Dreux du Radier

L'EUROPE ILLUSTRE, CONTENANT L'HISTOIRE ABREGÉE des souverains […] des Savans, des Artistes & des Dames celèbres en Europe. Depuis le XVe siécle compris, jusqu’à présent

Par M. Dreux du Radier

TOME CINQUIEME

Paris, Le Breton, 1765 

Les pages ne sont pas numérotées, mais on a ajouté les numéros à la main à l’angle supérieur de chaque page. Selon cette numérotation et celle de la table à la fin, l'article sur Quinault se trouve aux pages 175-176. 

Les articles sont présentés par ordre chronologique des décès, de Martin Luther en 1546 jusqu’à Voltaire en 1765 .


Jean-François Dreux du Radier (1714-1780) était un juriste qui partageait les idées des Philosophes.

Les vers à la fin ("Quinault, seul de cet Art ...") sont extraits du poème "La Musique" (1714) de Serré de Rieu.

M. DC. LXXXVIII

PHILIPPE QUINAULT, Auditeur de la Chambre des Comptes, & l'un des Quarante de l'Académie Françoise, naquit à Paris vers l'an 1635. Je ne prendrai point de parti entre ceux qui le disent d'une bonne Famille, & ceux qui nous l'ont donné pour fils d'un Boulanger. Qu'importe cette discussion à sa mémoire ? Il étoit fils de ses talens ; ce n'est pas sa Généalogie qui intéresse la Postérité; ce sont ses Opéra, ses Poëmes qu'on admire, qu'on chante, qui plaisent dans toute l'Europe à ceux qui possedent notre Langue, & qui en ont le goût cultivé : c'est enfin le père d'Armide qu'on voit en lui, sans regarder le rang plus ou moins élevé de sa naissance. Il dut à Tristan l'Hermite, chez qui il passa quelques années en qualité de Copiste, les premiers principes de la Poësie Françoise. Cette Anecdote Littéraire est prouvée par cette Epigramme, dont le Duc de Montausier donna la pensée.

Elie, ainsi qu'il est écrit

De son manteau, joint à son double esprit;

Récompensa son serviteur fidèle.

Tristan eût suivi ce modèle:

Mais Tristan qu'on mit au tombeau ;

Plus pauvre que n'est un Prophete,

En laissant à Quinault son esprit de Poëte,

Ne put lui laisser de manteau.

Après la mort de Tristan, arrivée en 1652, Quinault qui n'avoit que seize ou dix-sept ans, pensa à prendre un parti dont les ressources fussent plus solides que celles que présente la Poësie : il entra chez un Avocat au Conseil, & y prit quelque teinture des Affaires. Cela ne l'empêcha pas de suivre le goût qu'il avoit pour la Poesie, & à vingt ans il avoit déja donné au Théatre quelques Piéces qui y eurent beaucoup de réussite. Le parti des Affaires qu'il avoit pris, ne fut pas long-tems sans lui procurer sa fortune. Un riche Marchand, qui l'avoit prié de rédiger un compte embarrassant, étant mort, Quinault, jeune, d'une figure agréable, & du caractère le plus sociable qu'on pût trouver, plut à la Veuve qui l'épousa, & lui donna près de quinze mille livres de rente. Il quitta le travail gênant de la Comédie, & acquit une Charge d'Auditeur des Comptes. Lulli venoit de créer l'Opéra : on s'empressoit à lui donner des Piéces pour son Theatre. Quinault fut celui dont le génie se concilia le mieux avec le sien. Ils travaillerent de concert ; & après quelques essais, on vit Alceste, Thésée, Athys, Isis, Proserpine, Persée, Phaeton, Amadis, Roland, & Armide. Les Critiques s'éleverent ; & ces Critiques, à la tête de qui se trouve Boileau, étoient les plus redoutables du Parnasse ; mais leur voix étouffée de leur tems même par les éloges, & leurs jugemens proscrits chez la Postérité, ont fait place à une admiration unanime. Point d'homme de goût qui ne dise aujourd'hui avec un moderne, en parlant de l'Opéra :

Quinault, seul de cet Art pénétra les secrets.

Tous ses mots pour les sons semblent s'offrir exprès.

Sa diction, toûjours facile & naturelle,

Trace de sa pensée une image fidèle.

Ce qu'il conçoit s'exprime avec facilité;

Son tour est doux, lyrique, & n'est point emporté.

Sa scène se soutient dans toutes ses parties;

Son dialogue est plein de justes reparties.

Enfin c'est par Quinault, qu'animé, soûtenu,

Au comble de son Art Baptiste est parvenu.

Sans Baptiste, Quinault n'eût point atteint la place,

Qu'avoué des neuf Sœurs, il occupe au Parnasse.

Mais leurs rares talens, l'un par l'autre embellis,

Du théatre harmonique, éternisent le prix.

En 1693, M. Francine, qui reconnut cette vérité, fit placer au-dessus de l'Orchestre de l'Opéra deux Médaillons dont l'un représentoit Lulli, & l'autre Quinault. Il mourut à Paris le 26 Novembe 1688, âgé de cinquante-trois ans.

Voyez l'Hist. de l'Acad. Fr. de M. P'Abbé Dolivet, tom. II. p. 251. on y trouve le Catalogue des ses Ouvrages. Hommes illustres de Perault, prem. part. p. 81. Titon du Tillet, Parn. Fr. in-fol.p. 406.Menagiana, to. I. pp. 146, 365. édit. d'Holl. in-16, 1713. Siècle de Louis XIV. to. II. p. 186. &c.