Lysis et Hespérie

   Cette pastorale allégorique, peut-être avec musique, fut commandée par Mazarin pour fêter le mariage de Louis XIV avec Marie-Thérèse, infante d'Espagne. Les comédiens de l'Hôtel de Bourgogne la créèrent dans leur théâtre le 26 novembre 1660, après plusieurs répétitions. Le texte en est perdu.

   La date et le lieux de la première sont claires dans la lettre de Loret, datée le 27 novembre 1660 :

Hier, dans l’Hôtel de Bourgogne,

Où quelque estime on me témoigne,

Les Grands Comédiens du Roy

Qui sont excellens, par-ma-foy,

[...]

Joüèrent un Sujet Comique,

Et (qui plus est) allègorique,

De la façon du Sieur Quinaut;

Je ne l’ay vû, ny bas, ny haut,

Id est, en Loge, ny Parterre,

Mais j’ay sceu de Jean et de Pierre,

De Marguerite et d’Izabeau,

Que l’Ouvrage est tout-à-fait beau :

Bref, tant d’honnêtes Gens le virent

Qui de toutes parts s’y rendirent,

Que le lieu fut plus que remply;

Et, mesmes, ce Prince acomply,

Le Cadet du Roy Nôtre Sire,

Dont trop de bien on ne peut dire,

En bonne conche s’y trouva,

Qui ladite Piéce aprouva."

Chappuzeau, dans son Théâtre Français (1674) nous renseigne sur les circonstances de cette commande :

   Le méme Autheur a fait encore un ouvrage sous le nom des Amours de Lysis & d’Hesperie, Pastorale Allegorique sur le sujet de la negotiation de la Paix & du Mariage du Roy. Elle fut composée de concert avec M. de Lyonne sur les memoires qu’en fournit le Cardinal Mazarin, & representée au Louvre par la Troupe Royale. Mais elle n’a pas esté imprimée pour de certaines raisons, & l’original apostillé de Monsieur de Lyonne est resté dans la Bibliotheque de Monsieur Colbert.

Éd. de 1674, p. 107

     La Vie imprimée de Boscheron suit Chappuzeau de très près, mais la Vie manuscrite ajoute d'autres informations:


Un autre ouvrage le [Quinault] mit en fort belle passe en cour ; c’est une pastoralle allegorique, sous le titre des amours de Lysis et d’Hespérie, ou plutôt un poeme pour une rejouïssance sur le mariage du Roi et la conclusion de la paix. Cette piece fut inventée par le poete suivant les Memoires que lui en donna M. de Lyonne, qui les tenoit du cardinal Mazarin. Dabord les Comediens de l’Hôtel de Bourgogne la repeterent plusieurs fois en particulier sur leur Theatre, en donnerent ensuitte quelques representations publiques sur la fin du mois de novembre, où même S.A.R. Monsieur frere du roy alla une fois. Depuis, le cinq decembre, la même troupe de Comediens joua la même pastoralle au Louvre devant toute la cour, et se surpassa en animant de si beaux vers. Ce poeme pour des raisons que l’on ne dit pas, n’a point été mis sous la presse, et le manuscrit du poëte paraphé par le Ministre, a été déposé et remis entre les mains de M. de Baluze bibliothequaire de M. Colbert, pour être conservé et gardé dans sa Bibliothèque. La reception honorable que la cour fit à cette pastorale eleva Quinault sur le pinacle.

Vie manuscrite, p. 33-34

Il parut encore de lui cette année [1660] un Ouvrage sous le nom des Amours de Lysis & d’Hesperie, Pastorale Allegorique sur le sujet de la Négociation de la Paix & du Mariage du Roi. Elle fut composée de concert avec M. de Lyonne, sur les Mémoires qu’en fournit le Cardinal Mazarin, & representée au Louvre devant leurs Majestés le 9 Decembre 1660. La Troupe Royale n’oublia aucun de ses soins pour animer parfaitement une si belle peinture. Cette Piece n’a pas été imprimée pour de certaines raisons, & l’original apostillé de la main de Monsieur de Lyonne, est resté dans la Bibliotheque de Monsieur Colbert.

Vie imprimée, p. 8


    On voit que Boscheron donne deux dates différentes pour une représentation au Louvre, le 5 et le 9 décembre ; il est probable qu'il y eut au moins deux représentations. La dernière date est confirmée par la Gazette de France du 11 décembre, et la première par une lettre de Mme de Maintenon du 7 décembre (t. I, p. 96 ; en décembre 1660 elle n'était pas encore "Mme de Maintenon", mais la veuve du poète Paul Scarron, décédé le 8 octobre ; son deuil l'empêcha d'assister aux représentations) :

On a fait une comédie du mariage du Roi où l’on voit sur le théâtre les rois de France et d’Espagne, l’Infante [Marie-Thérèse], la Reine Mère [Anne d’Autriche], M. le Cardinal [Mazarin], Don Luis de Haro [Premier ministre d'Espagne, negociateur du mariage] et de plus l’Empereur [du Saint-Empire Romain] et la princesse de Savoie. On la joua au Louvre il y a deux jours, et toutes les personnes intéressées en furent fort contentes, c’est une pastorale. Je ne l’ai point vue, car je ne suis plus en état de voir ces choses-là que lorsqu’elles seront imprimées. Je vous enverrai celle-ci dès que je l’aurai.

Éd. Bots, t. I, p. 105


    Le commentaire de Voltaire dans Le Siècle de Louis XIV, chapitre XXV, ajoute des informations supplémentaires :

Le cardinal Mazarin, pour solenniser ce mariage, fit représenter au Louvre l’opéra italien intitulé Ercole amante. Il ne plut pas aux Français. Ils n’y virent avec plaisir que le roi et la reine qui y dansèrent. Le cardinal voulut se signaler par un spectacle plus au goût de la nation. Le secrétaire d’État de Lyonne se chargea de faire composer une espèce de tragédie allégorique, dans le goût de celle de l’Europe, à laquelle le cardinal de Richelieu avait travaillé. Ce fut un bonheur pour le grand Corneille qu’il ne fût pas choisi pour remplir ce mauvais canevas. Le sujet était Lysis et Hespérie. Lysis signifiait la France, et Hespérie l’Espagne. Quinault fut chargé d’y travailler. Il venait de se faire une grande réputation par la pièce du Faux Tiberinus, qui, quoique mauvaise, avait eu un prodigieux succès. Il n’en fut pas de même de Lysis. On l’exécuta au Louvre. Il n’y eut de beau que les machines. […] Quinault, jeune et d’une figure agréable, avait pour lui la cour : Corneille avait son nom et la France.


On ajoutera que Corneille est l'auteur d'une autre oeuvre créée pour fêter le mariage royal, La Toison d'or. On la joua le même mois que Lysis et Hespérie (novembre 1660), au château de Neubourg (près de Rouen), chez le marquis de Sourdéac.