opéra, de l'heureux génie qui l'a créé, et qui, seul, jusqu'ici, y a excellé. Quinault y reste toujours hors de comparaison, comme Molière, comme La Fontaine, comme Boileau, chacun dans le sien. — Seul, et cela suffirait pour son éloge, Quinault a séparé sa gloire de celle de son musicien, au point de gagner dans la postérité autant que Lulli y a perdu. Aussi, a-t-on cru (Laharpe lui-même ) devoir retourner ainsi Boileau :

Aux dépens du poète on n'entend plus vanter

Ces accords languissants, cette faible harmonie,

Que réchauffa Quinault du feu de son génie.

Son expression est aussi pure et aussi juste que sa pensée est claire et ingénieuse. Ses vers coulants, ses phrases arrondies, offrent un mélange continuel d'esprit et de sentiment, sans que l'on y sente jamais la recherche ou le travail. Comme Virgile nous fait reconnaître Vénus à l'odeur d'ambroisie qui s'exhale de sa chevelure ; de même, quand nous venons de lire Quinault, il nous semble que l'Amour et les Grâces viennent de passer près de nous. » Laharpe cite ici ces vers fameux de l'opéra d'Isis :

Depuis qu'une nymphe inconstante, etc.

Et il ajoute un mot auquel nous avons fait allusion plus haut : « En vérité, si Despréaux était insensible à la douceur charmante de semblables morceaux, il faut lui pardonner d'avoir été injuste : il était assez puni. » Enfin, le Quintilien moderne n'oublie pas plus que Voltaire, de faire observer que, lorsque la situation l'exige, Quinault sait s'élever au sublime. Le monologue de Méduse :

J'ai perdu la beauté qui me rendait si vaine, etc.

lui arrache cet éloge : « Ce morceau est comparable, pour l'énergie, la noblesse, le nombre, la marche poétique, aux endroits les mieux écrits des cantates de Rousseau. » La pureté soutenue du langage ne frappe pas moins vivement Laharpe ; et, sous ce rapport, il déclare Quinault classique. « Il semble que ce poète, dit Palissot, était né pour donner à un grand roi des fêtes nobles et majestueuses. Personne, en effet, n'a su lier avec plus d'art des divertissements agréables et variés à des sujets intéressants ; personne n'a porté plus loin cette molle délicatesse, cette douce mélodie de style qui semble appeler le chant. » Les étrangers qui ont fait une étude profonde de notre littérature, sont tellement enchantés par la lecture de Quinault, qu'ils nous reprochent de ne pas savoir lui rendre justice. « Pour être presqu'oublié de nos jours, dit un critique allemand justement célèbre (A-W. Schlegel ), ce poète lyrique n'en mérite pas moins les palmes les plus brillantes. Ses opéras sont remarquables par leur marche légère et animée, et par l'imagination fantastique qui y brille. La tragédie lyrique ne peut pas renoncer à l'attrait du merveilleux sans tomber dans une monotonie assoupissante. C'est en cela que je trouve la route qu'a tracée Quinault fort préférable à celle que Métastase a suivie long-temps après. Quinault est resté sans successeurs : et combien les opéras français d'aujourd'hui ne sont-ils pas inférieurs aux siens, soit pour le plan, soit pour l'exécution ? L'on a visé à l'héroïque et au tragique, dans un genre qui n'est nullement propre à de tels effets. » Aux suffrages des littérateurs, il ne manque plus que ceux des musiciens ; et voici deux autorités imposantes. Ou sait quel enthousiasme excitaient chez GIuck les vers d'Armide, pendant qu'il composait cet opéra ; mais ce que l'on sait moins, et ce qui est beaucoup plus extraordinaire, c'est qu'un compositeur italien, le célèbre Païsiello, arrivé à Paris avec toutes les préventions de son pays contre la langue française, ne cessait, en mettant Proserpine eu musique, d'admirer la suavité et la musicalité du style ; style, disait-il, qui ne le cède en rien à celui de l'élégant Métastase. Le secret de ce style enchanteur paraît perdu : les littérateurs qui écrivent présentement des poèmes d'opéra, oublient trop que les poèmes doivent être chantés. En offrant au musicien des difficultés insurmontables, ils blessent l'oreille ; et Quinault la charme toujours. Le talent des vers n'était pas le seul qu'il possédât. Il avait le don de la parole ; et plusieurs fois il eut l'honneur de haranguer Louis XIV, au nom de l'académie française. Dans un de ces jours solennels, au moment où il allait parler, il apprit la mort de Turenne. Il improvisa sur-le-champ un morceau qui lui attira les louanges du roi et de toute la cour. Il existe deux Vies de Quinault : l'une, par l'architecte Boffrand, son neveu, en tête de l'édition de 1715 ; l'autre, par Boschron [sic], inédite. Celle-ci mérite peu de confiance, puisque l'auteur n'était pas même instruit du lieu de la naissance de son personnage, qu'il place à Felletin, et non à Paris, comme nous l'avons démontré. Marmontel a retouché plusieurs opéras de Quinault : mais ce littérateur avait l'oreille peu musicale; et on l'a quelquefois accusé d'avoir gâté ce qu'il voulait corriger. Aussi disait-on qu'il avait marmontélisé Quinault. S-v-s.


Note.

Le titre L'Amour sans faiblesse est bien celui d'une nouvelle de l'abbé Villars, parue chez C. Barbin en 1671. Le contenu, cependant, n'a rien à voir avec l'histoire romancée des amours de Quinault, telle qu'on la trouve dans la Vie manuscrite de Boscheron. Chez Villars, les amants sont Anne de Bretagne et le duc d'Orléans, qui doivent faire face à de nombreuses intrigues politiques.