Annales dramatiques

   QUINAULT (Philippe), auteur dramatique, membre de l'Académie française, né à Paris en 1635, mort dans la même ville en 1688.

Quinault était fils d'un boulanger, si l'on en croit Furetière, dans son Factum contre l'Académie ; il fut domestique de Mondory, si l'on s'en rapporte à Bayle. Selon nous, quelle que soit son origine, et quelque chose qu'il ait faite dans sa jeunesse, Quinault fut un grand homme. Quoi qu'il en soit, il paraît qu'il entra en qualité de clerc chez un avocat au conseil ; mais le succès de ses premières pièces de théâtre lui ayant acquis l'estime et l'amitié d'un marchand, et ce marchand étant venu a mourir, il épousa sa veuve qui lui apporta quarante mille écus de biens, au moyen desquels il acheta une charge d'auditeur des comptes, en 1671. Ce ne fut pas sans beaucoup de difficultés que MM. de cette chambre lui permirent d'entrer dans leur compagnie. Un homme qui avait paru sur les théâtres, pour y faire représenter ses comédies et ses tragédies, ne devait pas prétendre à cet honneur insigne. Cet incident ridicule donna lieu à cas vers :

Quinault, le plus grand des auteurs,

Dans votre corps, Messieurs, a dessein de paroître;

Puisqu'il a fait tant d'auditeurs,

Pourquoi l'empechez-vous de l'être?

    L'Opéra lui doit les Fêtes de l'Amour et de Bacchus, Cadmus, Alccsie, Thésée, Atys, Isis, Proserpine, le Triomphe de l'Amour, Persée, Phaéton, Amadis de Gaule, Roland, le Temple de la Paix, et Armide. Ses tragédies et ses comédies sont : les Rivales, la Gênéreuse Ingratitude, l'Amant Indiscret, la Comédie sans Comédie, les Coups de l'Amour et de le Fortune, la Mort de Cyrus, Amalazonte, le Mariage de Cambise, le Feint Alcibiade, Stratonice, le Fantôme Amoureux, Agrippa, Astrate, la Mère Coquette ou les Amans Brouillés, Pausanias, et Bellérophon. On lui attribue une tragi-comédie intitulée Iris, et les Amours de Lysis et d'Hespérie.

   Le tems a fixé la réputation de ce poëte, que l'on peut regarder à juste titre comme le père de l'opéra ; mais ce n'est que fort tard que l'on s'est décidé à lui rendre cette justice. On en croyait Boileau sur parole, et l'on regardait comme des décisions absolues quelques hémistiches amenés par la rime, et plus souvent par l'humeur. Les traits que le satirique a lancés contre lui, et qu'il a désavoués dans la suite, n'ont point empêché son nom d'arriver à côté de ceux des génies créateurs qui ont à jamais illustré leur siècle ; car il ne faut compter pour rien les Essais de l'abbé Perrin. Ce sont de ces productions informes, uniquement propres à désigner dans les arts une des routes qu'on doit suivre. Quinault la saisit, la parcourut, la franchit en un instant. Rien ne prouve mieux le mérite de ses ouvrages que l'infériorité de ceux qui sont venus après lui. Dire qu'un opéra se fait lire, c'est en faire le plus grand éloge. Il n'en est point, parmi les opéras de Quinault, qu'on ne lise avec plaisir. Obligé de céder au musicien, rarement on s'aperçoit des sacrifices qu'il lui fait. Quelle énergie dans les détails qui en exigent ! quelle délicatesse dans ceux où règne le sentiment ! quelle foule de traits naturels et ingénieux répandus presque dans chaque scène ! On lui reproche en vain que toutes ses idées ne portent que sur un certain nombre d'expressions. Il est démontré que tous les mots de notre langue ne sont pas susceptibles d'être mis en chant. Cette réserve est donc moins stérilité dans Quinault, qu'une sage économie, qu'un choix heureux. Ce sont les entraves de l'art auxquelles le génie se soumet volontiers, mais toutefois sans paraître moins libre. Quinault, malgré cette contrainte, semble toujours commander à notre langue ; elle se plie à tous les tours qu'il veut lui faire prendre ; et jamais, chez lui, l'expression ne gêne la pensée. On pourrait enfin le comparer à l'héroïne de son chef-d'œuvre qui, avec un petit nombre de paroles, enfantait des prodiges.

    Il faut l'avouer, le prince de nos poëtes lyriques serait à peine admis au second rang parmi les favoris de Melpomène et ceux de Thalie.Toutes ses tragédies sont mollement écrites ; ses héros, plus galans que tragiques, dégénèrent en héros de pastorale et de roman. Il est plus digne de lui-même dans le genre comique. On peut en juger par la Mère Coquette, bien supérieure à ses tragédies.

    Au reste, quoique Boileau n'ait pas fait à ce poëte une réparation proportionnée à la vivacité de ses traits, on peut s'en tenir à ce qu'il dit dans la préface de ses œuvres. « Je n'ai point prétendu qu'il n'y ait beaucoup d'esprit dans les ouvrages de M. Quinault. Dans le tems que j'écrivis contre lui, nous étions tous les deux fort jeunes ; et il n'avait pas fait alors beaucoup d'ouvrages qui lui ont, dans la suite, acquis une juste réputation. »

    Quinault était du caractère le plus aimable. Modeste, sociable, il alliait à de rares talens, des qualités plus rares encore. Qu'il fût fils d'un boulanger, comme le dit Furetière ; qu'il eût été domestique du comédien Mondory, comme l'insinue Bayle dans son Dictionnaire, Quinault, fils de ses œuvres, est, aussi bien que Rousseau, l'un des plus grands hommes que la France ait produits.

Annales dramatiques, ou Dictionnaire général des théâtres, Tome Huitième. QRS, Paris, Chez l’Auteur, Capelle et Renand, Treuttel et Wurtz, Le Normant, 1811, p. 12-15. Cet ouvrage est dû à "Une société de gens de lettres",  dont Babault et A.-P.-F. Ménégault.