Armide

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Avec le recul de plus de trois siècles, le choix de l'histoire de Renaud et d'Armide nous semble presque évident. Après avoir tiré deux sujets des romans de chevalerie, Quinault semble continuer dans la même veine. Étant donné les changements à la cour, les efforts de Renaud, champion des Chrétiens, pour se soustraire au pouvoir de la magicienne païenne ne pouvait qu'évoquer l'égloignement de Louis XIV de ses maîtresses et son retour vers le devoir. Qui plus est, la question de l'hérésie protestante était dans tous les esprits, et l'Édit de Nantes serait révoqué en octobre 1685, cinq mois après le choix du sujet.

Cependant, quand on regarde ce choix de plus près, plusieurs choses peuvent surprendre. Le choix d'une femme comme personnage principal, par exemple, après les héros des quatre derniers opéras : Persée, Phaéton, Amadis et Roland. Même si Armide est l'ennemie des chevaliers chrétiens, sa lutte intérieure et son désespoir à la fin nous touchent profondément. Comme le dit Lecerf de la Viéville, "l’Auditeur plein de sa passion, qu’on a augmentée jusqu’au dernier moment, ne peut pas ne la point remporter toute entiere. Il s’en retourne chez lui pénetré malgré qu’il en ait, rêveur, chagrin du mécontentement d’Armide" (Comparaison, II, p. 15-16).

On peut être surpris aussi par les deux autres sujets que Quinault proposa au roi. Selon le journal de Dangeau du 16 mai 1685,

Quinault apporta au Roi chez Madame de Montespan 3 livres d’Opéra pour cet hiver. L’un était Malaric fils d’Hercule, le second Céphale et Procris, le troisième Armide et Renaud. Le Roi les trouva tous trois à son gré et choisit celui d’Armide.

Les sujets mythologiques n'étaient donc pas exclus, et avec Céphale et Procris, Quinault aurait pu bâtir une intrigue autour d'un couple d'heureux amants contrariés par les dieux. Quand enfin le bonheur semble possible, Céphale tue Procris par accident, ce qui pourrait donner lieu à une scène finale similaire à celle d'Atys. Elisabeth Jacquet de la Guerre utiliserait le même mythe en 1694, sur un livret de Duché de Vancy.

L'autre sujet proposé, Malaric fils d'Hercule, est difficile à comprendre. À ma connaissance, on ne connaît aucun fils d'Hercule qui s'appellerait Malaric. C'est le nom d'un guerrier franc au IVe siècle, mais sans parenté avec Hercule.

Mme de Genlis (1746-1830) corrige la version de Dangeau dans son Abrègé des mémoires ou journal du marquis de Dangeau... avec des notes historiques... ..., (Paris, Treuttel et Würtz, 1817), t. I (1684-1694), p. 119 :

Mercredi 16. Quinault apporta au Roi , chez madame de Montespan, trois sujets d'opéra pour cet hiver : l'un étoit Macarie, fille d'Hercule [c'est moi qui souligne] ; le second, Céphale et Procris ; le troisième, Armide et Renaut. Le Roi les trouva tous trois à son gré, et choisit celui d'Armide.

Elle donne une version un peu différente dans son Madame de Maintenon, pour servir de suite à l'Histoire de la duchesse de La Vallière (Paris, Madaran, 1806), t. II, p. 140, mais il s'agit toujours de Macarie :

Son admiration et son amitié pour Boileau ne l'empêchèrent pas d'apprécier les talens de Quinault. Ce poète ne composa jamais un opéra, sans apporter au roi plusieurs plans de poèmes, et le choix du monarque fixoit toujours le sien. Un soir, chez madame de Maintenon, il présenta deux sujets d'opéra : Armide, et Macarie, fille d'Hercule. Armide fut préférée par madame de Maintenon, et, peu de temps après, on vit paroître le plus beau poëme de Quinault. 

On peut bien imaginer un livret de Quinault avec Macarie comme héroïne. Ce personnage des Héraclides d'Euripide, fille d'Hercule et de Déjanire, se sacrifie pour sauver ses frères, réfugiés à Athènes. Un oracle avait déclaré que, pour vaincre leur ennemi Eurysthée, une vierge de naissance noble devrait se sacrifier. Quinault lui aurait sans doute donné un fiancé (fils d'Iolas ?) et une rivale (fille du roi Démophon ?) pour remplir ses cinq actes ; Macarie ne paraît que dans une scène de la tragédie d'Euripide.

Mme de Genlis, dans son Abrégé, change Malaric en Macarie mais suit Dangeau en disant que cette présentation au roi eut lieu chez Mme de Montespan. Pourtant, elle avait écrit une dizaine d'annés plus tôt, dans son Madame de Maintenon, que c'était chez cette dernière (et elle supprime le troisième sujet, Céphale et Procris). Hésitait-elle à modifier davantage le texte de Dangeau ? Avait-elle situé la présentation chez l'épouse du roi pour insister sur l'influence de son "goût exquis" sur le roi, ou avait-elle accès à des sources qui l'y situaient ? En 1685, le roi continuait à rendre visite à Mme de Montrespan à Versailles, mais accompagné d'autres personnes.

Je remercie mon ami Eric Bennett, fin connaisseur de la littérature grecque, de m'avoir mis sur la piste de Macarie.

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