Lettre du 5 avril 1659

   Cette lettre fut publiée par Monmerqué dans l'annexe (tome IX) de son édition des Historiettes de Tallemant des Réaux (Paris, Techener, 1860), p. 467-469, mais elle semble être passée inaperçue par les biographes de Quinault .

   Pierre Lenet (1600-1671) est un fidèle des Condé : Henri II de Bourbon (1588-1646) et Louis II de Bourbon (1621-1686), le Grand Condé. Dans les années 1640, il est Procureur Général au Parlement de Dijon et Conseiller d’État. Pendant la Fronde, il représente Condé à Bordeaux et en Espagne, où il négocie en 1651 le traité entre les princes frondeurs et l’Espagne. Exilé après la défaite des princes, il est en Flandre en 1657-1658, avant de gagner Madrid en septembre 1658, pour représenter Condé pendant les négotiations du Traité des Pyrénées, signé le 7 novembre 1659. Il est probable qu’il rentre en France au début de 1660, avec Condé, pardonné par le traité.

   J'ai trouvé l'autographe dans les papiers de Lenet à la BnF, ms. fr. 6722, f. 24-25. En voici le texte, suivi de quelques notes/remarques.


[f. 24r]

Ce 5e avril 1659

Monsieur,

Je m'apercoy par les marques avantageuses de l'estime dont vous m'honorez, que mon Amy vous en aura bien fait accroire en vous parlant en ma faveur ; et le premier effet de ma reconnoissance sera de vous avouer ingenuement qu'il s'en faut beaucoup que je ne sois aussi [digne (ajout de Monmerqué)] de l'honneur que vous me faites qu'il vous la voulu persuader. Ne vous figurez donc pas s'il vous plaist, Monsieur, que je vous fasse en cette occasion une lettre delicatte, composée de beaux mots, et pleine de remerciments ingenieux ; pour reussir dans une pareille entreprise, il faudroit estre fort habile, et je ne suis pas obligé de l'estre à vingt-trois ans. Je vous diray seulement en prose très-commune, que les Comedies que vous avez eu la bonté de me faire recevoir, sont un present qui m'est extremement considerable, et que bien loin de pretendre m'en acquitter par celles que je vous envoye, je croiray vous avoir une nouvelle obligation si vous prenez la peine de les lire pour l'amour de moy.

[f. 25r]

Le peu d'ardeur que cette Cour tesmoigne à present pour les ouvrages d'esprit, est cause que ceux qui les font les negligent ; et si le Prince admirable qui est mon Heros aussy bien que le vostre, revenoit ou nous lavons veu, le desir de luy plaire obligeroit sans doute ceux qui escrivent a travailler avec plus de soin. Il y a des lumieres que le Ciel ne donne qu'à peu de personnes : mais surtout, Monsieur,

Permettez-moy de vous parler

De la force de son courage :

Il n'a point rencontré d'orage

Qui jamais ayt pû l’esbranler.

La fortune aveugle et legere

A beau luy devenir contraire,

Son Coeur d'aucun effroy ne se laisse toucher :

Et les plus grands malheurs qui contre luy s'elevent

Sont pareils aux flots qui se crevent

Alors qu'ils frapent un Rocher.

Il y a pourtant plus d'aparence que jamais desperer bientost son retour. On ne parle ici que du

[f. 24v]

mariage du Roy avec l'Infante d'Espagne, et par consequent de la Paix. Le Pere Clausel qui comme vous scavez, est assez delicat, nous a dit tant de bien de cette grande Princesse ; et j'en ay l'idée tellement remplie qu'il faut que vous enduriez encore ces vers que je ne puis retenir.

L'esclat de sa naissance, et celuy de ses charmes,

Peuvent seuls de nos mains faire tomber les armes,

Et de nostre monarque arrester les projets :

On l'attend en des lieux les plus doux de la terre ;

Et tous les Ennemis qui luy faisoient la guerre

Ne font plus que des veux [sic] pour estre ses sujets.

Il ny a personne en ce Royaume qui ne fut bien aise de devoir encore une Reyne à l'Espagne : et pour moy, je treuve tant d'Esprit parmi ces Espagnols, que lon me fera grand plaisir de me permettre de n'estre plus de leurs Ennemis. Mais la joye la plus sensible que j'en attens, est celle qui me viendra de lavantage que jauray de vous voir, et de vous pouvoir dire de vive voix que je seray toute ma vie

Monsieur                                                                                              vostre très-humble et très

obeissant serviteur [signé] Quinault

NOTES.

f. 24r

f. 25r

f. 24v