Palissot

QUINAULT (PHILIPPE), de l'Académie Française, né à Paris en 1635, mort en 1688. Quoiqu'on se plaise aujourd'hui à venger la mémoire de ce poète des satires de Despréaux, ceux qui le réduisent au seul mémoire de ses opéras ne lui rendent pas encore une justice entière. Ses tragédies sont, à la vérité, faibles et romanesques ; mais il faut observer qu'elles avaient toutes précédé l’Andromaque de Racine, que le style en est naturel, assez pur pour le temps, et qu'enfin nous avons vu de nos jours reparaître l’Astrate, non sans quelque succès. Boileau, que l'habitude des grands modèles et la sévérité de son goût avait élevé à des idées de perfection bien supérieures, eut raison cependant d'être rigoureux envers ses productions molles et négligées, dont la réussite eût perdu le théâtre.

La comédie de la Mère Coquette est encore une de nos plus agréables comédies d'intrigue : elle eût suffi seule pour assurer à Quinault une réputation distinguée, surtout si l'on réfléchit combien alors les bons modèles étaient rares.

Ces observations ne peuvent qu'ajouter à la gloire de cet auteur, qui d'ailleurs est suffisamment établie par ses belles tragédies lyriques. Il semble que ce poète était né pour donner à un grand roi des fêtes nobles et majestueuses. Personne, en effet, n'a su lier, avec plus d'art que ce poète , des divertissements agréables et variés à des sujets intéressans ; personne n'a porté plus loin cette molle délicatesse, cette douce mélodie de style, qui semble appeler le chant ; personne enfin n'a si bien connu la quantité précise du sentiment qui convenait à ce genre, dont il a été le créateur et le modèle.

Mais que les détracteurs de Boileau ne se hâtent pas de triompher. On ne doit pas dissimuler qu'il y a dans le genre de l'opéra un vice radical, qui a suffi pour indisposer contre lui les meilleurs esprits, tels que Boileau, Racine, La Fontaine, La Bruyère, etc. Tous ces grands hommes, qui avaient bien acquis le droit d'être difficiles, ne pouvaient tolérer que l'on mît au rang des chef-d'œuvres, des poèmes ordinairement dépourvus de vraisemblance, libres des trois unités, et dans lesquels presque toutes les règles de l'art sont nécessairement violées. Ce spectacle, si pompeux, si varié, ne présentait souvent à leurs yeux qu'un magnifique ennui. Et, sans être taxé de trop de rigueur, on peut dire, de l'aveu du goût, que le meilleur des opéras ne sera jamais un excellent ouvrage. Nous croyons cependant que ce spectacle, où, comme l'a dit Voltaire ,

. . . Les beaux vers, la danse, la musique,

L'art de tromper les yeux par les couleurs,

L'art plus touchant de séduire les cœurs,

De cent plaisirs font un plaisir unique,

est très convenable pour de grandes fêtes, et qu'il est même susceptible de beautés particulières, dont aucun écrivain n'a mieux senti que Quinault toutes les espèces différentes. Mais, nous le répétons, il ne faut pas s'étonner que Boileau, si exact, si sévère dans ses productions, et qu'une étude continuelle des anciens avait accoutumé à leur caractère de beautés mâles et nerveuses, ne put se familiariser avec une poésie étrangère au style figuré, et presque toujours dénuée d'images. D'après cette manière de penser, que lui donnait le sentiment de sa propre force, il avait de la peine à regarder Quinault comme un grand poète, et en cela il était conséquent. En effet, on ne peut guère désavouer que, lorsqu'on vient de lire les vers excellents de Boileau et ceux de l'inimitable Racine, on ne soit tenté de juger Quinault avec rigueur. Ce dernier pourtant a su très-souvent exprimer avec grâce des sentiments naturels et délicats. Assurément c'est posséder une partie du secret des poètes : mais c'est être encore fort loin de Racine ; et il n'est pas de lecteur qui ne souffre à descendre de Phèdre à Armide.

Nous ne nous sommes permis ces observations que pour faire sentir à quelques écrivains de nos jours, qu'une décision un peu sévère de Despréaux ne suffit pas pour affaiblir la vénération qui lui est due comme au législateur du goût.

Œuvres complètes de M. Palissot, nouvelle édition, t. 5, Mémoires sur la littérature, Paris, Collin, 1809, p. 225-228

Un extrait de ce texte est cité par Sévelinge dans la Biographie universelle de Michaud.