Alceste (transcription moderne)

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ALCESTE

ou

LE TRIOMPHE D’ALCIDE.

TRAGÉDIE.

REPRÉSENTÉE PAR L’ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.

On la vend A PARIS, A l’entrée de la Porte de l’Académie Royale de Musique, au Palais Royal.

Imprimée aux dépens de ladite Académie.

Par RENÉ BAUDRY, Imprimeur

M. DC. LXXIV.

AVEC PRIVILEGE DE SA MAJESTÉ.

L’ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.

AU ROY

Glorieux Conquérant, Protecteur des beaux Arts,

Grand Roi, tournez sur moi Vos Augustes Regards.

Une affreuse saison désole assez la Terre

Sans y mêler encor les horreurs de la guerre ;

Tandis qu’un froid cruel dépouille les buissons,

Et des oiseaux tremblants étouffe les chansons,

Écoutez les concerts que mon soin vous prépare:

Des fidèles Amours je chante la plus rare,

Et des vainqueurs fameux j’ai fait choix entre tous

Du plus Grand que le monde ait connu jusqu’à Vous.

Après avoir couru de victoire en victoire

Prenez un doux relâche au comble de la Gloire;

L’hiver a beau s’armer de glace et de frimas,

Lorsqu’il vous plaît de vaincre il ne vous retient pas,

Et fallût-il forcer mille obstacles ensemble,

La moisson des lauriers se fait quand bon vous semble.

Pour servir de refuge à des peuples ingrats

En vain un puissant fleuve étendait ses deux bras,

Ses flots n’ont opposé qu’une faible barrière

A la rapidité de votre ardeur guerrière.

Le Batave interdit, après le Rhin dompté,

A dans son désespoir cherché sa sûreté;

A voir par quels exploits vous commenciez la guerre,

Il n’a point cru d’asile assez fort sur la Terre,

Et de Votre Valeur le redoutable cours

L’a contraint d’appeler la mer à son secours .

Laissez-le revenir de ses frayeurs mortelles;

Laissez-vous préparer des conquêtes nouvelles,

Et donnez le loisir pour soutenir Vos Coups

D’armer des ennemis qui soient dignes de Vous.

Résistez quelque temps à Votre Impatience,

Prenez part aux douceurs dont vous comblez la France,

Et malgré la chaleur de Vos Nobles Désirs

Endurez le repos et souffrez les plaisirs.

ACTEURS

Du Prologue.

LA NYMPHE DE LA SEINE.

LA GLOIRE.

SUITE DE LA GLOIRE.

LA NYMPHE DES TUILERIES.

TROUPE de Naïades et d’Hamadryades.

LA NYMPHE DE LA MARNE.

TROUPE de Divinités de Fleuves.

LES PLAISIRS.

La scène du Prologue est sur les bords de la Seine, dans les Jardins des Tuileries.

ACTEURS

De la Tragédie.

CHŒUR DES THESSALIENS.

ALCIDE ou HERCULE.

LYCHAS. Confident d’Alcide.

STRATON. Confident de Lycomède.

CÉPHISE. Confidente d’Alceste.

LYCOMÈDE. Frère de Thétis, et Roi de l’Ile de Scyros.

PHÉRÈS. Père d’Admète.

ADMÈTE. Roi de Thessalie.

CLÉANTE. Écuyer d’Admète.

ALCESTE. Princesse d’Yolcos.

Pages et Suivants.

TROUPE de Divinités de la Mer.

TROUPE de Matelots.

THÉTIS. Néréide.

QUATRE AQUILONS.

ÉOLE. Roi des Vents.

QUATRE ZÉPHYRS.

TROUPE de Soldats de Lycomède.

TROUPE de Soldats Thessaliens.

APOLLON.

LES ARTS.

TROUPE de Femmes affligées. TROUPE d’Hommes désolés.

DIANE.

MERCURE.

CHARON.

LES OMBRES.

PLUTON.

PROSPERPINE.

L’OMBRE D’ALCESTE.

SUIVANTS DE PLUTON, chantants, dansants et volants.

ALECTON. L’une des Furies.

CHŒUR des Peuples de la Grèce.

LES NEUF MUSES.

LES JEUX.

TROUPE de Bergers et de Bergères.

TROUPE de Pâtres.

LE RETOUR DES PLAISIRS

PROLOGUE.

Le théâtre représente le palais et les jardins des Tuileries; la Nymphe de la Seine paraît appuyée sur une urne au milieu d’une allée dont les arbres sont séparés par des fontaines.

LA NYMPHE DE LA SEINE

Le Héros que j’attends ne reviendra-t-il pas?

Serai-je toujours languissante

Dans une si cruelle attente?

Le Héros que j’attends ne reviendra-t-il pas?

On n’entend plus d’oiseau qui chante,

On ne voit plus de fleurs qui naissent sous nos pas.

Le Héros que j’attends ne reviendra-t-il pas?

L’herbe naissante

Paraît mourante,

Tout languit avec moi dans ces lieux pleins d’appas.

Le Héros que j’attends ne reviendra-t-il pas?

Serai-je toujours languissante

Dans une si cruelle attente?

Le Héros que j’attends ne reviendra-t-il pas?

Quel bruit de guerre m’épouvante?

Quelle Divinité va descendre ici-bas?

La Gloire paraît au milieu d’un palais brillant qui descend au bruit d’une harmonie guerrière.

LA NYMPHE DE LA SEINE

Hélas! superbe Gloire, hélas!

Ne dois-tu point être contente?

Le Héros que j’attends ne reviendra-t-il pas?

Il ne te suit que trop dans l’horreur des combats;

Laisse en paix un moment sa Valeur triomphante.

Le Héros que j’attends ne reviendra-t-il pas?

Serai-je toujours languissante

Dans une si cruelle attente?

Le Héros que j’attends ne reviendra-t-il pas?

LA GLOIRE

Pourquoi tant murmurer? Nymphe, ta plainte est vaine,

Tu ne peux voir sans moi le Héros que tu sers;

Si son éloignement te coûte tant de peine,

Il récompense assez les douceurs que tu perds;

Vois ce qu’il fait pour toi quand la Gloire l’emmène;

Vois comme sa Valeur a soumis à la Seine

Le fleuve le plus fier qui soit dans l’Univers.

LA NYMPHE DE LA SEINE

On ne voit plus ici paraître

Que des Ornements imparfaits;

Ah! rends-nous notre Auguste Maître,

Tu nous rendras tous nos attraits.

LA GLOIRE

Il revient, et tu dois m’en croire;

Je lui sers de guide avec soin;

Puisque tu vois la Gloire,

Ton Héros n’est pas loin.

Il laisse respirer tout le monde qui tremble;

Soyons ici d’accord pour combler ses désirs.

LA GLOIRE et LA NYMPHE DE LA SEINE

Qu’il est doux d’accorder ensemble

La Gloire et les Plaisirs.

LA NYMPHE DE LA SEINE

Naïades, Dieux des bois, Nymphes, que tout s’assemble.

Qu’on entende nos chants après tant de soupirs.

La Nymphe des Tuileries s’avance avec une troupe de Nymphes qui dansent, les arbres s’ouvrent et font voir les Divinités Champêtres qui jouent de différents instruments, et les fontaines se changent en Naïades qui chantent.

LE CHŒUR

Qu’il est doux d’accorder ensemble

La Gloire et les Plaisirs.

LA NYMPHE DES TUILERIES

L’Art d’accord avec la Nature

Sert l’Amour dans ces lieux charmants;

Ces eaux qui font rêver par un si doux murmure,

Ces tapis où les fleurs forment tant d’ornements,

Ces gazons, ces lits de verdure,

Tout n’est fait que pour les amants.

La Nymphe de la Marne, compagne de la Seine, vient chanter au milieu d’une troupe de Divinités de Fleuves, qui témoignent leur joie par leur danse.

LA NYMPHE DE LA MARNE

L’onde se presse

D’aller sans cesse

Jusqu’au bout de son cours;

S’il faut qu’un cœur suive une pente,

En est-il qui soit plus charmante

Que le doux penchant des Amours?

LA GLOIRE et LA NYMPHE DE LA SEINE

Que tout retentisse,

Que tout réponde à nos voix.

LA NYMPHE DES TUILERIES

Que tout fleurisse

Dans nos jardins et dans nos bois.

LA NYMPHE DE LA MARNE

Que le chant des oiseaux s’unisse

Avec le doux son des hautbois.

TOUS ENSEMBLE

Que tout retentisse,

Que tout réponde à nos voix.

Que le chant des oiseaux s’unisse

Avec le doux son des hautbois.

Que tout retentisse,

Que tout réponde à nos voix.

Les Divinités de Fleuves et les Nymphes forment une danse générale, tandis que tous les instruments et toutes les voix s’unissent.

TOUS ENSEMBLE

Quel Cœur sauvage

Ici ne s’engage?

Quel Cœur sauvage

Ne sent point l’amour?

Nous allons voir les Plaisirs de retour;

Ne manquons pas d’en faire un doux usage.

Pour rire un peu, l’on n’est pas moins sage.

Ah quel dommage

De fuir ce rivage!

Ah quel dommage

De perdre un beau jour!

Nous allons voir les Plaisirs de retour;

Ne manquons pas d’en faire un doux usage.

Pour rire un peu, l’on n’est pas moins sage.

Revenez, Plaisirs exilés;

Volez de toutes parts, volez.

Les Plaisirs volent, et viennent préparer des divertissements.

Fin du Prologue.

ACTE PREMIER

La scène est dans la ville d’Iolcos en Thessalie.

Le théâtre représente un port de mer, où l’on voit un grand vaisseau orné et préparé pour une Fête galante au milieu de plusieurs vaisseaux de guerre.

SCENE PREMIERE

LE CHŒUR DES THESSALIENS, ALCIDE, LYCHAS

LE CHŒUR

Vivez, vivez, heureux époux.

LYCHAS

Votre ami le plus cher épouse la Princesse

La plus charmante de la Grèce;

Lorsque chacun les suit, Seigneur, les fuyez-vous?

LE CHŒUR

Vivez, vivez, heureux époux.

LYCHAS

Vous paraissez troublé des cris qui retentissent?

Quand deux amants heureux s’unissent

Le cœur du grand Alcide en serait-il jaloux?

LE CHŒUR

Vivez, vivez, heureux époux.

LYCHAS

Seigneur, vous soupirez, et gardez le silence?

ALCIDE

Ah Lychas, laisse-moi partir en diligence.

LYCHAS

Quoi? dès ce même jour presser votre départ?

ALCIDE

J’aurai beau me presser, je partirai trop tard.

Ce n’est point avec toi que je prétends me taire;

Alceste est trop aimable, elle a trop su me plaire;

Un autre en est aimé, rien ne flatte mes vœux,

C’en est fait, Admète l’épouse,

Et c’est dans ce moment qu’on les unit tous deux.

Ah qu’une âme jalouse

Éprouve un tourment rigoureux!

J’ai peine à l’exprimer moi-même:

Figure-toi, si tu le peux,

Quelle est l’horreur extrême

De voir ce que l’on aime

Au pouvoir d’un rival heureux.

LYCHAS

L’Amour est-il plus fort qu’un Héros indomptable?

L’Univers n’a point eu de monstre redoutable

Que vous n’ayez pu surmonter.

ALCIDE

Eh, crois-tu que l’Amour soit moins à redouter?

Le plus grand Cœur a sa faiblesse.

Je ne puis me sauver de l’ardeur qui me presse

Qu’en quittant ce fatal séjour.

Contre d’aimables charmes

La Valeur est sans armes,

Et ce n’est qu’en fuyant qu’on peut vaincre l’Amour.

LYCHAS

Vous devez vous forcer, au moins, à voir la Fête

Qui déjà dans ce port vous paraît toute prête.

Votre fuite à présent ferait un trop grand bruit;

Différez jusques à la nuit.

ALCIDE

Ah, Lychas! quelle nuit! ah, quelle nuit funeste!

LYCHAS

Tout le reste du jour voyez encore Alceste.

ALCIDE

La voir encore? ... hé bien, différons mon départ.

Je te l’avais bien dit, je partirai trop tard.

Je vais la voir aimer un époux qui l’adore,

Je verrai dans leurs yeux un tendre empressement.

Que je vais payer chèrement

Le plaisir de la voir encore!

SCENE SECONDE

ALCIDE, STRATON et LYCHAS ensemble

L’Amour a bien des maux, mais le plus grand de tous

C’est le tourment d’être jaloux.

SCENE TROISIEME

STRATON, LYCHAS

STRATON

Lychas, j’ai deux mots à te dire.

LYCHAS

Que veux-tu? parle; je t’entends.

STRATON

Nous sommes amis de tout temps;

Céphise, tu le sais, me tient sous son Empire.

Tu suis partout ses pas: qu’est-ce que tu prétends?

LYCHAS

Je prétends rire.

STRATON

Pourquoi veux-tu troubler deux cœurs qui sont contents?

LYCHAS

Je prétends rire.

Tu peux à ton gré t’enflammer;

Chacun a sa façon d’aimer;

Qui voudra soupirer, soupire,

Je prétends rire.

STRATON

J’aime, et je suis aimé; laisse en paix nos amours.

LYCHAS

Rien ne doit t’alarmer s’il est bien vrai qu’on t’aime;

Un rival rebuté donne un plaisir extrême.

STRATON

Un rival quel qu’il soit importune toujours.

LYCHAS

Je vois ton amour sans colère,

Tu devrais en user ainsi;

Puisque Céphise t’a su plaire,

Pourquoi ne veux-tu pas qu’elle me plaise aussi?

STRATON

A quoi sert-il d’aimer ce qu’il faut que l’on quitte?

Tu ne peux demeurer longtemps dans cette Cour.

LYCHAS

Moins on a de moments à donner à l’Amour

Et plus il faut qu’on en profite.

STRATON

J’aime depuis deux ans avec fidélité.

Je puis croire, sans vanité,

Que tu ne dois pas être un rival qui m’alarme.

LYCHAS

J’ai pour moi la nouveauté,

En amour c’est un grand charme.

STRATON

Céphise m’a promis un cœur tendre, et constant.

LYCHAS

Céphise m’en promet autant.

STRATON

Ah, si je le croyais!... Mais tu n’es pas croyable.

LYCHAS

Crois-moi, fais ton profit d’un reste d’amitié,

Sers-toi d’un avis charitable

Que je te donne par pitié.

STRATON

Le mépris d’une volage

Doit être un assez grand mal,

Et c’est un nouvel outrage

Que la pitié d’un rival.

Elle vient, l’infidèle,

Pour chanter dans les Jeux dont je prends soin ici.

LYCHAS

Je te laisse avec elle,

Il ne tiendra qu’à toi d’être mieux éclairci.

SCENE QUATRIEME

CÉPHISE, STRATON

CÉPHISE

Dans ce beau jour, quelle humeur sombre

Fais-tu voir à contretemps?

STRATON

C’est que je ne suis pas du nombre

Des amants qui sont contents.

CÉPHISE

Un ton grondeur et sévère

N’est pas un grand agrément;

Le chagrin n’avance guère

Les affaires d’un amant.

STRATON

Lychas vient de me faire entendre

Que je n’ai plus ton cœur, qu’il doit seul y prétendre,

Et que tu ne vois plus mon amour qu’à regret.

CÉPHISE

Lychas est peu discret...

STRATON

Ah, je m’en doutais bien qu’il voulait me surprendre.

CÉPHISE

Lychas est peu discret

D’avoir dit mon secret.

STRATON

Comment! il est donc vrai! tu n’en fais point d’excuse?

Tu me trahis ainsi sans en être confuse?

CÉPHISE

Tu te plains sans raison;

Est-ce une trahison

Quand on te désabuse?

STRATON

Que je suis étonné de voir ton changement!

CÉPHISE

Si je change d’amant

Qu’y trouves-tu d’étrange?

Est-ce un sujet d’étonnement

De voir une fille qui change?

STRATON

Après deux ans passés dans un si doux lien,

Devais-tu jamais prendre une chaîne nouvelle?

CÉPHISE

Ne comptes-tu pour rien

D’être deux ans fidèle?

STRATON

Par un espoir doux, et trompeur,

Pourquoi m’engageais-tu dans un amour si tendre?

Fallait-il me donner ton cœur

Puisque tu voulais le reprendre?

CÉPHISE

Quand je t’offrais mon cœur, c’était de bonne foi;

Que n’empêches-tu qu’on te l’ôte?

Est-ce ma faute

Si Lychas me plaît plus que toi?

STRATON

Ingrate, est-ce le prix de ma persévérance?

CÉPHISE

Essaie un peu de l’inconstance.

C’est toi qui le premier m’appris à m’engager;

Pour récompense

Je te veux apprendre à changer.

STRATON et CÉPHISE

Il faut {aimer} {changer} toujours.

Les plus douces amours

Sont les amours {fidèles} {nouvelles}.

Il faut {aimer} {changer} toujours.

SCENE CINQUIEME

LYCOMÈDE, STRATON, CÉPHISE

LYCOMÈDE

Straton, donne ordre qu’on s’apprête

Pour commencer la Fête.

Straton se retire, et Lycomède parle à Céphise.

Enfin, grâce au dépit, je goûte la douceur

De sentir le repos de retour dans mon cœur.

J’étais à préférer au Roi de Thessalie;

Et si pour sa gloire on publie

Qu’Apollon autrefois lui servit de Pasteur ,

Je suis Roi de Scyros, et Thétis est ma sœur.

J’ai su me consoler d’un hymen qui m’outrage,

J’en ordonne les Jeux avec tranquillité.

Qu’aisément le dépit dégage

Des fers d’une ingrate Beauté!

Et qu’après un long esclavage

Il est doux d’être en liberté!

CÉPHISE

Il n’est pas sûr toujours de croire l’apparence.

Un cœur bien pris, et bien touché,

N’est pas aisément détaché,

Ni si tôt guéri que l’on pense;

Et l’Amour est souvent caché

Sous une feinte indifférence.

LYCOMÈDE

Quand on est sans espérance,

On est bientôt sans amour.

Mon rival a la préférence,

Ce que j’aime est en sa puissance,

Je perds tout espoir en ce jour;

Quand on est sans espérance,

On est bientôt sans amour.

Voici l’heure qu’il faut que la Fête commence.

Chacun s’avance.

Préparons-nous.

SCENE SIXIEME

LE CHŒUR, ADMÈTE, ALCESTE, PHÉRÈS, ALCIDE, LYCHAS, CÉPHISE, et STRATON

LE CHŒUR

Vivez, vivez, heureux époux.

PHÉRÈS

Jouissez des douceurs du nœud qui vous assemble.

ADMÈTE et ALCESTE

Quand l’Hymen et l’Amour sont bien d’accord ensemble,

Que les nœuds qu’ils forment sont doux!

LE CHŒUR

Vivez, vivez, heureux époux.

SCENE SEPTIEME

Des Nymphes de la Mer et des Tritons viennent faire une Fête marine, où se mêlent des matelots et des pêcheurs.

DEUX TRITONS

Malgré tant d’orages,

Et tant de naufrages,

Chacun à son tour

S’embarque avec l’Amour.

Partout où l’on mène

Les cœurs amoureux,

On voit la mer pleine

D’écueils dangereux,

Mais sans quelque peine

On n’est jamais heureux;

Une âme constante,

Après la tourmente

Espère un beau jour.

Malgré tant d’orages,

Et tant de naufrages,

Chacun à son tour

S’embarque avec l’Amour.

Un cœur qui diffère

D’entrer en affaire

S’expose à manquer

Le temps de s’embarquer.

Une âme commune

S’étonne d’abord,

Le soin l’importune,

Le calme l’endort,

Mais quelle fortune

Fait-on sans quelque effort?

Est-il un commerce

Exempt de traverse?

Chacun doit risquer.

Un cœur qui diffère

D’entrer en affaire

S’expose à manquer

Le temps de s’embarquer.

Céphise, vêtue en Nymphe de la Mer, chante au milieu des Divinités marines qui lui répondent.

Jeunes cœurs, laissez-vous prendre,

Le péril est grand d’attendre.

Vous perdez d’heureux moments

En cherchant à vous défendre;

Si l’Amour a des tourments

C’est la faute des amants.

Une Nymphe de la Mer chante avec Céphise.

Plus les âmes sont rebelles,

Plus leurs peines sont cruelles,

Les plaisirs doux et charmants

Sont le prix des cœurs fidèles;

Si l’Amour a des tourments

C’est la faute des amants.

LYCOMÈDE à Alceste

On vous apprête

Dans mon vaisseau

Un divertissement nouveau.

LYCOMÈDE et STRATON

Venez voir ce que notre Fête

Doit avoir de plus beau.

Lycomède conduit Alceste dans son vaisseau, Straton y mène Céphise, et dans le temps qu’Admète et Alcide y veulent passer, le pont s’enfonce dans la mer.

ADMÈTE et ALCIDE

Dieux! le pont s’abîme dans l’eau.

LE CHŒUR DES THESSALIENS

Ah! quelle trahison funeste!

ALCESTE et CÉPHISE

Au secours, au secours!

ALCIDE

Perfide...

ADMÈTE

Alceste...

ALCIDE et ADMÈTE

Laissons les vains discours.

Au secours, au secours!

Les Thessaliens courent s’embarquer pour suivre Lycomède.

LE CHŒUR DES THESSALIENS

Au secours, au secours!

SCENE HUITIEME

THÉTIS, ADMÈTE

THÉTIS sortant de la mer

Époux infortuné, redoute ma colère,

Tu vas hâter l’instant qui doit finir tes jours;

C’est Thétis, que la mer révère,

Que tu vois contre toi du parti de son frère;

Et c’est à la mort que tu cours.

ADMÈTE courant s’embarquer

Au secours, au secours!

THÉTIS

Puisqu’on méprise ma puissance,

Que les vents déchaînés,

Que les flots mutinés

S’arment pour ma vengeance.

Thétis rentre dans la mer, et les Aquilons excitent une tempête qui agite les vaisseaux qui s’efforcent de poursuivre Lycomède.

SCENE NEUVIEME

ÉOLE, LES AQUILONS, LES ZÉPHYRS

ÉOLE

Le Ciel protège les Héros.

Allez Admète, allez Alcide;

Le Dieu qui sur les Dieux préside

M’ordonne de calmer les flots.

Allez, poursuivez un perfide.

Retirez-vous,

Vents en courroux,

Rentrez dans vos prisons profondes,

Et laissez régner sur les ondes

Les Zéphyrs les plus doux.

L’orage cesse, les Zéphyrs volent et font fuir les Aquilons qui tombent dans la mer avec les nuages qu’ils en avaient élevés, et les vaisseaux d’Alcide et d’Admète poursuivent Lycomède.

Fin du premier Acte.

ACTE SECOND.

La scène est dans l’île de Scyros , et le théâtre représente la ville principale de l’île.

SCENE PREMIERE

CÉPHISE, STRATON

CÉPHISE

Alceste ne vient point, et nous devons attendre.

STRATON

Que peut-elle prétendre?

Pourquoi se tourmenter ici mal à propos?

Ses cris ont beau se faire entendre,

Peut-être son époux a péri dans les flots,

Et nous sommes enfin dans l’île de Scyros.

CÉPHISE

Tu ne te plaindras point que j’en use de même;

Je t’ai donné peu d’embarras,

Tu vois comme je suis tes pas.

STRATON

Tu sais dissimuler une colère extrême.

CÉPHISE

Et si je te disais que c’est toi seul que j’aime?

STRATON

Tu le dirais en vain, je ne te croirais pas.

CÉPHISE

Crois-moi, si j’ai feint de changer

C’était pour te mieux engager.

Un rival n’est pas inutile,

Il réveille l’ardeur et les soins d’un amant;

Une conquête facile

Donne peu d’empressement,

Et l’Amour tranquille

S’endort aisément.

STRATON

Non, non, ne tente point une seconde ruse,

Je vois plus clair que tu ne crois.

On excuse d’abord un amant qu’on abuse,

Mais la sottise est sans excuse

De se laisser tromper deux fois.

CÉPHISE

N’est-il aucun moyen d’apaiser ta colère?

STRATON

Consens à m’épouser et sans retardement.

CÉPHISE

Une si grande affaire

Ne se fait pas si promptement.

Un hymen qu’on diffère

N’en est que plus charmant.

STRATON

Un hymen qui peut plaire

Ne coûte guère,

Et c’est un nœud bientôt formé;

Rien n’est plus aisé que de faire

Un époux d’un amant aimé.

CÉPHISE

Je t’aime d’une amour sincère;

Et s’il est nécessaire,

Je m’offre à t’en faire un serment.

STRATON

Amusement, amusement.

CÉPHISE

L’injuste enlèvement d’Alceste

Attire dans ces lieux une guerre funeste,

Les plus braves des Grecs s’arment pour son secours;

Au milieu des cris et des larmes,

L’Hymen a peu de charmes;

Attendons de tranquilles jours.

Le bruit affreux des armes

Effarouche bien les Amours.

STRATON

Discours, discours, discours.

Tu n’as qu’à m’épouser pour m’ôter tout ombrage,

Pourquoi différer davantage?

A quoi servent tant de façons?

CÉPHISE

Rends-moi la liberté pour m’épouser sans crainte;

Un hymen fait avec contrainte

Est un mauvais moyen de finir tes soupçons.

STRATON

Chansons, chansons, chansons.

SCENE SECONDE

LYCOMÈDE, ALCESTE, STRATON, CÉPHISE, Soldats de Lycomède

LYCOMÈDE

Allons, allons, la plainte est vaine.

ALCESTE

Ah! quelle rigueur inhumaine!

LYCOMÈDE

Allons, je suis sourd à vos cris,

Je me venge de vos mépris.

ALCESTE

Quoi? vous serez inexorable?

LYCOMÈDE

Cruelle, vous m’avez appris

A devenir impitoyable.

ALCESTE

Est-ce ainsi que l’Amour a su vous émouvoir?

Est-ce ainsi que pour moi votre âme est attendrie?

LYCOMÈDE

L’amour se change en Furie,

Quand il est au désespoir.

Puisque je perds toute espérance,

Je veux désespérer mon rival à son tour;

Et les douceurs de la vengeance

Ont de quoi consoler des rigueurs de l’Amour.

ALCESTE

Voyez la douleur qui m’accable.

LYCOMÈDE

Vous avez sans pitié regardé ma douleur.

Vous m’avez rendu misérable,

Vous partagerez mon malheur.

ALCESTE

Admète avait mon cœur dès ma plus tendre enfance;

Nous ne connaissions pas l’Amour ni sa puissance,

Lorsque d’un nœud fatal il vint nous enchaîner;

Ce n’est pas une grande offense

Que le refus d’un cœur qui n’est plus à donner.

LYCOMÈDE

Est-ce aux amants qu’on désespère

A devoir rien examiner?

Non, je ne puis vous pardonner

D’avoir trop su me plaire.

Que ne m’ont point coûté vos funestes attraits!

Ils ont mis dans mon cœur une cruelle flamme,

Ils ont arraché de mon âme

L’innocence et la paix.

Non, ingrate, non, inhumaine,

Non, quelle que soit votre peine,

Non, je ne vous rendrai jamais

Tous les maux que vous m’avez faits.

STRATON

Voici l’ennemi qui s’avance

En diligence.

LYCOMÈDE

Préparons-nous

A nous défendre.

ALCESTE

Ah, cruel, que n’épargnez-vous

Le sang qu’on va répandre!

LYCOMÈDE et ses soldats

Périssons tous,

Plutôt que de nous rendre.

Lycomède contraint Alceste d’entrer dans la ville, Céphise la suit, et les soldats de Lycomède ferment la porte de la ville aussitôt qu’ils y sont entrés.

SCENE TROISIEME

ADMÈTE, ALCIDE, LYCHAS, Soldats assiégeants

ADMÈTE et ALCIDE

Marchez, marchez, marchez.

Approchez, amis, approchez.

Marchez, marchez, marchez.

Hâtons-nous de punir des traîtres,

Rendons-nous maîtres

Des murs qui les tiennent cachés.

Marchez, marchez, marchez.

SCENE QUATRIEME

LYCOMÈDE, STRATON, Soldats assiégés ; ADMÈTE, ALCIDE, LYCHAS, Soldats assiégeants

LYCOMÈDE sur les remparts

Ne prétendez pas nous surprendre,

Venez, nous allons vous attendre;

Nous ferons tous notre devoir

Pour vous bien recevoir.

STRATON et les Soldats assiégés

Nous ferons tous notre devoir

Pour vous bien recevoir.

ADMÈTE

Perfide, évite un sort funeste,

On te pardonne tout si tu veux rendre Alceste.

LYCOMÈDE

J’aime mieux mourir, s’il le faut,

Que de céder jamais cet Objet plein de charmes.

ADMÈTE et ALCIDE

A l’assaut, à l’assaut.

LYCOMÈDE et STRATON

Aux armes, aux armes.

LES ASSIÉGEANTS

A l’assaut, à l’assaut.

LES ASSIÉGÉS

Aux armes, aux armes.

ADMÈTE, ALCIDE, et LYCOMÈDE

A moi, compagnons, à moi.

ADMÈTE et LYCOMÈDE

A moi, suivez votre Roi.

ALCIDE

C’est Alcide

Qui vous guide.

ADMÈTE, ALCIDE, et LYCOMÈDE

A moi, compagnons, à moi.

On fait avancer des béliers et autres machines de guerre pour battre la place.

TOUS ENSEMBLE

Donnons, donnons, de toutes parts.

LES ASSIÉGEANTS

Que chacun à l’envi combatte.

Que l’on abatte

Les tours, et les remparts.

TOUS ENSEMBLE

Donnons, donnons de toutes parts.

LES ASSIÉGÉS

Que les ennemis, pêle-mêle,

Trébuchent sous l’affreuse grêle

De nos flèches, et de nos dards.

TOUS

Donnons, donnons de toutes parts.

Courage, courage, courage,

Ils sont à nous, ils sont à nous.

ALCIDE

C’est trop disputer l’avantage,

Je vais vous ouvrir un passage,

Suivez-moi tous, suivez-moi tous.

TOUS ENSEMBLE

Courage, courage, courage,

Ils sont à nous, ils sont à nous.

Les assiégés, voyant leurs remparts à demi abattus, et la porte de la ville enfoncée, font un dernier effort dans une sortie pour repousser les assiégeants.

LES ASSIÉGEANTS

Achevons d’emporter la place;

L’ennemi commence à plier.

Main basse, main basse, main basse.

LES ASSIÉGÉS rendant les armes

Quartier, quartier, quartier.

LES ASSIÉGEANTS

La ville est prise.

LES ASSIÉGÉS

Quartier, quartier, quartier.

LYCHAS terrassant STRATON

Il faut rendre Céphise.

STRATON

Je suis ton prisonnier,

Quartier, quartier, quartier.

SCENE CINQUIEME

PHÉRÈS armé, et marchant avec peine

Courage enfants, je suis à vous;

Mon bras va seconder vos coups.

Mais c’en est déjà fait et l’on a pris la ville;

La faiblesse de l’âge a retardé mes pas.

La Valeur devient inutile,

Quand la force n’y répond pas.

Que la vieillesse est lente,

Les efforts qu’elle tente

Sont toujours impuissants;

C’est une charge bien pesante

Qu’un fardeau de quatre-vingts ans.

SCENE SIXIEME

ALCIDE, ALCESTE, CÉPHISE, PHÉRÈS, LYCHAS, STRATON enchaîné

ALCIDE A PHÉRÈS

Rendez à votre fils cette aimable Princesse.

PHÉRÈS

Ce don de votre main serait encor plus doux.

ALCIDE

Allez, allez la rendre à son heureux époux.

ALCESTE

Tout est soumis, la guerre cesse;

Seigneur, pourquoi me laissez-vous?

Quel nouveau soin vous presse?

ALCIDE

Vous n’avez rien à redouter,

Je vais chercher ailleurs des tyrans à dompter.

ALCESTE

Les nœuds d’une amitié pressante

Ne retiendront-ils point votre âme impatiente?

Et la Gloire toujours vous doit-elle emporter?

ALCIDE

Gardez-vous bien de m’arrêter.

ALCESTE

C’est votre Valeur triomphante

Qui fait le sort charmant que nous allons goûter;

Quelque douceur que l’on ressente,

Un ami tel que vous l’augmente;

Voulez-vous si tôt nous quitter?

ALCIDE

Gardez-vous bien de m’arrêter.

Laissez, laissez-moi fuir un charme qui m’enchante;

Non, toute ma vertu n’est pas assez puissante

Pour répondre d’y résister.

Non, encore une fois, Princesse trop charmante,

Gardez-vous bien de m’arrêter.

SCENE SEPTIEME

ALCESTE, PHÉRÈS, CÉPHISE

A TROIS

Cherchons Admète promptement.

ALCESTE

Peut-on chercher ce qu’on aime

Avec trop d’empressement?

Quand l’amour est extrême,

Le moindre éloignement

Est un cruel tourment.

ALCESTE, PHÉRÈS, et CÉPHISE

Cherchons Admète promptement.

SCENE HUITIEME

ADMÈTE blessé, CLÉANTE, ALCESTE, PHÉRÈS, CÉPHISE, Soldats

ALCESTE

O Dieux! quel spectacle funeste!

CLÉANTE

Le Chef des ennemis mourant, et terrassé,

De sa rage expirante a ramassé le reste;

Le Roi vient d’en être blessé.

ADMÈTE

Je meurs, charmante Alceste,

Mon sort est assez doux

Puisque je meurs pour vous.

ALCESTE

C’est pour vous voir mourir que le Ciel me délivre!

ADMÈTE

Avec le nom de votre époux

J’eusse été trop heureux de vivre;

Mon sort est assez doux

Puisque je meurs pour vous.

ALCESTE

Est-ce là cet Hymen si doux, si plein d’appas,

Qui nous promettait tant de charmes?

Fallait-il que si tôt l’aveugle sort des armes

Tranchât des nœuds si beaux par un affreux trépas?

Est-ce là cet Hymen si doux, si plein d’appas,

Qui nous promettait tant de charmes?

ADMÈTE

Belle Alceste, ne pleurez pas,

Tout mon sang ne vaut point vos larmes.

ALCESTE

Est-ce là cet Hymen si doux, si plein d’appas,

Qui nous promettait tant de charmes?

ADMÈTE

Alceste, vous pleurez.

ALCESTE

Admète, vous mourez.

ADMÈTE et ALCESTE ensemble

Alceste, vous pleurez;

Admète, vous mourez.

ALCESTE

Se peut-il que le Ciel permette

Que les cœurs d’Alceste et d’Admète

Soient ainsi séparés?

ADMÈTE et ALCESTE

Alceste, vous pleurez,

Admète, vous mourez.

SCENE NEUVIEME

APOLLON, LES ARTS, ADMÈTE, ALCESTE, PHÉRÈS, CÉPHISE, CLÉANTE, Soldats

APOLLON environné des Arts

La lumière aujourd’hui te doit être ravie;

Il n’est qu’un seul moyen de prolonger ton sort;

Le Destin me promet de te rendre à la vie,

Si quelque autre pour toi veut s’offrir à la mort.

Reconnais si quelqu’un t’aime parfaitement;

Sa mort aura pour prix une immortelle gloire:

Pour en conserver la mémoire

Les Arts vont élever un pompeux Monument.

Les Arts qui sont autour d’Apollon se séparent sur des nuages différents, et tous descendent pour élever un Monument superbe, tandis qu’Apollon s’envole.

Fin du second Acte.

ACTE TROISIEME.

Le théâtre est un grand Monument élevé par les Arts. Un autel vide paraît au milieu pour servir à porter l’Image de la personne qui s’immolera pour Admète.

SCENE PREMIERE

ALCESTE, PHÉRÈS, CÉPHISE

ALCESTE

Ah! pourquoi nous séparez-vous?

Eh! du moins attendez que la Mort nous sépare;

Cruels, quelle pitié barbare

Vous presse d’arracher Alceste à son époux?

Ah! pourquoi nous séparez-vous?

PHÉRÈS et CÉPHISE

Plus votre époux mourant voit d’amour et d’appas,

Et plus le jour qu’il perd lui doit faire d’envie;

Ce sont les douceurs de la vie

Qui font les horreurs du Trépas.

ALCESTE

Les Arts n’ont point encore achevé leur ouvrage;

Cet autel doit porter la glorieuse Image

De qui signalera sa foi

En mourant pour sauver son Roi.

Le prix d’une gloire immortelle

Ne peut-il toucher un grand cœur?

Faut-il que la Mort la plus belle

Ne laisse pas de faire peur?

A quoi sert la foule importune

Dont les Rois sont embarrassés?

Un coup fatal de la Fortune

Écarte les plus empressés.

ALCESTE, PHÉRÈS, et CÉPHISE

De tant d’amis qu’avait Admète,

Aucun ne vient le secourir;

Quelque honneur qu’on promette,

On le laisse mourir.

PHÉRÈS

J’aime mon fils, je l’ai fait Roi;

Pour prolonger son sort je mourrais sans effroi,

Si je pouvais offrir des jours dignes d’envie.

Je n’ai plus qu’un reste de vie;

Ce n’est rien pour Admète, et c’est beaucoup pour moi.

CÉPHISE

Les Honneurs les plus éclatants

En vain dans le tombeau promettent de nous suivre;

La Mort est affreuse en tout temps.

Mais peut-on renoncer à vivre

Quand on n’a vécu que quinze ans?

ALCESTE

Chacun est satisfait des excuses qu’il donne;

Cependant on ne voit personne

Qui pour sauver Admète ose perdre le jour;

Le Devoir, l’Amitié, le Sang, tout l’abandonne,

Il n’a plus d’espoir qu’en l’Amour.

SCENE SECONDE

PHÉRÈS, LE CHŒUR, CLÉANTE

PHÉRÈS

Voyons encor mon fils, allons, hâtons nos pas;

Ses yeux vont se couvrir d’éternelles ténèbres.

LE CHŒUR

Hélas! hélas! hélas!

PHÉRÈS

Quels cris! quelles plaintes funèbres!

LE CHŒUR

Hélas! hélas! hélas!

PHÉRÈS

Où vas-tu? Cléante, demeure.

CLÉANTE

Hélas! hélas!

Le Roi touche à sa dernière heure,

Il s’affaiblit, il faut qu’il meure,

Et je viens pleurer son trépas.

Hélas! hélas!

LE CHŒUR

Hélas! hélas! hélas!

PHÉRÈS

On le plaint, tout le monde pleure,

Mais nos pleurs ne le sauvent pas.

Hélas! hélas!

LE CHŒUR

Hélas! hélas! hélas!

SCENE TROISIEME

LE CHŒUR, ADMÈTE, PHÉRÈS, CLÉANTE

LE CHŒUR

O trop heureux Admète!

Que votre sort est beau!

PHÉRÈS et CLÉANTE

Quel changement! quel bruit nouveau!

LE CHŒUR

O trop heureux Admète!

Que votre sort est beau!

PHÉRÈS et CLÉANTE voyant Admète guéri

L’effort d’une Amitié parfaite

L’a sauvé du tombeau.

PHÉRÈS embrassant Admète

O trop heureux Admète!

Que votre sort est beau!

LE CHŒUR

O trop heureux Admète!

Que votre sort est beau!

ADMÈTE

Qu’une Pompe funèbre

Rende à jamais célèbre

Le généreux effort

Qui m’arrache à la Mort.

Alceste n’aura plus d’alarmes,

Je reverrai ses yeux charmants

A qui j’ai coûté tant de larmes.

Que la vie a de charmes

Pour les heureux amants!

Achevez, Dieux des Arts, faites-nous voir l’Image

Qui doit éterniser la grandeur de courage

De qui s’est immolé pour moi;

Ne différez point davantage...

Ciel! ô Ciel! qu’est-ce que je vois!

L’autel s’ouvre, et l’on voit sortir l’Image d’Alceste qui se perce le sein.

SCENE QUATRIEME

CÉPHISE, ADMÈTE, PHÉRÈS, CLÉANTE, LE CHŒUR

CÉPHISE

Alceste est morte!

ADMÈTE

Alceste est morte!

LE CHŒUR

Alceste est morte!

CÉPHISE

Alceste a satisfait les Parques en courroux;

Votre tombeau s’ouvrait, elle y descend pour vous,

Elle-même a voulu vous en fermer la porte;

Alceste est morte!

ADMÈTE

Alceste est morte!

LE CHŒUR

Alceste est morte!

CÉPHISE

J’ai couru, mais trop tard pour arrêter ses coups.

Jamais en faveur d’un époux

On ne verra d’ardeur si fidèle et si forte;

Alceste est morte!

ADMÈTE

Alceste est morte!

LE CHŒUR

Alceste est morte!

CÉPHISE

Sujets, amis, parents, vous abandonnaient tous;

Sur les droits les plus forts, sur les nœuds les plus doux,

L’Amour, le tendre Amour l’emporte:

Alceste est morte!

ADMÈTE

Alceste est morte!

LE CHŒUR

Alceste est morte!

Admète tombe accablé de douleur entre les bras de sa suite.

SCENE CINQUIEME

Troupe de femmes affligées, Troupe d’hommes désolés, qui portent des fleurs, et tous les ornements qui ont servi à parer Alceste.

TOUS ENSEMBLE

Formons les plus lugubres chants,

Et les regrets les plus touchants.

UNE FEMME AFFLIGÉE

La Mort, la Mort barbare,

Détruit aujourd’hui mille appas.

Quelle Victime, hélas!

Fut jamais si belle, et si rare?

La Mort, la Mort barbare

Détruit aujourd’hui mille appas.

UN HOMME DÉSOLÉ

Alceste si jeune, et si belle,

Court se précipiter dans la Nuit éternelle,

Pour sauver ce qu’elle aime elle a perdu le jour.

LE CHŒUR

O trop parfait modèle

D’une épouse fidèle!

O trop parfait modèle

D’un véritable Amour.

UNE FEMME AFFLIGÉE

Que notre zèle se partage;

Que les uns par leurs chants célèbrent son courage,

Que d’autres par leurs cris déplorent ses malheurs.

LE CHŒUR

Rendons hommage

A son Image;

Jetons des fleurs,

Versons des pleurs.

UNE FEMME AFFLIGÉE

Alceste, la charmante Alceste,

La fidèle Alceste n’est plus.

LE CHŒUR

Alceste, la charmante Alceste,

La fidèle Alceste n’est plus.

UNE FEMME AFFLIGÉE

Tant de beautés, tant de vertus,

Méritaient un sort moins funeste.

LE CHŒUR

Alceste, la charmante Alceste,

La fidèle Alceste n’est plus.

Un transport de douleur saisit les deux troupes affligées, une partie déchire ses habits, l’autre s’arrache les cheveux, et chacun brise au pied de l’Image d’Alceste les ornements qu’il porte à la main.

LE CHŒUR

Rompons, brisons le triste reste

De ces ornements superflus.

Que nos pleurs, que nos cris renouvellent sans cesse.

Allons porter partout la douleur qui nous presse.

SCENE SIXIEME

ADMÈTE, PHÉRÈS, CÉPHISE, CLÉANTE, Suite

ADMÈTE revenu de son évanouissement, et se voyant désarmé

Sans Alceste, sans ses appas,

Croyez-vous que je puisse vivre?

Laissez-moi courir au Trépas

Où ma chère Alceste se livre.

Sans Alceste, sans ses appas,

Croyez-vous que je puisse vivre?

C’est pour moi qu’elle meurt, hélas!

Pourquoi m’empêcher de la suivre?

Sans Alceste, sans ses appas,

Croyez-vous que je puisse vivre?

SCENE SEPTIEME

ALCIDE, ADMÈTE, PHÉRÈS, CÉPHISE, CLÉANTE

ALCIDE

Tu me vois arrêté sur le point de partir

Par les tristes clameurs qu’on entend retentir.

ADMÈTE

Alceste meurt pour moi par une amour extrême,

Je ne reverrai plus les yeux qui m’ont charmé.

Hélas! j’ai perdu ce que j’aime

Pour avoir été trop aimé.

ALCIDE

J’aime Alceste, il est temps de ne m’en plus défendre;

Elle meurt, ton amour n’a plus rien à prétendre;

Admète, cède-moi la Beauté que tu perds.

Au palais de Pluton j’entreprends de descendre;

J’irai jusqu’au fond des Enfers

Forcer la Mort à me la rendre.

ADMÈTE

Je verrais encore ses beaux yeux?

Allez, Alcide, allez, revenez glorieux,

Obtenez qu’Alceste vous suive.

Le fils du plus puissant des Dieux

Est plus digne que moi du bien dont on me prive.

Allez, allez, ne tardez pas,

Arrachez Alceste au Trépas,

Et ramenez au jour son Ombre fugitive;

Qu’elle vive pour vous avec tous ses appas,

Admète est trop heureux pourvu qu’Alceste vive.

PHÉRÈS, CÉPHISE, CLÉANTE

Allez, allez, ne tardez pas,

Arrachez Alceste au Trépas.

SCENE HUITIEME

DIANE, MERCURE, ALCIDE, ADMÈTE, PHÉRÈS, CÉPHISE, CLÉANTE

La Lune paraît, son globe s’ouvre, et fait voir Diane sur un nuage brillant.

DIANE

Le Dieu dont tu tiens la naissance

Oblige tous les Dieux d’être d’intelligence

En faveur d’un dessein si beau;

Je viens t’offrir mon assistance;

Et Mercure s’avance

Pour t’ouvrir aux Enfers un passage nouveau.

Mercure vient en volant frapper la Terre de son Caducée, l’Enfer s’ouvre, et Alcide y descend.

Fin du troisième Acte.

ACTE QUATRIEME

Le théâtre représente le fleuve Achéron et ses sombres rivages.

SCENE PREMIERE

CHARON, LES OMBRES

CHARON ramant sa barque

Il faut passer tôt ou tard,

Il faut passer dans ma barque.

On y vient jeune, ou vieillard,

Ainsi qu’il plaît à la Parque;

On y reçoit sans égard

Le berger, et le monarque.

Il faut passer tôt ou tard,

Il faut passer dans ma barque.

Vous qui voulez passer, venez, Mânes errants,

Venez, avancez, tristes Ombres,

Payez le tribut que je prends,

Ou retournez errer sur ces rivages sombres.

LES OMBRES

Passe-moi, Charon, passe-moi.

CHARON

Il faut auparavant que l’on me satisfasse,

On doit payer les soins d’un si pénible emploi.

LES OMBRES

Passe-moi, Charon, passe-moi.

Charon fait entrer dans sa barque les Ombres qui ont de quoi le payer.

CHARON

Donne, passe, donne, passe,

Demeure, toi.

Tu n’as rien, il faut qu’on te chasse.

UNE OMBRE rebutée

Une Ombre tient si peu de place.

CHARON

Ou paie, ou tourne ailleurs tes pas.

L’OMBRE

De grâce, par pitié, ne me rebute pas.

CHARON

La pitié n’est point ici-bas,

Et Charon ne fait point de grâce.

L’OMBRE

Hélas! Charon, hélas! hélas!

CHARON

Crie hélas! tant que tu voudras ,

Rien pour rien, en tous lieux est une loi suivie.

Les mains vides sont sans appas,

Et ce n’est point assez de payer dans la vie,

Il faut encor payer au-delà du Trépas.

L’OMBRE en se retirant

Hélas! Charon, hélas! hélas!

CHARON

Il m’importe peu que l’on crie

Hélas! Charon, hélas! hélas!

Il faut encor payer au-delà du Trépas.

SCENE SECONDE

ALCIDE, CHARON, LES OMBRES

ALCIDE sautant dans la barque

Sortez, Ombres, faites-moi place,

Vous passerez une autre fois.

Les Ombres s’enfuient.

CHARON

Ah! ma barque ne peut souffrir un si grand poids!

ALCIDE

Allons, il faut que l’on me passe.

CHARON

Retire-toi d’ici, Mortel, qui que tu sois,

Les Enfers irrités puniront ton audace.

ALCIDE

Passe-moi, sans tant de façons.

CHARON

L’eau nous gagne, ma barque crève.

ALCIDE

Allons, rame, dépêche, achève.

CHARON

Nous enfonçons.

ALCIDE

Passons, passons.

SCENE TROISIEME

Le théâtre change, et représente le Palais de Pluton.

PLUTON, PROSERPINE, L’OMBRE D’ALCESTE, Suivants de Pluton

PLUTON sur son trône

Reçois le juste prix de ton amour fidèle;

Que ton Destin nouveau soit heureux à jamais.

Commence de goûter la douceur éternelle

D’une profonde paix.

SUIVANTS DE PLUTON

Commence de goûter la douceur éternelle

D’une profonde paix.

PROSERPINE à côté de PLUTON

L’épouse de Pluton te retient auprès d’elle;

Tous tes vœux seront satisfaits.

SUIVANTS DE PLUTON

Commence de goûter la douceur éternelle

D’une profonde paix.

PLUTON et PROSERPINE

En faveur d’une Ombre si belle,

Que l’Enfer fasse voir tout ce qu’il a d’attraits.

SUIVANTS DE PLUTON

En faveur d’une Ombre si belle,

Que l’Enfer fasse voir tout ce qu’il a d’attraits.

Les Suivants de Pluton se réjouissent de la venue d’Alceste dans les Enfers, par une espèce de Fête.

SUIVANTS DE PLUTON

Tout mortel doit ici paraître,

On ne peut naître

Que pour mourir.

De cent maux le Trépas délivre;

Qui cherche à vivre

Cherche à souffrir.

Venez tous, sur nos sombres bords.

Le Repos qu’on désire

Ne tient son Empire

Que dans le séjour des Morts.

Chacun vient ici-bas prendre place,

Sans cesse on y passe,

Jamais on n’en sort.

C’est pour tous une loi nécessaire;

L’effort qu’on peut faire

N’est qu’un vain effort.

Est-on sage

De fuir ce passage?

C’est un orage

Qui mène au port.

Chacun vient ici-bas prendre place,

Sans cesse on y passe,

Jamais on n’en sort.

Tous les charmes,

Plaintes, cris, larmes,

Tout est sans armes

Contre la Mort.

Chacun vient ici-bas prendre place,

Sans cesse on y passe,

Jamais on n’en sort.

SCENE QUATRIEME

ALECTON, PLUTON, PROSERPINE, L’OMBRE D’ALCESTE, SUIVANTS DE PLUTON

ALECTON

Quittez, quittez les Jeux, songez à vous défendre,

Contre un audacieux unissons nos efforts:

Le fils de Jupiter vient ici de descendre.

Seul, il ose attaquer tout l’Empire des Morts.

PLUTON

Qu’on arrête ce téméraire,

Armez-vous, amis, armez-vous,

Qu’on déchaîne Cerbère,

Courez tous, courez tous.

On entend aboyer Cerbère.

ALECTON

Son bras abat tout ce qu’il frappe.

Tout cède à ses horribles coups.

Rien ne résiste, rien n’échappe.

SCENE CINQUIEME

ALCIDE, PLUTON, PROSERPINE, ALECTON, Suivants de Pluton

PLUTON voyant Alcide qui enchaîne Cerbère

Insolent, jusqu’ici braves-tu mon courroux?

Quelle injuste audace t’engage

A troubler la paix de ces lieux?

ALCIDE

Je suis né pour dompter la rage

Des monstres les plus furieux.

PLUTON

Est-ce le Dieu jaloux qui lance le Tonnerre

Qui t’oblige à porter la guerre

Jusqu’au centre de l’Univers ?

Il tient sous son pouvoir et le Ciel et la Terre,

Veut-il encor ravir l’Empire des Enfers?

ALCIDE

Non, Pluton, règne en paix, jouis de ton partage;

Je viens chercher Alceste en cet affreux séjour.

Permets que je la rende au jour,

Je ne veux point d’autre avantage.

Si c’est te faire outrage

D’entrer par force dans ta Cour,

Pardonne à mon Courage

Et fais grâce à l’Amour.

PROSERPINE

Un grand cœur peut tout quand il aime,

Tout doit céder à son effort.

C’est un arrêt du Sort,

Il faut que l’Amour extrême

Soit plus fort

Que la Mort.

PLUTON

Les enfers, Pluton lui-même,

Tout doit en être d’accord;

Il faut que l’Amour extrême

Soit plus fort

Que la Mort.

SUIVANTS DE PLUTON

Il faut que l’Amour extrême

Soit plus fort

Que la Mort.

PLUTON

Que pour revoir le jour l’Ombre d’Alceste sorte;

Pluton donne un coup de son Trident et fait sortir son char.

Prenez place tous deux au char dont je me sers.

Qu’au gré de vos vœux il vous porte;

Partez, les chemins sont ouverts.

Qu’une volante Escorte

Vous conduise au travers

Des noires vapeurs des Enfers.

Alcide et l’Ombre d’Alceste se placent sur le Char de Pluton, qui les enlève sous la conduite d’une troupe volante de Suivants de Pluton.

Fin du quatrième Acte.

ACTE CINQUIEME.

Le théâtre change, et représente un Arc de Triomphe au milieu de deux amphithéâtres, où l’on voit une multitude de différents peuples de la Grèce assemblés pour recevoir Alcide triomphant des Enfers.

SCENE PREMIERE

ADMÈTE, LE CHŒUR

ADMÈTE

Alcide est vainqueur du Trépas,

L’Enfer ne lui résiste pas.

Il ramène Alceste vivante;

Que chacun chante:

Alcide est vainqueur du Trépas,

L’Enfer ne lui résiste pas.

LE CHŒUR sur l’Arc de Triomphe et sur les amphithéâtres

Alcide est vainqueur du Trépas,

L’Enfer ne lui résiste pas.

ADMÈTE

Quelle douleur secrète

Rend mon âme inquiète,

Et trouble mon amour!

Alceste voit encor le jour,

Mais c’est pour un autre qu’Admète.

LE CHŒUR

Alcide est vainqueur du Trépas,

L’Enfer ne lui résiste pas.

ADMÈTE

Ah! du moins cachons ma tristesse;

Alceste dans ces lieux ramène les plaisirs.

Je dois rougir de ma faiblesse.

Quelle honte à mon cœur de mêler des soupirs

Avec tant de cris d’allégresse.

LE CHŒUR

Alcide est vainqueur du Trépas,

L’Enfer ne lui résiste pas.

ADMÈTE

Par une ardeur impatiente

Courons, et devançons ses pas.

Il ramène Alceste vivante,

Que chacun chante.

ADMÈTE et LE CHŒUR

Alcide est vainqueur du Trépas.

L’Enfer ne lui résiste pas.

SCENE SECONDE

LYCHAS, STRATON enchaîné

STRATON

Ne m’ôteras-tu point la chaîne qui m’accable,

Dans ce jour destiné pour tant d’aimables jeux?

Ah! qu’il est rigoureux

D’être seul misérable

Quand on voit tout le monde heureux!

LYCHAS mettant Straton en liberté

Aujourd’hui qu’Alcide ramène

Alceste des Enfers,

Je veux finir ta peine.

Qu’on ne porte plus d’autres fers

Que ceux dont l’Amour nous enchaîne.

STRATON et LYCHAS

Qu’on ne porte plus d’autres fers

Que ceux dont l’Amour nous enchaîne.

SCENE TROISIEME

CÉPHISE, LYCHAS, STRATON

LYCHAS et STRATON

Vois, Céphise, vois qui de nous

Peut rendre ton destin plus doux,

Et termine enfin nos querelles.

LYCHAS

Mes amours seront éternelles.

STRATON

Mon cœur ne sera plus jaloux.

LYCHAS et STRATON

Entre deux amants fidèles,

Choisis un heureux époux.

CÉPHISE

Je n’ai point de choix à faire;

Parlons d’aimer et de plaire,

Et vivons toujours en paix.

L’Hymen détruit la tendresse,

Il rend l’Amour sans attraits;

Voulez-vous aimer sans cesse,

Amants, n’épousez jamais.

CÉPHISE, LYCHAS, et STRATON

L’Hymen détruit la tendresse,

Il rend l’Amour sans attraits;

Voulez-vous aimer sans cesse,

Amants, n’épousez jamais.

CÉPHISE

Prenons part aux transports d’une joie éclatante;

Que chacun chante.

TOUS ENSEMBLE

Alcide est vainqueur du Trépas,

L’Enfer ne lui résiste pas.

Il ramène Alceste vivante,

Que chacun chante:

Alcide est vainqueur du Trépas,

L’Enfer ne lui résiste pas.

SCENE QUATRIEME

ALCIDE, ALCESTE, ADMÈTE, CÉPHISE, LYCHAS, STRATON, PHÉRÈS,

CLÉANTE, LE CHŒUR, ALCIDE

Pour une si belle victoire,

Peut-on avoir trop entrepris?

Ah! qu’il est doux de courir à la gloire

Lorsque l’Amour en doit donner le prix!

Vous détournez vos yeux! je vous trouve insensible?

Admète a seul ici vos regards les plus doux?

ALCESTE

Je fais ce qui m’est possible

Pour ne regarder que vous.

ALCIDE

Vous devez suivre mon envie,

C’est pour moi qu’on vous rend le jour.

ALCESTE

Je n’ai pu reprendre la vie

Sans reprendre aussi mon amour.

ALCIDE

Admète en ma faveur vous a cédé lui-même.

ADMÈTE

Alcide pouvait seul vous ôter au Trépas.

Alceste, vous vivez, je revois vos appas,

Ai-je pu trop payer cette douceur extrême?

ADMÈTE et ALCESTE

Ah! que ne fait-on pas

Pour sauver ce qu’on aime!

ALCIDE

Vous soupirez tous deux au gré de vos désirs;

Est-ce ainsi qu’on me tient parole?

ADMÈTE et ALCESTE ensemble

Pardonnez aux derniers soupirs

D’un malheureux Amour qu’il faut qu’on vous immole.

{Alceste} {Admete}, il ne faut plus nous voir.

D’un autre que {de moi votre sort} {de vous mon destin} doit dépendre

Il faut dans les grands cœurs que l’Amour le plus tendre

Soit la Victime du Devoir.

{Alceste} {Admete}, il ne faut plus nous voir.

Admète se retire, et Alceste offre sa main à Alcide qui arrête Admète, et lui cède la main qu’Alceste lui présente.

ALCIDE

Non, non, vous ne devez pas croire

Qu’un Vainqueur des Tyrans soit Tyran à son tour.

Sur l’Enfer, sur la Mort, j’emporte la victoire;

Il ne manque plus à ma gloire

Que de triompher de l’Amour.

ADMÈTE et ALCESTE

Ah! quelle gloire extrême!

Quel héroïque effort!

Le Vainqueur de la Mort

Triomphe de lui-même.

SCENE CINQUIEME

APOLLON, LES MUSES, LES JEUX, ALCIDE, ADMÈTE, ALCESTE, et leur Suite

Apollon descend dans un palais éclatant au milieu des Muses et des Jeux qu’il amène pour prendre part à la joie d’Admète et d’Alceste, et pour célébrer le Triomphe d’Alcide.

APOLLON

Les Muses et les Jeux s’empressent de descendre,

Apollon les conduit dans ces aimables lieux.

Vous, à qui j’ai pris soin d’apprendre

A chanter vos Amours sur le ton le plus tendre,

Bergers, chantez avec les Dieux.

Chantons, chantons, faisons entendre

Nos chansons jusques dans les Cieux.

SCENE SIXIEME ET DERNIERE

Une troupe de bergers et de bergères, et une troupe de pâtres, dont les uns chantent et les autres dansent, viennent par l’ordre d’Apollon contribuer à la réjouissance.

LES CHŒURS DES MUSES, DES THESSALIENS et DES BERGERS chantent ensemble

Chantons, chantons, faisons entendre

Nos chansons jusque dans les Cieux.

Straton chante au milieu des pâtres dansants.

A quoi bon

Tant de raison

Dans le bel âge?

A quoi bon

Tant de raison

Hors de saison?

Qui craint le danger

De s’engager

Est sans courage;

Tout rit aux amants,

Les Jeux charmants

Sont leur partage.

Tôt, tôt, tôt, soyons contents,

Il vient un temps

Qu’on est trop sage.

Céphise chante au milieu des bergers et des bergères qui dansent.

C’est la saison d’aimer

Quand on sait plaire,

C’est la saison d’aimer

Quand on sait charmer.

Les plus beaux de nos jours ne durent guère,

Le sort de la Beauté nous doit alarmer,

Nos champs n’ont point de fleur plus passagère;

C’est la saison d’aimer

Quand on sait plaire,

C’est la saison d’aimer

Quand on sait charmer.

Un peu d’amour est nécessaire,

Il n’est jamais trop tôt de s’enflammer;

Nous donne-t-on un cœur pour n’en rien faire ?

C’est la saison d’aimer

Quand on sait plaire,

C’est la saison d’aimer

Quand on sait charmer.

La troupe des bergers danse avec la troupe des pâtres. Les chœurs se répondent les uns aux autres, et s’unissent enfin tous ensemble.

LES CHŒURS

Triomphez, généreux Alcide,

Aimez en paix, heureux époux.

Que {toujours la Gloire} {sans cesse l’Amour} vous guide.

Jouissez à jamais des {honneurs} {plaisirs} les plus doux.

Triomphez, généreux Alcide,

Aimez en paix, heureux époux.

Apollon vole avec les Jeux.

Fin du cinquième et dernier Acte.