Louis Racine

Le fils de Racine (1692-1763) écrivit des commentaires intéressants sur les tragédies de son père. Ici, il parle des choeurs de la scène 2 du premier acte d'Esther (« Déplorable Sion … ». Il n’a pas tout à fait raison, quand il dit qu’aucun vers de Quinault ne finit par 'ée', ni par 'ue'. Dans Cadmus et Hermione, I, 4, v. 162-165, on peut lire :

Il faut que votre destinée

Suive l’ordre du Dieu dont vous tenez le jour ;

Et toujours l’Hyménée

Ne prend pas l’avis de l’Amour.

[…] On dira cependant que ces vers, quelque naturels qu'ils soient, ne sont pas propres à être mis en chant, à cause de ces terminaisons en ée. De tant de vers que fit Quinaut pour Lulli, aucun ne finit par ée, ni par ue ; et on trouvera dans un chœur d'Athalie :

Dans un gouffre profond Sion est descendue.

Rousseau a commencé une cantate par ce vers :

Ce fut vers cette rive où Junon adorée ;

et il a dit dans une autre :

Pélée à ce discours portant au loin sa vue.

Lulli n'aimoit point de pareilles terminaisons : la complaisance de Quinaut pour lui a été étonnante ; mais étoit-elle nécessaire? La musique et la poésie sont deux sœurs ; ne peuvent-elles réunir leurs charmes sans que l'une soit esclave de l'autre ? Si l'une des deux doit commander, cet honneur appartient à la poésie ; et si elle est obligée, dans notre langue, de renoncer à son privilége, il faut donc que tout grand poète renonce à faire des vers pour être mis en chant. Un poète ne doit, dans son harmonie, obéir qu'à son oreille : sera-t-il donc l'esclave d'un musicien?

Louis Racine, "Remarques sur les tragédies de Jean Racine", dans Oeuvres, Paris, Le Normant, 1808, t. VI, p. 221