Pierre Corneille

Voir aussi les vers de Corneille qu'on peut rattacher au "cycle" Mlle Serment, la muse de Quinault.


Lettre de Corneille à l'abbé de Pure

A Rouen, ce 25 d'avril [1662]

L'estime et l'amitié que j'ai depuis quelque temps pour Mlle Marotte me fait vous avoir une obligation très-singulière de la joie que vous m'avez donnée en m'apprenant son succès et les merveilles de son début. Je l'avois vue ici représenter Amalasonte […]. Puisque MM. Boyer et Quinault sont convaincus de son mérite, je vous conjure de les obliger à me montrer bon exemple ; car outre que je serai bien aise d'avoir quelquefois mon tour à l'Hôtel, ainsi qu'eux […], le déménagement que je prépare pour me transporter à Paris me donne tant d'affaires, que je ne sais si j'aurai assez de liberté d'esprit pour mettre quelque chose cette année sur le théâtre. Ainsi, si ces Messieurs ne les secourent, ainsi que moi, il n'y a pas d'apparence que le Marais se rétablisse ; et quand la machine, qui est aux abois, sera tout à fait défunte, je trouve que ce théâtre ne sera pas en trop bonne posture.

Quand Corneille écrit cette lettre en avril 1662, le théâtre du Marais n’était pas « en trop bonne posture ». Son seul succès récent était La Conquête de la Toison d’or de Corneille, pièce à machines (« la machine » dans sa lettre), qu’on y jouait depuis février 1661, faute d’autre nouveauté. Le fait que Corneille trouvait que Quinault était, avec Boyer, le meilleur espoir pour le Marais est une bonne indication de la réputation des deux poètes dans le monde du théâtre. Quinault continuerait à travailler avec l’Hôtel de Bourgogne, mais Boyer donnerait au Marais, en 1666, Les Amours de Jupiter et de Sémélé.

Il est probable que Corneille avait vu Amalasonte en 1658 à Rouen, joué par la troupe de Molière. Mlle Marotte était la nièce de Mlle Beaupré, qui avait créé de nombreux rôles de Corneille.

Si Corneille confirme la bonne réputation dont jouissait Quinault, on ne peut pas, bien sûr, dire que le créateur du héros cornélien admirait toujours les pièces de son jeune et tendre rival.  En 1663, on lit dans le "Au Lecteur" qui précède son Sophonisbe, qu'il ne veut pas "m'entendre louer d'avoir efféminé mes héros délicats, qui veulent de l'amour partout". Voltaire suggère dans son Commentaire sur Corneille que c'est Quinault qui est visé.


Dans la même veine, il écrit dans son ode "Au Roi sur son retour de Flandre" :

À force de vieillir un auteur perd son rang,

On croit ses vers glacés par la froideur du sang,

Leur dureté rebute, et leur poids incommode,

Et la seule tendresse est toujours à la mode.

Corneille dut écrire ces vers peu de temps après le retour de Louis XIV de la campagne de Flandre en août 1667, entre Astrate et Pausanias.

Et on peut lire dans sa dernière pièce, Suréna (décembre 1674) : 

La tendresse n’est point de l’amour d’un héros. (V, 3, v. 1675)


Voir aussi le passage de la Défense du Sophonisbe de M. de Corneille de Donneau de Visé, qui confirme la bonne réputation de Quinault à cette époque (1663).