Moulin
Louis-Henri Moulin (1802-1885) fit paraître « Corneille, Boileau, La Bruyère et Quinault, hommes de palais » dans le numéro 317 du journal L’Amateur d’autographes (février 1880), aux pages 17-25. Un tiré à part parut la même année à Paris, chez Motteroz. Quinault figure brièvement au début et puis plus longuement pages 24-25.
Moulin est également auteur du Palais et l’Académie au XVIIe et au XVIIIe siècles (Paris, L. Techener, 1885).
Il y affirme, p. 66-67, que Quinault avait fait son droit mais avoue ne pas savoir s’il a plaidé, ce qui contredit ce qu’il dit dans l’article ci-dessous.
Moulin, docteur en droit, était Avocat général à la Cour d'appel de Paris (1848-) puis avocat à la Cour d'appel. Il ne nous apprend rien de nouveau, mais l'article est agréable à lire.
QUI pouvait soupçonner, sauf quelque érudit, de qui je l'ai appris, que Corneille, Boileau, La Bruyère et Quinault eussent étudié le droit avant les lettres, et appartenu au barreau avant d'appartenir à l'Académie ? Fils de pères, hommes de palais, sauf le maître boulanger, Thomas, père de Quinault, ils devaient se sentir naturellement entraînés vers le palais. Aussi tous quatre ont-ils été reçus avocats, inscrits au tableau et ont-ils plaidé au moins une fois.
[…]
Philippe Quinault aussi fut avocat. Je n'ai, pour l'établir, ni soutien de thèse, comme pour La Bruyère, ni prestation de serment, comme pour Corneille, ni inscription au tableau, comme pour Boileau, mais j'ai son acte de mariage, dans lequel il prend le titre « d'advocat au Parlement ». Certains prétendent qu'il était même très habile en affaires, et qu'on le consultait volontiers comme un homme de bon conseil.
Quinault et Boileau, avocats, avant de devenir hommes de lettres, et pouvant se rencontrer à la barre du Parlement! !... N'est-ce pas une étrange ironie du sort que ce hasard qui se plaît à rapprocher, à l'origine, dans une profession commune, deux hommes si différents de caractère et de talent, si peu sympathiques l'un à l'autre, presque ennemis ; Boileau, l'âpre critique, l'écrivain, au goût et aux principes sévères ; Quinault, le poète gracieux et facile, le courtisan complaisant, le commode librettiste de Lully, enfin :
Quinault aux lieux communs de morale lubrique?
Ce fut en 1660 que Quinault se maria à Saint-Jean en Grève, et qu'il épousa une jeune veuve qui, avec ses vingt-sept ans, lui apporta une dot de cent mille écus. Cette dot, fort riche pour le temps, lui permit de traiter d'une charge de valet de chambre du roi, puis de celle d'auditeur des comptes et de conseiller, de quitter le Palais pour le théâtre, où il recueillit plus d'applaudissements qu'au barreau.
Quinault a été, non moins que La Bruyère, victime des erreurs des biographes.
Quelques-uns, certaines traditions locales surtout, avant les découvertes de MM. Jal et Beffara, l'avaient fait naître à Felletin, dans la Creuse, et la population de Felletin, fière d'un pareil compatriote, l'avait, sur la foi de biographies et de rumeurs menteuses, adopté comme l'un des siens, et donné son nom à l'une de ses rues.
En 1852, la Municipalité de Felletin, voulant s'associer à l'enthousiasme de ses administrés, avait obtenu du ministre de l'intérieur le buste de l'auteur d'Armide, qu'elle croyait né dans /p. 25/ ses murs, et bientôt elle l'inaugurait solennellement sur l'une de ses places, avec fête, vers, discours et illuminations.
Mais, ô déception! le dernier discours était à peine prononcé, le dernier lampion éteint, qu'un érudit, vrai trouble-fête, adressait à M. le maire les actes de naissance, 1635 -- de mariage, 1660 et de décès, 1688 -- de Quinault, qui établissaient qu'il était né, marié et mort à Paris.
Cette découverte tardive calma l'enthousiasme des habitants de Felletin, auxquels elle enlevait leur grand homme, mais la rue n'en a pas moins gardé le nom de Quinault et la place son buste.
Dans un temps comme le nôtre, si prodigue de statues, Quinault ne pouvait manquer d'en avoir une, et, certes, il y avait bien droit ; mais, au lieu de l'avoir à Paris, où il est né, il l'a trouvée à Felletin, où il est étranger. Est-ce une compensation?...
S'ils sont contraires à la prétention de Felletin, les actes de l'état civil produits sont favorables à la revendication du palais. Fils d'un maître boulanger, Quinault avait eu pour marraine la fille d'un huissier, et il eut pour gendre un avocat. Son acte de mariage du 27 avril 1660 prouve que le Parlement le comptait alors parmi ses avocats.
Il est donc certain, -- et les pièces que j'ai soumises à l'appréciation de mes lecteurs ne permettent pas d'en douter, -- que Corneille, Boileau, La Bruyère et Quinault ont été reçus avocats, et qu'ils ont plaidé au moins une fois; or, je n'ai pas voulu prouver autre chose.
[…]