Saint-Evremond

Un grand defaut des autheurs dans les Tragedies, c’est d’employer une passion pour une autre, de mettre de la douleur où il ne faut que de la tendresse ; de mettre au contraire du desespoir où il ne faut que de la douleur. Dans les Tragedies de Quinaut, vous desireriez souvent de la douleur, où vous ne voyez que de la tendresse. Dans le Titus de Racine vous voyez du désespoir où il ne faudrait qu’à peine de la douleur.

"Sur les caractères des tragédies", Œuvres en prose, éd. René Ternois, Paris, Didier, 1966, t. III, p. 331-332

La langueur ordinaire où je tombe aux Opera, vient de ce que je n’en ai jamais vû qui ne m’ait paru misérable dans la disposition du sujet, et dans les Vers.

[...]

Il faut que la Musique soit faite pour les Vers, bien plus que les Vers pour la Musique ; c’est au Musicien à suivre l’ordre du Poëte, dont Baptiste seul doit être exemt, pour connoître mieux les passions, et aller plus avant dans le cœur de l’homme que les auteurs.

[...]

Concluons aprés un si long discours, que la constitution de nos Opera ne sauroit être guere plus défectueuse. Mais il faut avoüer en même tems que personne ne travaillera si bien que Lulli sur un sujet mal conçu, et qu’il n’est pas aisé de faire mieux que Quinaut, en ce qu’on exige de lui.

"Sur les Opéra", Œuvres en prose, éd. René Ternois, Paris, Didier, 1966, t. III, p. 150, 155, 164

M. Guillaut -- "homme d'esprit" -- est certain que l’opéra passera de mode. M. Crisant lui demande quand cela pourrait arriver. M. Guillaut répond :

Quand l’habitude aura fait naître l’ennui, il sera permis aux gens éclairés de faire connaître la Raison. Il faut avoüer qu’on ne peut pas mieux faire, que fait Quinaut ; ni si bien, que fait Baptiste, sur un si méchant Sujet : mais la constitution de nos Opera est tellement défectueuse qu’on les verra tomber, à moins qu’elle ne soit changée.

Les Opéra (1676), acte II, scène iv, Œuvres, éd. Robert Finch et Eugène Joliat, Genève, Droz, 1979, p. 65

Saint-Evremond est un des premiers à proposer une critique raisonnée de la tragédie en musique. C'était un fin connaisseur de la musique, compositeur et parolier à ses heures, mais il faut se rappeler qu'il quitta la France en 1661 pour s'exiler en Angleterre. Il connaissait sans doute les livrets et les partitions des opéras de Quinault et Lully, mais il n'en a vu aucun, à l'exception de quelques scènes des quatre premiers, exécutés à Londres en 1676. On peut comprendre pourquoi un admirateur fervent de la tragédie parlée acceptait mal l'idée d'un ouvrage où tout est chanté, qu'il préférait ne pas mélanger la poésie tragique et les vers lyriques, mais on aimerait savoir ce qu'il aurait dit s'il avait pu voir plusieurs représentations à l'Académie Royale de Musique.

On aimerait savoir aussi ce qu'il aurait pensé des opéras après Atys, le plus récent dont il parle dans Les Opéra et dans "Sur les opéra".. Il écrivit la plus grande partie du dernier en 1669-1670, mais ajouta la louange de Lully après les concerts londoniens de 1676. La comédie Les Opéra fut sans doute écrite en 1676, puisque Saint-Evremond n'y mentionne pas Isis. Les deux furent publiés pour la première fois dans ses Oeuvres mêlées en 1705.

Plusieurs passages des quatre premiers opéras sont cités -- et chantés -- dans Les Opéra :

- Cadmus et Hermione II, 5 ("Amour, vois quels maux tu nous fais"), dans III, 1

- Cadmus et Hermione V, 1 ("Belle Hermione"), dans III, 1 ; plusieurs vers sont adaptés à l'intrigue de la pièce

- Cadmus et Hermione II, 4 ("Je vais partir belle Hermione"), dans V, 3

- Thésée V, 1 (Ah ! faut-il me venger"), dans V, 2

Il y a aussi de nombreuses allusions à ces deux livrets, aussi bien qu'à ceux d'Alceste et d'Atys.

Deux extraits des vers de Quinault pour la tragédie-ballet Psyché figurent à la première scène de l'acte V :

- "Aimable jeunesse", du troisième intermède, avec une jolie parodie "Honteuse vieillesse"

- Une imitation du dernier choeur du prologue, "Descendez Mère des Amours"