Titon du Tillet

Évrard Titon du Tillet (1677-1762) conçut son Parnasse françois vers 1708. Dans une maquette en bronze réalisée en 1718 par Louis Granier, puis dans un dessin de Nicolas de Poilly présenté à Louis XV en 1723 et gravé plus tard par Nicolas Tardieu, Louis-Apollon surplombe trois Grâces ((Mme Deshoulières, la comtesse de la Suze, Mlle de Scudéry) et neuf "Muses" : Racine, Corneille, Molière, Racan, Segrais, La Fontaine, Boileau, Chapelle et Lully ; ce dernier porte sur le bras un médaillon de Quinault. Voici les pages avec les mentions de Quinault les plus intéressantes. Je les cite d'après la deuxième édition (Paris, Jean-Baptiste Coignard, 1732), plus fournie que la première (1727).

La vie de Quinault, p. 406-411, se trouve sous la rubrique Notices biographiques.

Voir aussi le Mercure, septembre 1723, p. 502-509.

Pour le médaillon de Quinault décrit p. 63-64, voir la page Médailles.


p. 30

[…]

Ces grands hommes sont Pierre Corneille, Molière, Racan, Segrais, la Fontaine , Chapelle , Racine , Despréaux, & Lully le Musicien, portant fur un bras le Médaillon de Quinault son Poëte, Lully & Quinault ne formant pour ainsi dire qu'un même génie pour la composition des Opera parfaits. J'ai suivi dans le choix de ces hommes illustres, le sentiment des personnes d'érudition & du discernement le plus délicat & le plus juste, & pour dire davantage la renommée, qui a porté leurs beaux ouvrages & leurs noms glorieux par tout, où règnent la science & le bon goût. On doit remarquer aussi que les neuf Poëtes, compris Quinault, dont Lully soutient le Médaillon, ont excellé chaçun dans un genre de Poësie différent, & Lully dans la Musique , où on les propose pour de bons modéles ; c'est pourquoi ils tiennent lieu fur notre Parnasse, des neuf Muses du Parnasse de la Grece, qui étoient regardées chacune, comme un juste modéle d'une science ou d'un bel Art auquel elles présidoient.

p.31

Corneille & Racine ont traité tous deux le genre dramatique, & ont également excellé dans le tragique; mais ils ont pris des routes différentes selon la remarque de la Bruyere en parlant des ouvrages d'esprit. Corneille, dit-il, nous assujétit à ses idées, Racine se conforme aux nôtres ; Celui-là peint les hommes comme ils devroient être, celui-ci les peint comme ils sont : ces deux Poëtes font d'ailleurs trop d'honneur au Parnasse François, pour n'y pas tenir des premiers rangs. A 1’égard des autres Poëtes, on sçait que Moliere a excellé dans la Comédie; Racan dans l'Ode, & la Pastorale ; la Fontaine dans les Fables &c les Contes; Segrais dans l'églogue & dans sa traduction en Vers françois de l'Eneïde & des Géorgiques de Virgile; Chapelle dans de petites piéces de Poësie, d'un stile aimable, libre & naturel ; il est regardé aussi comme un bon Original dans la composition des Vers fur des rimes redoublées, genre de Poësie très-harmonieux & difficile, & dans de petits ouvrages mêlés de Prose & de Vers : Despréaux a excellé dans la Satire & dans les Poëmes de l’Art Poétique & du Lutrin ; Quinault a porté la Poësie Lyrique ou chantante à son plus haut degré , & le fameux Lully a surpassé tous les Musiciens qui l'ont précédé, & est regardé comme le pere & le modéle de tous ceux qui sont venus après lui.*

* On trouvera à la fin de cette première partie de la description du Parnasse , des Rcmarques au sujet de Lully, de Segrais & de Chapelle.

p. 46

Enfin j'ai voulu faire connoître que les huit Poëtes célèbres, & Lully le Musicien avec son Poëte Quinault, qui tiennent lieu des neuf Muscs fur le Parnasse François, de même que les trois Dames qui y representent les trois Graces, & plusieurs Poètes & Musiciens, dont on y voit les Médaillons, ou dont les noms y font gravez, ont possédé ces belles qualitez & ces heureux talens, & doivent être regardez chacun dans leur caractere de genie & dans leurs principaux ouvrages, comme de justes modeles pour réussir dans la Poësie & dans la Musique.

p. 47

Il paroît même, quoique le Poëte soit le principe & le fondement des Opéra, que le Muficien n’est pas celui qui a le moins de travail & d’honneur dans la compofìtion de ces fortes d’ouvrages, & je fuis bien persuadé que toutes les personnes de goût qui connoissent la Mufique d'Atys, de Phaëton, de Roland, d’Armide, & des autres Opera de Lully, verront avec plaisir cet excellent homme représenté en figure en pied sur notre Parnasse, & y tenir la place d'une des neuf Muses. Les trois Muses dont je viens de parler, me donnent aussi occafion de faire connoître que je sens bien que les Poëtes célèbres qui représentent sur le Parnasse François les neuf Muses, n’ont pas tous traité des sujets héroiques & sublimes, & n’ont pas donné de longs Poëmes & une grande quantité d'ouvrages ; mais on ne peut refuser à aucun d’eux la gloire d'avoir excellé dans le genre d’écrire qu'ils ont entrepris ; je le répéte encore, on les a choisis exprès de differens caractères de Génie, & comme des modéles dans les differens genres de Poësìe, de même que les neuf Muses du Parnasse de la Grece, sont proposées chacune pour modéle dans une science & dans un bel Art particulier, où elles préfident.

p. 63-64

Lully soutient fur un bras le Médaillon de Quinault qu'il fait voir triomphant & couronné de Laurier, comme celui qui a excellé le premier en France dans la Poësie chantante, & qui l'a animé à composer tous les beaux airs, dont ses Opera sont remplis.

Sur le revers du Médaillon de Quinault on a représenté un Génie couronné de Laurier, de Mirte & de fleurs, par rapport aux differens personnages que ce Poëte a fait paroitre fur le Theatre ; il leve la tête du côté du Soleil (cet astre est la devise de Louis LE GRAND qui a échauffé ce Poëte à produire tant de beaux Poèmes.) Ce Genie tient d'une main une plume ; son autre main, dont il porte un sceptre, & un poignard (attributs de la Tragédie,) est appuyée fur une Lyre soutenue fur un terrein où l'on voit une couronne à l’antique, un houlette, des guirlandes de fleurs & de differens feuillages, plusieurs instrumens de Musique & des Livres, où l'on lit les noms d'Atis, de Phaëton, d’Armide & de quelques autres sujets de fes Opéra. La Légende est dans ces termes.

Mes Vers ont merité les chants les plus parfaits.

Une personne d’une grande érudition, & qui excelle dans la connoissance des Médailles, m'a fait le plaisir de me donner un autre simbole pour le revers du Médaillon de Quinault, que j'ai fait aussì exécuter, & que j'ai preféré au premier, pour être représenté dans ce volume ; c'est une Lyre posée sur quelqu'autres instrumens de Musique, & surmontée d'un Phœnix avec cette Légende.

Phœnix de la Poësìe chantante.

p. 385

On doit passer quelque chose à Perrin & lui pardonner les vers foibles qui se trouvent dans la plûpart de ses ouvrages, comme le premier inventeur de la Poësie Dramatique chantante en France, que Quinault peu de tems après lui rendit si gracieuse et si parfaite.

p. 400

les paroles [des opéras de Lully] sont de Quinault, excepté Psyché & Bellerophon de Thomas Corneille ; le Ballet du Carnaval, de differens auteurs ; l'Ydille sur la paix, & l'Eglogue de Versailles, dont Moliere conjointement avec Racine & Quinault ont donné les paroles ; & Acis & Galatée, de Campistron. »

p. li

Lully eut aussi l’avantage de trouver un Poëte tel que Quinault, qui excelloit dans la Poësie lyrique ou chantange, dont les Vers étoient dignes de sa Musique, & tels qu’il pouvoit les desirer, pour bien mettre en leur jour toutes les beautez & toutes les delicatesses de son Art.

p. lxxvii

LULLY des sons divins connut le beau délire :

Par un accord heureux

QUINAULT montoit sa Lyre :

Phébus inspiroit tous les deux.