Le Temple de la Paix

LE TEMPLE

DE

LA PAIX.

BALLET.

DANSÉ DEVANT SA MAJESTÉ

à Fontainebleau le ____ d’Octobre 1685.

A PARIS

PAR CHRISTOPHE BALLARD, seul Imprimeur du

Roi pour la Musique, ruë Saint Jean de Beauvais,

au Mont-Parnasse.

ET SE VEND

A la Porte de l’Académie Royalle de Musique, ruë

Saint Honoré.

M. DC. LXXXX.

Par exprès Commandement de Sa Majesté.


PERSONNAGES.

TROUPES de Nymphes qui dansent.

TROUPES de Bergers et de Bergères qui dansent.

TROUPES de Nymphes, de Bergers et de Bergères qui chantent dans les Chœurs.

CLIMÈNE, Bergère, aimée de Silvandre.

SILVANDRE, Berger, Amant de Climène.

SILVIE, Bergère, aimée de Daphnis.

AMARYLLIS, Bergère, aimée de Lycidas.

AMYNTAS, Berger.

MENALQUE, Berger.

ALCIPPE, Berger, Amant d’Amaryllis.

LYCIDAS, Berger, Amant d’Amaryllis.

THYRSIS, Berger.

ALCIMEDON.

DAPHNIS, Berger, Amant de Silvie.

PHILÈNE, Berger.

TROUPE de Basques qui dansent.

UN jeune Basque, et une Fille Basque qui chantent.

TROUPE de Bretons et de Bretonnes qui dansent.

DEUX Bretonnes qui chantent.

UN Sauvage qui chante seul.

TROUPE de Sauvages qui chantent et qui forment un Choeur.

TROUPE de Sauvages qui dansent.

UN Africain qui chante seul.

TROUPE d’Africains et d’Africaines qui dansent.


LE TEMPLE

DE

LA PAIX.

BALLET.

Le Théâtre représente un Temple environné d’un Bocage. Les Nymphes de ce Bois ont fait élever ce Temple, et elles vont célébrer une Fête pour le dédier solennellement à la Paix. Elles ont fait annoncer cette Fête, et ont invité plusieurs peuples de s’y trouver. Les Bergers et les Bergères des lieux d’alentour commencent à s’assembler avec les Nymphes devant le Temple de la Paix.


CLIMÈNE, et les Chœurs des Nymphes, des Bergers et des Bergères.

Préparons-nous pour la Fête nouvelle,

Le bruit des Concerts nous appelle :

Mêlons nos voix au son des Chalumeaux,

Dansons à l’ombre des Ormeaux.


SILVANDRE.

D’un Roi toujours Vainqueur la Vertu sans exemple

Nous assure un heureux repos.

Les Nymphes de ces lieux ont élevé ce Temple

À l’honneur de la Paix qu’on doit à ce Héros.

La prompte Renommée a publié la Fête

Que dans ce Bois tranquille avec soin on apprête :

Cent Peuples de divers Climats

Viendront entendre nos Musettes,

Et chanter avec nous dans ces belles Retraites

La Paix et ses charmants appas.


SILVIE et AMARYLLIS.

Sans crainte dans nos Prairies

Laissons nos Moutons paissants :

Les Animaux cruels et ravissants,

Sont loin de nos Bergeries :

Dans ces beaux lieux nos soins les plus pressants

Sont de jouir des plaisirs innocents.


CHOEURS DES NYMPHES, DES BERGERS et DES BERGÈRES.

Préparons-nous pour la Fête nouvelle ;

Le bruit des Concerts nous appelle :

Mêlons nos voix au son des Chalumeaux,

Dansons à l’ombre des Ormeaux.


PREMIÈRE ENTRÉE.

Les Nymphes, les Bergers, et les Bergères dansent ensemble.


NYMPHES.

Madame La Princesse de Conty et Mademoiselle de Pienne.

Mesdemoiselles la Fontaine et Demathin, Bergères

BERGERS

Monsieur le Comte de Brionne.

Messieurs Pécourt, Lestang et Favier.

Cette Danse est accompagnée d’une Chanson chantée par Amyntas et par Ménalque.


AMYNTAS et MÉNALQUE.

Charmant repos d’une vie innocente,

Notre bonheur ne dépend que de vous.

Le noir Chagrin suit la Pompe éclatante ;

La Grandeur fait des jaloux.

La Fortune est changeante,

Qui reçoit ses dons doit craindre ses coups.

Charmant repos d’une vie innocente,

Notre bonheur ne dépend que de vous.

Tout nous enchante,

Les vrais plaisirs ne sont faits que pour nous,

Notre âme est contente ;

Quel sort est plus doux ?

Charmant repos d’une vie innocente,

Notre bonheur ne dépend que de vous.


ALCIPPE.

Le Prince qui poursuit avec un soin extrême

Les Hôtes furieux des Forêts d’alentour,

Aime assez nos Concerts pour les offrir lui-même

Au grand Roi dont il tient le jour.


LYCIDAS, et les Chœurs des Nymphes, des Bergers et des Bergères.

Que ce Roi Vainqueur a de gloire !

Le sort du Monde est en ses mains.

Le bonheur des Humains

Est le seul prix qu’il veut de sa Victoire.


THYRSIS.

La gloire lui suffit, ses vœux sont satisfaits.

Il est content d’humilier l’Audace,

Et d’enchaîner la Guerre pour jamais :

Les seuls Ennemis qu’il menace

Sont les Ennemis de la Paix.


SILVIE.

Pour rendre son Empire heureux et florissant

Ses travaux trouvent tout facile :

Il est toujours agissant,

Et paraît toujours tranquille.


ALCIMÉDON.

Entre les autres Rois, ce Roi victorieux

Est tel que l’on dépeint entre les autres Dieux

Celui qui lance le tonnerre.

C’est l’Auteur glorieux

Du repos de la Terre ;

C’est l’Effroi des Audacieux

Qui voudraient rallumer la guerre :

C’est le don le plus précieux

Que nous ayons reçu des Cieux.

Les Chœurs des Nymphes, des Bergers et des Bergères répètent ces deux derniers vers.

C’est le Don le plus précieux

Que nous ayons reçu des Cieux.


SECONDE ENTRÉE.

Une nouvelle Troupe de Nymphes, de Bergers et de Bergères vient en dansant au Temple de la Paix.


NYMPHES

MADAME LA DUCHESSE DE BOURBON.

Mademoiselle de Blois, Mademoiselle d’Armagnac.

BERGÈRES

Mademoiselle d’Uzès, Madame l’Euvetain, Mademoiselle d’Estrées, et Mademoiselle Bréard.

BERGERS

MONSIEUR LE PRINCE D’ENRICHEMONT.

Monsieur le Chevalier de Sully. Monsieur le Comte de Guiche. Monsieur le Chevalier de Saucourt.

TROIS JEUNES BERGERS.

Monsieur le Chevalier de Châteauneuf. Le petit Allemand et le petit Magny.


DAPHNIS, et les Chœurs des Nymphes des Bergers et des Bergères.

La gloire où ce Vainqueur aspire,

Est de faire aimer son Empire.

Il répand ses faveurs jusques dans nos Hameaux ;

Notre repos est son ouvrage :

Il compte pour ses jours les plus doux, les plus beaux,

Ceux qu’il signale davantage

Par des bienfaits nouveaux.


SILVIE.

On compterait plutôt les épis qu’on moissonne,

Les Roses du Printemps, et les Fruits de l’Automne,

Que les Biens qu’on doit à ses soins :

C’est lui qui se ressent le moins

Du repos qu’il nous donne.


CLIMÈNE.

Sans cesse bénissons ce Vainqueur généreux.

Jouissons sous ses lois d’un sort digne d’envie,

Que le Ciel prenne soin d’une si belle Vie ;

Nous ne formons point d’autres vœux,

C’est assez pour nous rendre heureux.


Les deux Troupes de Nymphes, de Bergers et de Bergères unissent leurs voix et dansent ensemble.


CHOEURS de Nymphes de Bergers et de Bergères.

Jouissons sous ses lois d’un sort digne d’envie,

Que le Ciel prenne soin d’une si fidèle Vie ;

Nous ne formons point d’autres vœux,

C’est assez pour nous rendre heureux.


Les Nymphes, les Bergers et les Bergères se placent sur des sièges de gazon autour de Temple de la Paix, et y attendent les peuples qui doivent venir à la Fête.

Daphnis et Silvandre font tout bas une conversation qui les engage insensiblement dans une contestation qui leur fait élever la voix.


DAPHNIS ET SILVANDRE ensemble.

DAPHNIS.

Malheureux       } un Amant fidèle !

SILVANDRE.

Trop heureux    } un Amant fidèle !


DAPHNIS.

Malheureux      }

SILVANDRE.

Trop heureux   }

Un cœur engagé dans les nœuds

D’une amour éternelle !


DAPHNIS.

Malheureux       } un Amant fidèle !

SILVANDRE.

Trop heureux    } un Amant fidèle !


DAPHNIS.

Gardons-nous, gardons-nous

D’une amour tendre.


SILVANDRE.

Est-il rien de plus doux ?

Pourquoi nous en défendre ?


SILVANDRE et DAPHNIS ensemble.

SILVANDRE.

} Non, il n’est point de plaisir plus charmant

DAPHNIS.

} Non il n’est point de plus cruel tourment.


SILVANDRE.

Pour nous juger veux-tu choisir Philène ?


DAPHNIS.

J’en suis content, on ne peut mieux choisir.


Philène sort de l’endroit où il était placé, et vient entendre Silvandre et Daphnis.


DAPHNIS.

Je soutiens que l’amour est toujours une peine.


SILVANDRE.

Je soutiens que l’amour n’est jamais sans plaisir.

Pour un cœur toujours sévère

Que la vie a peu d’appas !

Les Plaisirs ne règnent guère

Où les Amours ne sont pas.


DAPHNIS.

Dans les beaux jours le doux Zéphyr

Fait moins naître de fleurs

Que le cruel Amour dans son funeste Empire

Ne fait verser de pleurs.


Les Nymphes, les Bergers et les Bergères, se partagent en deux Partis, dont l’un est du sentiment de Daphnis, et l’autre de l’opinion de Silvandre.


Le Parti de DAPHNIS, et le Parti de SILVANDRE ensemble.

LE PARTI DE DAPHNIS.

Malheureux    } un Amant fidèle !

LE PARTI DE SILVANDRE.

Trop heureux } un Amant fidèle !


LE PARTI DE DAPHNIS.

Malheureux   }

LE PARTI DE SILVANDRE.

Trop heureux }

Un cœur engagé dans les nœuds

D’une amour éternelle !


LE PARTI DE DAPHNIS.

Gardons-nous, gardons-nous

D’une amour tendre.


LE PARTI DE SILVANDRE.

Est-il rien de plus doux ?

Pourquoi nous en défendre ?


Le Parti de DAPHNIS, et le Parti de SILVANDRE ensemble.

LE PARTI DE SILVANDRE.

Non, il n’est point de plaisir plus charmant

LE PARTI DE DAPHNIS.

Non, il n’est point de plus cruel tourment.


PHILÈNE.

La Paix règne dans ce Bocage,

Et sans cesse à nos Jeux elle doit présider.

Ne disputez pas davantage,

Bergers, il faut vous accorder.


Il est doux d’être amant d’une Bergère aimable,

Mais il est dangereux

D’être trop amoureux :

L’excès d’amour rend un cœur misérable,

Un peu d’amour suffit pour être heureux.


Les deux Partis s’accordent, et répètent ensemble les derniers Vers que Philène a chantés.


LES CHOEURS.

Il est doux d’être amant d’une Bergère aimable,

Mais il est dangereux

D’être trop amoureux ;

L’excès d’amour rend un cœur misérable,

Un peu d’amour suffit pour être heureux.


Les Nymphes, les Bergers et les Bergères reprennent leurs places.


TROISIÈME ENTRÉE.

Les Basques devancent les autres Peuples qui doivent venir au Temple de la Paix, ils y arrivent en dansant à la manière de leur Pays.


FILLES BASQUES

MADAME LA DUCHESSE DE BOURBON.

Mesdemoiselles Laurent, et le Paintre.

DEUX PETITS BASQUES.

Monsieur le Marquis de Châteauneuf. Le petit Magny.

SIX GRANDS BASQUES.

Monsieur le Comte de Brionne.

Messieurs Pécourt, Lestang, Faure, du Mirail et Magny.

Deux Basques chantent au milieu des Danses.


CHANSON DES BASQUES.

Suivons l’aimable Paix qui nous appelle,

Mille nouveaux Plaisirs sont avec elle.

L’Amour promet ici des Jours heureux,

Et sans alarmes :

Il bannit les Soins fâcheux.

Que l’Amour a de charmes

Quand il vient avec les Jeux !

Nous fuyons la Beauté toujours sévère ;

Les Fers que nous portons ne pèsent guère.

L’Amour promet ici des Jours heureux,

Et sans alarmes :

Il bannit les Soins fâcheux.

Que l’Amour a de charmes

Quand il vient avec les Jeux !


Silvie se lève avec inquiétude du siège de gazon où elle était assise, elle se tire à l’écart, et va rêver sous un épais feuillage.


SILVIE.

Qu’êtes-vous devenu doux calme de mes sens ?

Mille troubles secrets sans cesse renaissants

M’agitent dans ce lieu paisible.

Trop heureux un Cœur insensible

À qui l’amour est inconnu !

Doux calme de mes sens qu’êtes-vous devenu ?


Daphnis voyant Silvie s’éloigner des Bergères ses compagnes, la suit pour lui parler de l’amour qu’il a pour elle.


DAPHNIS.

Je te suivrai toujours trop aimable Silvie,

Tes beaux yeux sur mon cœur n’ont que trop de pouvoir,

Quand il m’en coûterait le repos de ma vie

Je ne puis trop payer le plaisir de te voir.


SILVIE.

Dans ces lieux fortunés tout doit être tranquille,

Que ne m’y laisses-tu rêver ?

Je cherche en vain la Paix, mon soin est inutile,

Tu m’empêches de la trouver.


DAPHNIS.

Tu veux me fuir, belle Inhumaine ;

Puis-je sans toi goûter les doux plaisirs

Qu’une charmante Paix ramène ?

Crains-tu d’entendre les soupirs

D’un tendre amour dont tu causes la peine ?

Bergère insensible as-tu peur

Que mon mal ne touche ton cœur ?


SILVIE.

Tu me dis qu’un amour extrême

Est un tourment fatal :

Pourquoi veux-tu que j’aime ?

Pourquoi me veux-tu tant de mal ?


DAPHNIS.

L’amour de lui-même est aimable ;

C’est toi, Bergère impitoyable

C’est toi qui dans mon cœur en veux faire un tourment,

Tu peux d’un mot favorable

En faire un plaisir charmant.

Ne te rendras-tu point à ma persévérance ?

Tu ne me réponds pas ? Que me dit ton silence ?

Pourquoi frémir en m’écoutant ?

Et qui peut de la voix t’interdire l’usage ?


SILVIE.

Si je parlais davantage

Je ne t’en dirais pas tant.


DAPHNIS.

Ciel ! Le cœur de Silvie avec le mien s’engage !

Ô Ciel ! Fut-il jamais un Berger plus content !


SILVIE.

Ne m’offre point ton cœur su tu ne me promets

Qu’il portera toujours une chaîne si belle.

Il vaudrait mieux n’aimer jamais

Que de ne pas aimer d’une amour éternelle.


DAPHNIS.

Le frileuse Hirondelle

Cherchera les Frimas, et craindra le retour

De la Saison nouvelle,

Plutôt que je sois infidèle,

Et que j’éteigne mon amour.


SILVIE.

L’Astre qui nous donne le jour

Perdra sa lumière immortelle,

Plutôt que je sois infidèle

Et que j’éteigne mon amour.


DAPHNIS et SILVIE.

Heureux les tendres Cœurs

Où l’Amour est d’intelligence

Avec la Paix et l’Innocence :

Heureux les tendres Cœurs

Où l’Amour et la Paix unissent leurs douceurs.


Les Nymphes, les Bergers et les Bergères s’intéressent dans le bonheur de Daphnis et de Silvie, et répètent les vers que ce Berger et cette Bergère ont chantés.


LES CHOEURS.

Heureux les tendres Cœurs

Où l’Amour est d’intelligence

Avec la Paix et l’Innocence :

Heureux les tendres Cœurs

Où l’Amour et la Paix unissent leurs douceurs.


QUATRIÈME ENTRÉE.

Une troupe de Bretons et de Bretonnes vient prendre part à la Fête qui se fait devant le Temple de la Paix. Ces Peuples témoignent leur joie en dansant, et font entendre par une chanson qui accompagne leur Danse, qu’ils se proposent d’éviter les troubles de l’amour, et de conserver toujours la tranquillité dont ils jouissent.


FILLES DE BRETAGNE

MADAME LA PRINCESSE DE CONTY.

Mademoiselle de Pienne. Mademoiselle Roland. Mesdemoiselles de la Fontaine, et Bréard.

BRETONS

Monsieur le Comte de Brionne.

Messieurs Pécourt, Lestang, Favier l’Aîné, et du Mirail.


CHANSON chantée par deux Bretonnes.

La Paix revient dans cet asile,

Rien n’est si doux que ses attraits.

N’aimons jamais,

Il est trop difficile

D’unir toujours l’Amour avec la Paix.

* * *

Heureux un Cœur libre et tranquille !

Tous ses désirs sont satisfaits.

N’aimons jamais,

Il est trop difficile

D’unir toujours l’Amour avec la Paix.


Silvandre amoureux de Climène, veut s’approcher d’elle pour lui parler, Climène le fuit avec empressement, et paraît irritée contre ce Berger ; il en est tout surpris qu’il croyait être aimé de cette Bergère.


SILVANDRE.

Je ne vois dans vos yeux qu’une colère extrême,

Ô Ciel ! quel changement !

Vous m’aviez tant promis de m’aimer constamment,

Est-ce ainsi que l’on aime ?


CLIMÈNE.

Allez, laissez mon cœur en paix.

Ingrat, ne me voyez jamais.


SILVANDRE.

Je vivrais sans vous voir ! Quel supplice est plus rude !

Vous m’accusez d’ingratitude !

Apprenez-moi du moins les crimes que j’ai faits.


CLIMÈNE.

Allez, laissez mon cœur en paix.


SILVANDRE.

Climène, j’ai promis de vous être fidèle,

Fussiez-vous cent fois plus cruelle.

De nouveau, je vous le promets.


CLIMÈNE.

Ingrat, ne me voyez jamais.


SILVANDRE.

Je pourrais être Ingrat ! Et vous le pourriez croire !

Que devient cet amour si doux, si plein d’attraits …


CLIMÈNE.

N’en rappelez pas la mémoire,

Non, votre trahison n’en serait que plus noire.

Allez, laissez mon cœur en paix.

Ingrat, ne me voyez jamais.


SILVIE, arrêtant Climène.

Quoi, ne veux-tu pas voir une Fête si belle ?


SILVANDRE.

Climène m’abandonne à ma douleur mortelle.


SILVIE.

Quels différents peuvent naître entre vous ?

L’Amour unit vos cœurs de ses nœuds les plus doux.

La Paix descend du Ciel pour bannir les alarmes,

Et fait en cent climats régner un calme heureux.

Ne peut-elle étendre ses charmes

Jusques dans l’Empire amoureux ?


SILVANDRE.

Que la colère

De ma Bergère,

Est terrible pour moi !

Rien ne m’inspire tant d’effroi

Que le malheur de lui déplaire.

La Foudre prête à m’accabler

Me ferait moins trembler

Que la colère

De ma Bergère.


CLIMÈNE parlant à Silvie.

Non, ne t’oppose point à mes ressentiments,

Ne me contrains point à l’entendre.


SILVIE.

Lorsqu’un amour fidèle et tendre

Vous doit donner des jours charmants,

Quel plaisir pouvez-vous prendre

À vous faire des tourments ?


CLIMÈNE.

Ce berger trompeur s’engage

Dans de nouvelles amours :

S’il n’eût point été volage

Je l’aurais aimé toujours.

L’ingrat m’a fait une offense

Dont mon cœur a profité,

Et c’est à son inconstance

Que je dois ma liberté.


Pour épouser Céphise il devient infidèle.


SILVANDRE.

Mon Père avait dessein de m’unir avec elle ;

Mais son dessein fatal change en cet heureux jour,

Désormais notre hymen est son unique envie.

Je perdrais plutôt la vie

Que de trahir notre amour.


SILVIE.

La colère qui te possède

Doit finir avec ton erreur.


CLIMÈNE.

Un doux calme succède

Au trouble de mon cœur.


SILVIE.

Aimez désormais sans craintes,

Vivez exempts de soupçons,

Et changez vos tristes plaintes

En d’agréables chansons.


SILVANDRE, CLIMÈNE et SILVIE.

Ainsi qu’après l’orage,

Le céleste Flambeau

Sort du sombre nuage,

Et n’en est que plus beau

Après la tempête cruelle

Qu’excitent les soupçons jaloux,

L’Amour tendre et fidèle

N’en devient que plus doux.


Les Nymphes, les Bergers et les Bergères qui ont été témoins du raccommodement de Silvandre et de Climène répètent ce que Silvandre, Climène et Silvie ont chanté ensemble.


Ainsi qu’après l’orage,

Le céleste Flambeau

Sort du sombre nuage,

Et n’en est que plus beau

Après la tempête cruelle

Qu’excitent les soupçons jaloux,

L’Amour tendre et fidèle

N’en devient que plus doux.


CINQUIÈME ENTRÉE.

Les Sauvages des Provinces de l’Amérique qui dépendent de la France, viennent au Temple de la Paix, et font connaître par leurs chansons, et par leurs danses, le plaisir qu’ils ont d’être sous l’Empire d’un Roi puissant et glorieux qui les fait jouir d’une heureuse tranquillité.


SAUVAGES AMÉRICAINS.

MONSIEUR LE MARQUIS DE MOÏ.

Monsieur Beauchamp. Messieurs Pécourt, du Mirail, Joubert, Magny, Faure, le PETIT Allemand, et le petit Magny.


UN SAUVAGE.

Nous avons traversé le vaste sein de l’Onde,

Pour venir rendre hommage au plus puissant des Rois :

Il préfère au bonheur d’être Vainqueur du Monde

La gloire de tenir dans une paix profonde

Ses Ennemis vaincus cent et cent fois.

Son Nom est révéré des Nations sauvages.

Jusqu’aux plus reculés Rivages

Tout retentit du bruit de ses Exploits.

Ah ! qu’il est doux de vivre sous ses lois.

Le Chœur des Sauvages répète ces quatre Vers.

Son Nom est révéré des Nations sauvages.

Jusqu’aux plus reculés Rivages

Tout retentit du bruit de ses Exploits.

Ah ! qu’il est doux de vivre sous ses lois.


Une partie des Sauvages chante au milieu des Danses des autres Sauvages.


CHŒUR DES SAUVAGES.

Dans ces lieux, il faut que tout ressente

Le retour d’une Paix si charmante.

Les Amants sont les seuls désormais

Que l’on doit entendre ici se plaindre :

Sans l’Amour et sans ses traits

Tout serait en paix,

On n’aurait plus rien à craindre.

* * *

L’heureux Sort qu’un doux repos prépare

Doit charmer le cœur le plus barbare.

Les Amants sont les seuls désormais

Que l’on doit entendre ici se plaindre :

Sans l’Amour et sans ses traits

Tout serait en paix,

On n’aurait plus rien à craindre.


Lycidas aime Amaryllis, et n’a pas encore osé lui déclarer son amour. Il voit avec inquiétude qu’Alcippe est assis près de cette Bergère ; il s’écarte des autres Bergers pour rêver en liberté ; et pour soupirer en secret.


LYCIDAS.

Douce Paix qui dans ces Retraites

Établissez votre séjour,

Ah ! vos douceurs ne sont pas faites

Pour les Cœurs troublés par l’Amour !

Toute charmante que vous êtes,

Vous ne sauriez calmer par votre heureux retour

Mes inquiétudes secrètes.

Douce Paix qui dans ces Retraites

Établissez votre séjour,

Ah ! vos douceurs ne sont pas faites

Pour les Cœurs troublés par l’Amour.


Amaryllis qui a fait dessein de fuir l’amour, et de conserver toujours sa liberté et son repos, s’éloigne d’Alcippe qui veut lui parler de l’amour qu’il a pour elle, et s’approche sans y penser du lieu où est Lycidas.


ALCIPPE, suivant Amaryllis.

Te plaindras-tu toujours de l’amour tendre

Qui me contraint à te suivre en tous lieux ?

Est-ce à mon cœur qu’il t’en faut prendre ?

N’en accuse que tes beaux yeux.


LYCIDAS.

Tu ne connais pas, Inhumaine,

Tous les Amants que tu tiens enchaînés :

Ce ne sont pas les plus infortunés

Qui t’osent parler de leur peine.

Tel meurt pour tes appas

Qui ne te le dit pas.


AMARYLLIS.

Délivrez-vous d’une chaîne

Qui ne peut vous causer que de cruels tourments.

Je vous ai dit cent fois que je hais les Amants,

Pourquoi cherchez-vous ma haine ?


LYCIDAS.

Si les Bergers que tu rends amoureux

Sont certains d’attirer ta haine et ta colère

Je suis sûr d’être malheureux,

Je ne pourrai jamais cesser de te déplaire.


AMARYLLIS.

Rien ne m’engagera sous l’amoureuse loi.

Combien d’Amants manquent de foi,

Et n’en font pas de grands scrupules !

On s’expose en aimant à de mortels dangers,

On ne trouve que trop d’infidèles Bergers,

Malheur aux Bergères crédules.


ALCIPPE.

Deviens sensible à ma langueur.

Je t’aimerai d’une amour éternelle.

Ah ! Bergère cruelle,

Pour qui veux-tu garder ton cœur ?


LYCIDAS et ALCIPPE.

Choisis l’Amant le plus fidèle,

C’est moi qui dois fléchir ta barbare rigueur.

Ah ! Bergère cruelle,

Pour qui veux-tu garder ton cœur ?


AMARYLLIS.

Je garde mon cœur pour moi-même,

Il ne sera point agité.

Quel bien vaut la douceur extrême

D’une heureuse tranquillité ?


LYCIDAS et ALCIPPE.

Dégageons-nous, s’il est possible,

Cessons d’aimer une Insensible.


AMARYLLIS.

N’aimons que la liberté,

Rien n’a tant de charmes.

L’Amour coûte trop de larmes ;

Sa plus douce félicité

N’est jamais exempte d’alarmes,

N’aimons que la liberté,

Rien n’a tant de charmes.


AMARYLLIS, LYCIDAS, et ALCIPPE.

Ô bienheureuse Paix,

Rendez mon cœur tranquille ;

Ô bienheureuse Paix,

Ne nous quittez jamais.


LYCIDAS.

Sans vous, le plus grand bien est un bien inutile,

Tous les plaisirs sans vous sont imparfaits.


AMARYLLIS, LYCIDAS, et ALCIPPE.

Ô bienheureuse Paix,

Rendez mon cœur tranquille ;

Ô bienheureuse Paix,

Ne nous quittez jamais.

LES CHOEURS répètent ces deux vers.

Ô bienheureuse Paix,

Ne nous quittez jamais.


SIXIÈME ET DERNIÈRE ENTRÉE.

Les Peuples d’Afrique qui se souviennent encore des malheurs que la guerre leur a causés, viennent au Temple de la Paix témoigner la joie qu’ils ressentent d’éprouver la clémence du Vainqueur, et de jouir du repos qu’il leur a donné.


AFRICAINES.

Mademoiselle de Blois. Mademoiselle d’Armagnac.

Mademoiselle Roland, Mesdemoiselles de la Fontaine, et Bréard.

AFRICAINS.

Monsieur le Comte de Brionne.

Messieurs Pécourt, Lestang, et Favier.


UN AFRICAIN.

Quel bonheur pour la France

D’être sous la puissance

D’un Roi si renommé !

Le plus ardent désir dont il est animé

C’est de faire régner la Paix et l’abondance.

Quel Peuple n’est point alarmé

Quand ce Héros fait tonner sa vengeance ?

Malheur à qui s’expose à la foudre qu’il lance.

Qu’il est doux de le voir quand il est désarmé !

Quel bonheur pour la France

D’être sous la puissance

D’un Roi si renommé.


Les Peuples d’Afrique dansent, et tous les Chœurs se réunissent pour chanter la gloire du Roi Victorieux, qui a donné la Paix à tant de différentes Nations.


LES CHOEURS.

Chantons tous sa Valeur triomphante.

Chantons tous sa Vertu bienfaisante.

Il soumet à ses lois ses plus fiers Ennemis,

Il prend soin du bonheur de ceux qu’il a soumis.

Que la Gloire à jamais le couronne :

Jouissons du repos qu’il nous donne,

Que cent Peuples divers comblés de ses bienfaits

Prennent part avec nous aux plaisirs de la Paix.


UN AFRICAIN.

Gardons-nous d’attirer sa colère

Ne songeons désormais qu’à lui plaire.

Son Tonnerre a laissé sur les Bords Africains

Un exemple terrible au reste des Humains.


LES CHOEURS.

Quel Empire eût jamais tant de charmes !

Sous ses lois nous vivons sans alarmes.

Les plus doux de ses vœux

Sont de nous rendre heureux.

UN SAUVAGE, et les Chœurs.

On le craint aux deux bouts de la Terre,

Et son Nom glorieux vole au-delà des Mers ;

Il contraint le Démon de la Guerre,

À rentrer pour jamais dans le fond des Enfers.


LES CHOEURS.

Chantons tous sa Valeur triomphante.

Chantons tous sa Vertu bienfaisante.

Il soumet à ses lois ses plus fiers Ennemis,

Il prend soin du bonheur de ceux qu’il a soumis.

Que la Gloire à jamais le couronne :

Jouissons du repos qu’il nous donne,

Que cent Peuples divers comblés de ses bienfaits

Prennent part avec nous aux plaisirs de la Paix.

    Texte de l'édition Ballard de 1685. L'orthographe a été modernisée, mais sans modifier les lettres majuscules pour de nombreux substantifs. La ponctuation de 1685 a été respectée, à l'exception de quelques erreurs manifestes. En particulier, à la fin d'une dizaine de vers, j'ai remplacé une virgule par un point ou ajouté un point là où il n'y avait aucune ponctuation.

    Cette page présente une version corrigée, dans plusieurs endroits, des transcriptions de l'édition Ballard disponibles sur les sites poésie.net et Théâtre Classique.

! PAGE EN CONSTRUCTION !

Pour plus d'informations, voir mon édition critique qui a paru chez Hermann en octobre 2022.

SOURCES LITTÉRAIRES

A. Le Temple de la paix. Ballet. Dansé devant Sa Majesté à Fontainebleau le [ ] d’Octobre 1685. Paris, Christophe Ballard, 1685.

Seule édition parisienne parue du vivant de l'auteur.

B. Le Temple de la paix. Ballet. Dansé devant Sa Majesté à Fontainebleau le 15. d’Octobre 1685. Paris, Christophe Ballard, 1685.

Même édition que la source A, avec une page de titre différente.

C. Le Temple de la paix. Ballet. Dansé devant Sa Majesté à Fontainebleau le 15. d’Octobre 1685. Sur l'Imprimé. Paris, Christophe Ballard, 1685.

Dans Recueil des opera, des balets, Et des plus belles Pieces en Musique, qui ont été representées depuis dix ou douze ans jusques à présent devant Sa Majesté Tres-Chrêtienne. Tome II. Sur l’Imprimé. A Paris, M. DC. LXXXVIII

Contrefaçon lyonnaise, très fidèle à l'édition Ballard. Quelques petites différences d'orthographe et de majuscules, et au moins une erreur : p. 2, "Laissons nos Moutons puissants", au lieu de "paissants".

D. Le Temple de la paix. Ballet. Dansé devant Sa Maiesté à Fontainebleau le 15. d’Octobre 1685. Suivant la Copie Imprimée à Paris. 1686.

Dans Recueil des opera. Des Ballets, & des plus belles Piéces en Musique, qui ont été représentées depuis dix ou douze-ans jusques à présent devant sa majesté tres-Chrestienne. Tome Troisiéme. Suivant la Copie à Paris. A Amsterdam, Chez Abraham Wolfgang, 1688.

Contrefaçon hollandaise, avec un texte presque identique à celui des éditions parisiennnes. Il y a parfois des différences de ponctuation qui permettent de corriger l'édition Ballard, surtout dans plusieurs cas où il n'y a pas de ponctuation à la fin d'un vers. Par exemple : dans le trio et le choeur à la fin de la quatrième entrée, il n'y a aucune ponctuation à la fin du vers "Et n'en est que plus beau" dans les sources A, B et D. Dans la source C, on trouve un deux-points à la fin du vers chaque fois.

On peut lire Le Temple de la Paix dans le tome III du Recueil général des opéra (Paris, Christophe Ballard, 1703), p. 91-120 (sans les noms des personnages dansants), dans le tome V des éditions du Théâtre de Quinault de 1715, 1739 et 1778, dans plusieurs éditions de la Petite Bibliothèque du théâtre à la fin du XVIIIe siècle, et dans le tome II des Oeuvres choisies de 1824 (Paris, Crapelet). Voir la Bibliographie.

SOURCES MUSICALES

A. Le Temple de la paix. Dansé devant Sa Majesté à Fontainebleau. Mis en musique par Monsieur de Lully [...]. Paris, Christophe Ballard, 1685.

Cette source présente plusieurs variantes dans les paroles et les noms des personnages.

B. Livre de musique, manuscrit, entre 1688 et 1699 selon le catalogue de la BnF (RES F-768).

Source incomplète. Les paroles sont les mêmes que dans la source A. La seule différence est que, dans la première entrée, la source musicale  A indique "Un Berger" où le livret indique "Thyrsis" et "Alcimédon". La Source B suit le livret ici.