Chauffepié

Nouveau dictionnaire historique et critique pour servir de supplément ou de continuation au Dictionnaire historique et critique de M. Pierre Bayle, par Jaques George de Chaufepié, Amsterdam, Z. Chatelain, 1750-1756. Tome IV, 1756, p. 11-14.

Chauffepié explique dans la préface du tome I (1750) qu'on avait eu l'intention de faire un supplément au dictionnaire de Pierre Bayle peu de temps après sa mort (1706), mais que le projet ne se reálisa pas. Des libraires demandèrent à Chauffepié en 1739 d'extraire et de traduire des articles d'une édition anglaise du dictionnaire de Bayle (1709, 1734-1741) et de faire des additions et des articles nouveaux. Il y a environ 500 articles nouveaux, dont celui sur Quinault ; Bayle ne mentionne Quinault que dans l'article sur Tristan, où il cite Ménage et Furetière.

Chauffepié emprunte une grande partie de ses informations à Nicéron, surtout le catalogue des ouvrages de Quinault, auquel il ajoute des détails sur Stratonice et Astrate.

Comme dans le dictionnaire de Bayle, les notes sont plus longues que le texte "principal", quatre fois dans le cas des quatre notes/commentaires A-D. Il y a aussi deux séries de notes de référence, dans les marges, a-l pour le texte principal et 1-18 pour les notes/commentaires.

QUINAULT (PHILIPPE) nâquit à Paris en 1635. Furetiére insinue, dans son Factum contre l’Académie, qu’il étoit fils d’un boulanger [A]. Il marqua de bonne heure du talent pour la Poësie Francoise, & « Tristan l’Hermite, qui avoit vieilli dans la carriére du Théatre François, jugea que Mr. Quinault pourroit un jour s'y distinguer, & par un zéle, assez rare dans les vieux Auteurs, il entreprit de le former dès l'enfance, au hazard de se voir surpasser par son disciple (a) ». Quinault travailla pour le Théatre dès l'âge de quinze ans, selon Mr. Perrault (b), & selon le P. Niceron (c), ce fut à dix-huit ans qu'il composa sa premiére Comédie, qui fut représentée avec succès, & suivie d'un grand nombre d'autres [B]. Malgré un si heureux début, il ne crut pas devoir se borner à la profession de Poëte, & il étudia pour embrasser celle d'Avocat. Ménage (d) assure qu'il l’a vu Clerc d'un Avocat au Conseil. Mr. Perrault dit qu'il se rendit habile dans cette profession. Mais Mr. l'Abbé d'Olivet en doute (e); « car, dit-il, un rimeur qui tous les ans donne une Piéce, & quelquefois deux, ne sauroit guére pâlir sur le Code. Pour ne rien outrer, ajoûte-t-il, bornons-nous à dire, que la science qu'il acquit chez un Procureur (f), si elle ne fut pas des plus profondes, du moins fut heureuse pour lui, puisqu'elle amena son établissement ». Un riche Marchand de Paris, homme de bonnefoi, mais que ses Associés commençoient à inquiéter, parce que ses comptes n'étoient pas clairs, eut recours à Mr. Quinault, comme à son ami, pour le tirer d'embarras. Quinault y travailla avec beaucoup d'adresse & d'application, & en vint à bout ; mais à peine les affaires du Marchand furent-elles terminées, qu'il mourut, & Mr. Quinault épousa sa Veuve, assez jeune encore pour lui donner une postérité nombreuse, & qui lui apporta, selon Mr. d'Olivet, plus de cent-mille écus en mariage. Ménage raconte tout cela un peu autrement : « un Marchand, dit-il (g), qui aimoit la Comédie, conçut tant d'estime pour lui, qu'il l'obligea de prendre un appartement chez lui. Ce Marchand quelque tems après vint à mourir. Mr. Quinault fit les affaires de la famille, & épousa ensuite la Veuve de son bon ami, de laquelle il a eu plus de quarante mille écus de bien. Il étoit fort bien payé de ses Opéra, & comme il etoit naturellement assez ménager il est mort riche de cent-mille écus ». Après son mariage il acheta une Charge de Maître des Comptes, qu'il a conservée jusqu'à sa mort. II avoit promis à sa femme de renoncer à la Poësie ; mais il crut que s'agissant de contribuer au divertissement du Roi, il étoit dispensé de tenir sa parole, & commença à travailler à des Opéra [C]. Le Roi lui enjoignit expressément de consulter l'Académie naissante des Inscriptions & Belles-Lettres. C'étoit-là qu'on déterminoit les sujets, qu'on distribuoit les Scénes, qu'on plaçoit les divertissemens. A mesure que chaque Piéce avançoit Quinault en montroit les morceaux au Roi, qui démandoit toujours ce qu'en avoit dit la petite Académie, car c'est ainsi qu'il l'appelloit. Plusieurs des Opéra de Quinault ont été le fruit de cette attention (h). II fut reçu à l'Académie Françoise en 1670 à la place de François-Henri Salomon, Président à Mortier au Parlement de Guyenne, & en 1674 il entra dans l'Académie des Inscriptions. Quoique Mr. Despreaux l'eût souvent attaqué, & qu'il eût lâché contre lui divers traits satiriques, cela n'empêcha pas Quinault de rechercher son amitié. Mr. de Merille, premier Valet de Chambre de Monsieur, frere du Roi, fut le Médiateur. Mr. Quinault alloit voir souvent Despreaux, mais si l'on en croit le Commentateur de Despreaux (i), ce n'étoit que pour avoir occasion de lui faire voir ses Ouvrages : il n'a voulu se raccommoder avec moi, disoit Mr. Despreaux, que pour me parler de ses vers, & il ne me parle jamais des miens. II me semble, tout bien considéré, que le procédé du fameux Satirique François envers Quinault n'est pas tout-à-fait exemt de blâme [D]. Pour revenir à Quinault, le Roi fut si content de lui, qu'il lui donna deux mille Livres de pension ; & Lulli, ayant remarqué son talent pour faire des vers propres à être mis en chant, s'engaga à lui donner quatre mille Livres pour chaque Opéra qu'il feroit. Sur la fin de sa vie il eut du regret d'avoir donné son tems à faire des Opéra, & Lully eut beau employer tous les moyens imaginables pour l’engager à continuer, il demeura ferme dans la résolution de ne plus composer des vers, que pour chanter les louanges de Dieu, & les grandes actions du Roi (k). « A peine commençoit il sa cinquante-quatriéme année, qu'il sentit les approches de la mort, insomnies, dégoût, langueur, à quoi les Médecins ne connoissoient rien. Pendant deux ou trois mois il se vit, pour ainsi dire, mourir plusieurs fois par jour, c'étoient de continuelles défaillances : d'ailleurs l'idée de Lully, mort l’année précédente sans beaucoup de préparation, l’avoit frappé : il en profita Chrétiennement, & marqua bien du regret d'avoir empoisonné l'Opéra d'une Morale efféminée, dont les Payens même n'eussent pas souffert chez eux une Ecole publique (l) ». II mourut le 26 Novembre 1688. Il laissa cinq filles, dont trois se firent Religieuses, des deux autres, l'une épousa Mr. le Brun, Auditeur des Comptes, & l'autre Mr. Gaillard, Conseiller de la Cour des Aides. Mr. d'Olivet donne en peu de mots une idée fort avantageuse du caractére de Mr. Quinault : Homme, dit-il, de mœurs très-simples, n'ayant que des passions douces, régulier dans toute sa conduite, bon mari, bon pere de famille.

NOTES (COMMENTAIRES)

[A] Furetiére insinue … qu’il étoit fils d’un boulanger] Mr. l’Abbé d’Olivet assure (1) qu’il étoit de bonne famille. « C’est ainsi, dit-il, qu’en parlent ses contemporains ; ils en devoient être instruits, & leur autorité prévaut à celle d’un imposteur ». Les contemporains que le savant abbé cite, sont, Ménage & Perrault ; mais il me permettra de remarquer, que le dernier ne parle point de la famille de Quinault, & que ce que le premier en dit, confirme plutôt l'insinuation de Furetiére, qu'il ne la contredit. Voici le passage (2). « Mr. Furetiére se seroit pu dispenser de dire beaucoup de choses contre Mr. Quinault. Depuis que Plaute a été le valet d'un Boulanger, comme on le sçait, ce n'est plus un grand déshonneur, ni une tache essentielle à un Poëte d'en être descendu. Les Poëtes ne tirent leur extraction que de la beauté de leurs Ouvrages, & c'est-là qu'il faut aller chercher leur noblesse. C'est-là l'endroit le plus sensible à un Poëte, qui se croit allié aux plus nobles familles du Parnasse par le titre seul de ses Ouvrages. Il n'y a que ses descendans, qui ont la sottise de négliger cette demiére origine, & de ne se piquer que de l'autre, en quoi leurs peres n'ont jamais établi leur honneur ». II n'y a là rien qui marque que Mr. Quinault fût d'une bonne famille. Mais quand même Furetiére auroit dit vrai, Mr. Quinault n'en mériteroit que plus d'estime, comme le remarque judicieusement Mr. d'Olivet : « bien loin, dit-il, de m'en taire, je me ferois un devoir de le dire en faveur de ceux qui viennent au monde avec des talens pour tout héritage. On les anime par ces sortes d'exemples : la distance qu'ils croyoient voir entre eux, & la gloire, disparoìt à leurs yeux ; ils aspirent à se donner un mérite, qui les venge de la fortune » . Il y a beaucoup d'apparence, que ce sont les talens de Quinault, qui ont fait sa fortune. Perrault (3) dit qu'il étoit un de ces génies heureux, qui réussissent dans tout ce qu'ils entreprennent, & qui ayant reçu de la nature une idée du beau trés-vive & tres-distincte, y conforment avec facilité tout ce qu'ils font, souvent meme sans le secours des Maîtres & des préceptes.

[B] Ce fut à dix-huit ans qu'il composa sa premiére Comédie qui fut représentée avec succès qui fut suivie d'un grand nombre d'autres.] Voici ce que nous apprend là-dessus Ménage (4). « Lorsqu'il fit ses premiéres Piéces, elles étoient si goûtées & si fort applaudies, que l'on entendoit le Brouhaha à deux rues de l'Hôtel de Bourgogne ». Mr. Perrault rapporte à cette occasion une avanture assez singuliére. Je ne puis m'empescher dit-il (5), de rapporter icy une chose, à la vérité peu importante, mais qui marque bien l'estendue & la facilité de son esprit. Cet Avocat au Conseil (chez qui Quinault s'étoit mis) le chargea de mener une de ses parties, Gentilhomme d'esprit & de mérite, chez son Rapporteur, pour l'instruire de son affaire. Le Rapporteur ne s'estant pas trouvé chez luy, & ne devant revenir que fort tard, Mr. Quinault proposa au Gentilhomme de le mener à la Comédie en attendant, & de le bien placer sur le Théatre. A peine y furent-ils, que tout ce qu'il y avoit de gens de la plus haute qualité vinrent embrasser Mr. Quinault & le féliciter sur la beauté de sa Piéce, qu'ils venoient voir représenter, à ce qu'ils disoient, pour la troisiéme ou quatriéme fois. Le Gentilhomme estonné de ce qu'il entendoit, le fut encore davantage quand on joua la Comédie, où le Parterre & les Loges retentissoient sans cesse des applaudissemens qu'on y donnoit. Quelque grande que fust sa surprise, elle fut encore toute autre, lorsqu'estant chez son Rapporteur, il entendist Mr. Quinault lui expliquer son affaire, non seulement avec une netteté incroyable, mais avec des raisons, qui en faisoient voir la justice avec tant d'évidence, qu'il ne douta plus du gain de sa cause. Les Comédies de Mr. Quinault, ajoûte Perrault, furent pendant dix ou douze ans les délices de Paris & de toute la France, quoyque les Connoisseurs de profession prétendissent qu'il n'y en avoit aucune où les régles fussent bien observées : imagination toute pure, qui n'avoit d'autre fondement, que la fausse prévention où ils estoient, qu'un jeune homme qui n'avoit pas estudié à fond la Poétique d'Aristote, ne pouvoit faire de bonnes piéces de Théatre ». Donnons à présent le Catalogue des Piéces de sa façon. I. Les Rivales, Comédie en cinq Actes, en vers. Paris 1661 in-12. Cette Piéce, qu'il composa à l'âge de dix-huit ans, fut représentée en 1653, avec un grand succès. II. La généreuse Ingratitude, Tragicomédie Pastorale, en cinq Actes, en vers, dédiée à Mr. le Prince de Conti, avec une Ode au même. Paris 1657 in-12. Cette Piéce fut représentée en 1654. III. L'Amant indiscret, ou le Maître étourdi, Comédie en cinq Actes en vers, représentée en 1654. Paris 1664 in-12. IV. La Comédie sans Comédie, en cinq Actes en vers, représentée en 1655. Paris 1657 in-12. Cette Piéce est un composé de différentes espéces, d'une Pastorale, intitulée Elomire, d'une Comédie du Docteur de Verre, d'une Tragédie qui a pour titre Clorinde, & d'un Opéra d'Armide & Renaud. V. Le Mariage de Cambyse, Tragi-Comédie représentée en 1656. Paris 1659 in-12. VI. La Mort de Cyrus, Tragédie, représentée en 1656, Paris 1659 in-12. VII. Le Fantôme Amoureux, Tragi-Comédie, représentée en 1656, Paris 1657 in-12. VIII. Stratonice, Tragédie, représentée en 1657. Paris 1660 in-12 : c’est à l’occasion de cette Piéce que Despreaux lâcha un trait bien satirique contre Quinault (6) il fait dire à un compagnard :

Je ne sai pas pourquoi l'on vante l’Alexandre.

Ce n'est qu'un glorieux, qui ne dit rien de tendre.

Les Héros chez Quinault parlent bien autrement,

Et jusqu'à je vous hais, tout s'y dit tendrement.

Sur quoi le Commentateur de Despreaux fait cette note: « Dans les Tragédies de Quinault, tous les sentimens sont tournés à la tendresse, jusques dans les endroits, où l'on ne devroit exprimer que de la haine ou de la douleur : c'est pourquoi on l'avoit surnommé le doucereux Quinault. Mr. Despreaux avoit vu jouer Stratonice, Tragédie de ce Poëte, où Floridor faisoit le rôle d'Antiochus, qui est l'Amant ; & la Barone faisoit celui de Stratonice, qui est la Maîtresse. Antiochus disoit bien tendrement à Stratonice, Vous me haïssez donc ? à quoi Stratonice répondoit aussi d'un air passionné, j'y mets toute ma gloire. Enfin après avoir tourné en plusieurs façons les mots de haine & de haïr, la Scéne finissoit par ces deux vers :

Adieu, croyez toujours que ma haine est extrême,

Prince, & si je vous hais, haïssez-moi de-même.

C'est particuliérement cet endroit que Mr. Despreaux a eu en vuë. Acte II. Scén. 6 & 7. » IX. Les Coups de l’Amour & de la Fortune, Tragi-Comédie, représentée en 1658 ; Paris 1660 in-12. X. Le feint Alcibiade, Tragi-Comédie, représentée en 1658 ; Paris 1658 in-12. X. Amalasonte, Tragédie, représentée en 1658 ; Paris 1658 in-12. Cette Piéce eut peu de succès, & ne fut jouée que sept fois. XII. Agrippa Roi d'Albe, ou le faux Tiberinus, Tragi-Comédie, représentée en 1660 ; Paris 1660 in-12. Celle-ci eut un grand succès. XIII. Astrate Roi de Tyr, Tragédie ; Paris 1663 in-12. Cette Piéce fut jouée en 1663 à l'Hôtel de Bourgogne, pendant près de trois mois, avec un si grand succès, que les Comédiens la mirent au double. Mr. de Sallo en parla dans le Journal des Sçavans, en termes très-avantageux (7). « Les applaudissemens, dit-il, qu'on a donnez à l'Astrate dans toutes les représentations, que l'on en a faites, ne sçauroient passer que pour légitimes ; puisque dans la simple lecture de cette Piéce on découvre les mêmes grâces, qui l'ont fait admirer sur le Théatre. II n'est pas nécessaire d'en expliquer ici le sujet, & il suffit que l'on sçache qu'il s'y voit un combat de la nature & de l'amour, où l'Auteur n'a rien oublié de tout ce qui se pouvoit dire de plus fort sur cette matiére. De plus cette Piéce a de la tendresse partout, & de cette tendresse délicate, qui est si propre à Mr. Quinault. L'on y remarque aussi plusieurs maximes nouvelles de Politique & d'Amour, qui sont poussées dans toute leur estendue. Les vers en sont magnifiques & bien tournez ; & les incidens, tout surprenans qu'ils paroîssent, se démêlent sans peine & sans violence ». Mr. Despreaux fut d'un autre avis, & osa s'élever contre le jugement du Public (8) :

— — — Avez-vous vu l'Astrate ?

Cest-là ce qu'on appelle un Ouvrage achevé.

Surtout l'Anneau Royal me semble bien trouvé.

Son sujet est conduit d'une belle maniére ;

Et chaque Acte en sa Piéce est une Piéce entiére.

Sur le dernier vers Mr. Brossette donne le Commmentaire suivant. [«] Une des premiéres régles du Théatre, est qu'il ne faut qu'une Action pour le sujet d'une Piéce Dramatique, & cette Action doit non seulement être complette, mais continuée jusqu'à la fin sans aucune interruption. Or notre Auteur prétend que dans l'Astrate, l'Action théatrale est interrompue à la fin de chaque Acte ; ce qui fait autant d'Actions, qu'il y a d'Actes dans la Piéce. Cette Critique est très-fìne. J'ai relu l'Astrate, m'a dit Mr. Despreaux, j'ai été étonné que je n'en aie pas dit davantage dans ma Satire, car il n'y a rien de plus ridicule, & il semble que tout y ait été fait exprès en dépit du bon-sens. A la fin, on dit à Astrate , que sa Maîtresse est empoisonnée : cela se dit devant elle ; & il répond pour toute chose, Madame ! Cela n'est-il pas bien touchant ? Nous disions autrefois qu'il valoit bien mieux mettre, Trédame ». La Critique est rude, & j'ai de la peine à concevoir, qu'une Piéce applaudie pendant trois-mois, & reçue avec tant d'admiration par le Public, soit aussi ridicule, & faite en dépit du bon-sens, comme le voudroit persuader Mr. Despreaux. II paroît qu'il en vouloit à Mr. Quinault, car cette même Piéce se trouve encore attaquée dans le Dialogue intitulé, les Héros de Roman (9), où après avoir fait dire à Astrate qu'il y a un Historien Latin, qui dit de lui Astratus vixit, Astrate a vécu ; lui fait ajoûter ensuite, « C'est sur ce bel argument qu’on a composé une Tragédie intitulée du nom d’Astrate, où les passions tragiques sont maniées si adroitemment, que les spectateurs y rient à gorge déployée depuis le commencement jusqu'à la fin, tandis que moi j'y pleure toujours, &c. » En prenant des tours aussi peu conformes à la vérité, il n'y a rien qu'on ne puisse ridiculiser. Je trouve dans le P. Niceron (10) que malgré cette Critique cette Piéce fait encore un bel effet au Théatre. XIV. La Mere coquette, ou les Amans brouillés, Comédie en cinq Actes en vers, représentée en 1664 ; Paris 1664 in -12. « Cette Piéce, dit le P. Niceron, fut généralement applaudie, & elle est restée au Théatre : Des Connoisseurs veulent même, qu'il n'y ait pas quatre Piéces de Molière qu'on lui puisse préférer ». C'est beaucoup dire : je m'en rapporte volontiers aux Connoisseurs sur ces matiéres. XV. Belleropbon, Tragédie, représentée en 1665, Paris 1671 in-12. Cette Piéce fut sifflée. XVI. Pausanias, Tragédie, représentée en 1666 ; Paris 1666 in-12. C'est la derniére Piéce qu'il ait donnée au Théatre François. Il ne travailla plus qu'à des Opéra.

[C] Commença à travailler à des Opéra.] Ménage le regarde en quelque façon comme le pere de cette espéce de Piéces. « Mr. Quinault, dit-il (11), est parmi nous l'Auteur d'une nouvelle espéce de Poëme, je veux dire, des Opéra, où je doute que jamais l'on puisse réussir mieux que lui ». Mr. l'Abbé d'Olivet nous apprend quelque chose de plus, & qui fait honneur à Quinault. « Alors, dit-il (12), l'Opéra ne faisoit que naître en France ; mais l'art incomparable de Lulli eut bien-tôt porté ce spectacle à une perfection, où les Italiens eux-mêmes, qui en sont les inventeurs, ne l'ont jamais vu chez eux. Parmi tout ce qu'il y avoit de Poëtes en ce tems-là (& jamais la France n'en a eu, ni de meilleurs, ni en plus grand nombre) Lulli préféra Mr. Quinault, dans qui se trouvoient réunies diverses qualités, dont chacune en particulier avoit son prix, & dont l assemblage faisoit un homme unique en son genre : une oreille délicate, pour ne choisir que des paroles harmonieuses ; un goût tourné á la tendresse, pour varier en cent & cent maniéres les sentimens consacrés à cette espéce de Tragédie ; une grande facilité á rimer, pour être toujours prêt à servir le Roi au besoin ; une docilité encore plus rare, pour se conformer toujours aux idées ou même au caprice du Musicien ». Mr. Riccoboni conjecture, que les Opéra d'Italie servirent de modèle à Quinault. Comme la France, dit-il (13) , n'avoit point d'autre modéle à prendre pour les Opéra que ceux d’Italie, je suis tenté de croire que Quinault les a suivis dans ses Opéra. Proserpine a été donnée à Venise l'an 1644, & la Proserpine de Quinault est de 1680. Persée fut chanté à Venise l'an 1665 & Quinault le donna à Paris en 1682. L'an 1639 il parut à Venise un Opéra d’Armide, & Quinault exécuta le même sujet à Paris en 1686. II y a toute apparence que ces sujets ont servi en quelque maniére de modéle au Lyrique François. Je n'ai pas examiné ces Opéra Italiens, n'ayant jamais été à portée de les voir, ainsi je ne puis en dire davantage : mais ce qui me le fait penser, c'est que dans les commencemens de l'Opéra en Italie, on inséroit dans les Tragédies en Musique les plus sérieuses, des Vieilles ou des Confidentes & des Valets comiques, ce que Quinault a entiérement imité dans ses premiers Opéra : Voici la liste des Piéces que Quinault a faites en ce genre. I. Les Fêtes de l'Amour & de Bacchus, Pastorale en trois Actes, représentée par l'Académie Royale de Musique en 1672. Paris 1672 in-4. II. Cadmus & Hermione, Tragédie représentée avec un Prologue le 17 Avril 1673. Paris 1673 in-4. III. Alceste ou le Triomphe d’Alcide, Tragédie représentée en 1674. Paris 1674 in-4. Dominique & Romagnesi ont fait une Parodie de cet Opéra, en un Acte, en prose & en Vaudevilles, qui a été représentée le premier Décembre 1728 ; elle se trouve dans le Tome III. des Parodies. IV. Thésée, Tragédie représentée devant le Roi a St. Germain- en- Laye, le 11 Janvier 1675, & ensuite à Paris. Paris 1675 in-4. V. Atys, Tragédie représentée devant le Roi à S. Germain le 10 Janvier 1676, & depuis à Paris. Paris 1676 in-4. Le Sieur Pontan en a fait avec Romagnesi une Parodie en un Acte , qui a été représentée sur le Théâtre Italien le 22 Janvier 1726. Fuselier & d'Orneval l'ont aussi parodié pour l'Opera Comique. « On a dit, pour faire le caractére de quelques Opéra de Quinault, mis en Musique par Lulli, qu'Atys étoit l'Opéra du Roi ; Armide l'Opera des Dames; Phaëton, l'Opéra du Peuple ; & Isis, l’Opéra des Musiciens (14) ». VI. Isis, Tragédie représentée devant le Roi à St. Germain le 5 Janvier 1677, et depuis sur le Théâtre de l'Opéra. Paris 1677 in-4. VII. Proserpine, Tragédie représentée à St. Germain le 3 Février 1680. Paris 1680 in-4. VIII. Le Triomphe de l'Amour, Ballet à Vingt-quatre Entrées, dansé devant le Roi à St. Germain au mois de Janvier 1681, & ensuite au Palais-Royal. Paris 1681 in-4. Les vers de la Piéce sont de Quinault, ceux pour les personnes de la Cour qui dansérent à ce Ballet, sont de Benserade. IX. Persée, Tragédie, représentée à Paris le 17 Avril 1682. Paris 1682 in-4. Mr. Fuselier a donné une Parodie de cet Opéra, sous le titre d'Arlequin Persée, Comédie en trois Actes, & en Vaudevilles, qui fut jouée au Théâtre Italien le 18 Décembre 1722, & qui se trouve dans le Recueil des Parodies. X. Phaêton, Tragédie représentée par l'Académie-Royale de Musique devant le Roi, au mois de Janvier 1683. Paris 1683 in-4. Il y a eu trois Parodies de cet Opéra. La premiére, jouée sur l'ancien Théâtre Italien le 4 Février 1692, est de Palaprat, en trois Actes, & en Prose, sous le titre Arlequin Pbaëton ; elle se trouve dans le troisiéme Tome du Théatre Italien de Gerhardi. La seconde, en un Acte de Vaudevilles, fut jouée le 11 Décembre 1721 sur le nouveau Théatre ; elle est du Sieur Macharty. La troisiéme, en un Acte mêlé de Prose & de Vaudevilles, fut représentée sur le même Théatre le 22 Février 1731. Elle est de la façon de Dominique & de Romagnesi. XI. Amadis de Gaule, Tragédie représentée à Paris le 15 Janvier 1684. Paris 1684 in-4. Louis XIV. lui-même avoit donné à Quinault le sujet de cet Opéra, qui devoit être représenté à Versailles, pendant le Carnaval de l'année 1684, mais la Reine étant morte dans ce tems-là, le Roi, qui ne vouloit assister à aucun spectacle pendant l’année de son deuil, consentit que cet Opéra fût donné au Public. Ce fut à l'occasion de cette Piéce qu’il fit ces Vers, qu'il intitula l'Opéra difficile :

Ce n'est pas l'Opéra, que je fais pour le Roi,

Qui m'empêche d'être tranquille,

Tout ce qu'on fait pour lui, paroit toujours facile.

La grande peine où je me voi

C’est d'avoir cinq filles chez moi

Dont la moins âgée est nubile.

Je dois les établir, & voudrois le pouvoir,

Mais à suivre Apollon on ne s'enrichit guére ;

C'est avec peu de bien, un terrible devoir

De se sentir pressé d'être cinq fois beaupere.

Quoi cinq Actes devant Notaire

Pour cinq filles qu'il faut pourvoir !

O Ciel ! Peut on jamais avoir

Opéra plus fâcheux à faire ?

C'étoit, comme le remarque Mr. d'Olivet, une plaisanterie toute pure, puisque Quinault étoit riche, comme nous l’avons dit dans le Texte de l'Article. On a fait deux Parodies de l’Amadis. La premiére est de Renard, qui la donna sous le titre de la naissance d’Amadis. Elle est en un Acte mêlé de Prose & de Vers, & fut représentée le 10 Février 1694 sur l'ancien Théatre Italien. On la trouve dans le cinquiéme Tome du Théatre de Gerhardi. La seconde est de Dominique & de Romagnesi, représentée sur le nouveau Théatre le 27 Novembre 1731, pendant une reprise de l'Opéra d'Amadis : elle est intitulée Arlequin Amadis, & est en un Acte en Prose avec des Vaudevilles. XII. Roland, Tragédie, représentée devant le Roi le 8 de Janvier 1685. Paris 1685 in-4. Dominique & Romagnesi ont fait une Parodie de cet Opéra, sous le titre d'Arlequin Roland, en un Acte en Prose avec des Vaudevilles, qui a été représentée le 31 Décembre 1727. Elle se trouve dans le Recueil général des Parodies. Mr. Fuselier en a fait une autre Parodie pour l'Opéra Comique, qui a été jouée en 1717. XIII. Le Temple de la Paix, Ballet, dansé devant le Roi a Fontainebleau le 15 Octobre 1685, & depuis à Versailles & à Paris. Paris 1685 in-4. XIV. Armide, Tragédie représentée le 15 Février 1686. Paris 1686 in-4. Romagnesi & le Sieur Bailly ont fait une Parodie de cet Opéra, en un Acte en Prose & en Vaudevilles, qui a été représentée le 9 Janvier 1725. Ces quatorze Opéra, tous mis en Musique par Lully, se trouvent dans les trois premiers Volumes du Recueil des Opéra, imprimés a Paris & en Hollande in-12. Ils ont aussi été imprimés & gravés séparément avec la Musique. Toutes les Piéces Dramatiques de Quinault ont été imprimées plusieurs fois ensemble. Le Pere Niceron (15) parle d'une Edition d'Amsterdam de 1697 en cinq Volumes in-12, qui est, dit-il, fort belle, je ne sai s'il ne se trompe point. Voici le sujet de mon doute. En 1714 on vit paroître á Amsterdam, chez Pierre de Coup, le Thèatre de Mr. Quinault. Nouvelle Edition augmentée, &c. 1715 en 2 voll. in -12. Les Auteurs du Journal Litéraire (16) remarquèrent que cette Edition n'étoit autre chose, qu'un Recueil de diverses Piéces de Quinault, imprimées en Hollande en différentes années depuis 1662 jusqu'en 1708 ; à quoi l'on avoit ajoûté une Préface assez maigre, accompagnée de deux nouveaux Titres. Ils observent ensuite, que le Théatre de Mr. Quinault a été imprimé à Paris & en Hollande. La derniére Edition, ajoûtent-ils, que nous en connoissons, est celle d'Amsterdam, en 1667 [sans doute une erreur pour 1697], en deux Volumes in-douze. Quoi qu'il en soit, il cn parut la même année 1715 une Edition à Paris en cinq Volumes in 12, sous le titre : Le Théatre de Mr. Quinault, contenant ses Tragédies & Opéra. Derniére Edition, augmentée de sa Vie, d'une Dissertation sur ses Ouvrages, & l'Origine de l'Opéra. Cette Edition, dit le P. Niceron, est fort vilaine & très fautive. La Vie de Quinault est de Boscheron, & elle n'est point différente de la Dissertation sur ses Ouvrages, & de l’Origine de l'Opéra, comme on pourroit le croire sur le titre. Outre les Ouvrages dont nous avons parlé, Quinault a composé les paroles Françoises de la Tragédie de Psyché, qui furent mises en Musique par Lully. Le reste est de Moliére & de Pierre Corneille. On trouve auísi quelques Vers de sa façon dans les Recueils de Poësie imprimés de son tems, & on trouve dans ceux de l'Académie quelques-uns de ses Discours. Il a fait outre cela, Lysis & Hesperie, Pastorale Allégorique sur la négociation de la Paix & du Mariage de Louis XIV. en 1660, qui fut représentée au Louvre le 9 Décembre de la même année. Cette Piéce n'a point été imprimée. L'Auteur de sa Vie indique encore la Description de la Maison de Sceaux de Mr. Colbert, Poëme, dit-il, des plus agréables & des plus ingénieux ; une petite Comédie, intitulée les Madrigaux, un Poème imparfait sur la destruction de l'Hérésie, & un grand nombre d'autres petites Piéces en Prose & en Vers sur différens sujets.

[D] Le procédé du fameux Satirique François en vers. Quinault n'est pas tout-à fait exemt de blâme.] Mr. Despreaux étant réconcilié avec Mr. Quinault, il semble qu'il auroit dû le ménager un peu, & ne pas à chaque occasion lâcher des traits contre lui, comme il n'a pas laissé de le faire : quoiqu'on ne goûte pas ce que fait un Ami, on ne se fait pas un malin plaisir de l'exposer à la risée, & il y a certainement dans Boileau des traits contre Quinault, postérieurs à leur réconciliation. Perrault & Despreaux au reste ont porté de cet Auteur des jugemens bien opposés. Voici comment en parle le premier (17). « Quand il fut mort, & que divers Auteurs, quoique très-habiles, eurent fait voir qu'ils ne pouvoient atteindre au mesme degré de perfection, il n'est pas croyable à quel point sa réputation s'augmenta. On ne s'est pas contenté de dire, qu'il estoit un Poëte excellent dans le Lyrique du Théatre, & que personne ni des Anciens ni des Modernes ne l'avoit égalé dans cette espéce de Poésie, on a esté jusqu'à dire, & à le dire tout d'une voix, qu'il n'en viendroit peut-estre jamais un autre qui l'égalast ». Voyons ce qu'en dit Despreaux (18). « Je ne veux point offenser la mémoire de Mr. Quinault, qui malgré tous nos démêlés Poétiques, est mort mon Ami. Mais ses vers n'étoient pas d'une grande force, ni d'une grande élévation ; & c'étoit leur foiblesse même qui les rendoit d'autant plus propres pour le Musicien, auquel ils doivent leur principale gloire ; puisqu'il n'y a en effet de tous ses Ouvrages que les Opéra qui soient recherchés. Encore est il bon que les Notes de Musique les accompagnent. Car pour les autres Piéces de Théatre, qu'il a faites en fort grand nombre, il y a longtems qu'on ne les jouë plus, & on ne se souvient pas même qu'elles ayent été faites ». Je ne sai si Quinault ne se ressent pas un peu de la mauvaise humeur de Despreaux contre Perrault. Mr. l'Abbé d Olivet fait une petite remarque, par laquelle nous finirons. « Mais, pourroit-on dire à Mr. Despreaux, s'il est nécessaire que nos vers ayent une certaine foiblesse, qui les rende propres pour le Musicien, ne blâmez donc pas Mr. Quinault, puisqu'en ne leur donnant, ni une grande élévation, ni une grande force, il a fait, de votre aveu, ce qu'il devoit ».

NOTES (RÉFÉRENCES)

(1) Hist. de l’Acad. Franç. p.m. 165.

(2) Ménagiana T. II. p.m. 229, 230.

(3) Homm. Ill. de France. P. II. [sic pour P. I] p.m. 81.

(4) Ménagiana T. III. p. 262.

(5) Ubi supra.

(6) Satire III. vers 145 & suiv.

(7) Journ. du 23 mars 1665.

(8) Satire III. vers 194 & suiv.

(9) Oeuv. de Boileau. T. III. p. 345. Ed. d’Amst. 1722 in-12.

(10) Mém. T. XXXIII p. 217.

(11) Ménagiana Tom. III. p. 262.

(12) Hist. de l’Académ. Franç. p.m. 160, 167.

(13) Réflex. Hist. & Critiq. sur les différens Theat. de l’Europe. p. 109

(14) Niceron Ubi supra. p. 218.

(15) Loc. cit. p. 223.

(16) Tom. V. p. 162.

(17) Hom. Ill. ubi supra.

(18) III. Réfl. Crit. sur Longin. T. III. p. 177, 178.

(a) D’Olivet Hist. de l’Acad. François. p.m. 166.

(b) Homm. Ill. de France. P. I. p. 81. Edit in-fol.

(c) Mém. pour l’Hist. des Homm. Ill. Tom. XXXIII. p. 210.

(d) Ménagiana T. II. p. 262. [III ?]

(e) Hist. de l’Acad. loc. cit.

(f) M. d’Olivet se trompe à cet égard, comme il paroît par ce que dit Ménage.

(g) Ubi supra. p. 263.

(h) Hist. de l’Acad. des Inscrpt. T. I. p. 4. Edit de Hollande.

(i) Voy. Art Poëtiq. Chant I. Note sur le vers 222.

(k) Perrault loc. cit. p. 82.

(l) D’Olivet Hist. de l’Académ. Franç. p.m. 169