Maucroix

François de Maucroix (1619-1708), Chanoine de Reims, traducteur, poète, épistolier, grand ami de La Fontaine, connaissait probablement Quinault -- chez Fouquet et/ou dans les salons -- mais rien ne le prouve. Je donne ces deux textes parce qu'il s'y agit de Mlle Serment, que Quinault aurait consultée pendant la composition du livret d'Armide. On peut penser à Quinault quand Maucroix dit, dans les stances, qu'il ne fait pas partie de ceux qui "sont en querelle / Avec les Grâces et les Ris" ; Quinault non plus.

Je donne la lettre et les stances d'après les Oeuvres diverses de Maucroix, éd. L. Paris, Reims, 1854, p. 164-168 et p. 196-197. On peut lire la lettre dans l'édition de Renée Kohn, Paris, PUF, 1962, p. 163-165.

LXVI

A Mademoiselle Serment

10 septembre 1686


Est-ce là cette fille que l’on dit qui a tant d’esprit ? Mais si vous êtes si spirituelle, que ne deviniez-vous donc que je traduisois deux homélies, à la prière d'un de mes amis ! que j'ai tout quitté pour cet ouvrage et que voilà qui est fait ! Au lieu de cela, je bâtis ! vous avez bien trouvé votre bâtisseur ! C'est l'ange de mon voisinage ! c'est mon !... Il pense bien à autre chose ! et moi aussi ! il y a un dragon qui garde ce trésor : il n'y fait pas sûr à cent pas à la ronde ! si vous saviez avec quels yeux il regarde les gens ! mais qu'il regarde tant qu'il lui plaira. Il roule inutilement pour moi. Hélas ! je n'y pense point à mal ; le mal que j'y pense me puisse soudain avenir. C'est Rabelais au moins qui dit cela, et je vous l'allègue à telle fin que de raison. Il faut que vous me passiez cela, je m'en vais être plus sage : tant y a que mon coeur n'est point là : voici qui vous le va bien montrer : c'est une petite épigramme que j'ai faite cette nuit ; elle est toute nouvelle, je vous en fais la première montre :


Pourquoi faire un si grand trophée

De la conquête de Margot ?

Vous n'êtes pas le premier sot

Dont une sotte s'est coiffée.

  Vous me demanderez, mais quelle part prenez-vous à cette Margot ? petite ! moins que rien. Je ne suis pourtant pas fâché d'avoir un peu égratigné ses amours. C'est une sotte encore une fois, elle pouvoit mieux choisir. Je lui trouvois de l'esprit, elle est de belle taille, bien faite ; vous avez beau dire, c'est une sotte, je vous en assure, ne m'en parlez plus, car je n'en veux jamais entendre parler. A propos, vous me reprochez que bien souvent ç'ont été les sens qui ont emporté mon cœur ; pour cette fois-là, vous ne devinez pas trop mal, ma chère : quand il y a un peu d'amour en campagne, cela arrive assez souvent; car quoi ! est-ce qu'on verroit une aimable chose et qu'on n'oseroit s'en approcher un peu ! voyez-vous, le corps est si près de l'esprit, on ne sauroit quasi les séparer ; l'esprit commence la noise : on l'admire ; qu'elle est jolie ! Quelle grace ! Quels yeux ! Quelle bouche ! Et puis vient le traître de corps qui demande à être de la partie. Mais là, là, voici bien de quoi convaincre toutes celles qui voudroient m'accuser de légèreté. Par le plus grand bonheur du monde j'ai recouvré un portrait de la personne que j'ai la mieux aimée. Combien il y a-t-il ? Plus de quarante ans ! ce sont bien des ans ! J'en fais faire une copie ; la copie est presque achevée : elle ressemble fort à l'original, qui ressemblait fort à la belle. J'en ai une joie, je ne m'en sens pas ! Eh Margot donc ? Margot ! je ne donnerois pas mon portrait pour toutes les Margots du monde. toutes mes plaies se sont rouvertes : je suis tout rouge de sang, ma pauvre chère, je n'en ai quasi plus dans mes veines. Faites-les-moi venir tous ces prétendus fidèles, tous ces celadons ! après quarante années, auroient ils l'effronterie de soutenir une comparaison ? et Mademoiselle D. H.... ne voudroit pas d'un tel Lycidas ? Nous verrons un peu, après quarante années, si elle aura quelqu'un qui fasse mieux son devoir ! nous verrons, c'est-à-dire, elle verra, car pour moi, j'aurai quelque petite affaire qui m'appellera ailleurs. J'attends avec impatience ce que vous m'avez promis d'elle, alors je vous promets de renoncer à la bonne opinion que j'ai des anciens : je les mettrai tous à ses pieds et moi aussi ; et nous avouerons tous qu'elle est le plus bel auteur, le plus joli , le plus aimable qui fut jamais, sans en excepter Sapho, qui fut aussi un auteur de robe longue, mais qui en usa un peu plus cavalièrement que notre amie, laquelle je jurerois, la main au feu, n'avoir jamais eu de Phaon. Voilà jurer bien hardiment ! eh bien ! si c'est trop, car on dit qu'il ne faut de rien jurer, mettons exclusivement pour contenter tout le monde. Cela ne fait rien à la chose, ce petit perfide qui s'est sacrementé si mal à propos, pourroit bien avoir endommagé en quelque sorte la conscience et mis quelque froideur entre son bon ange et elle : mais je ne crois pas qu'ils en soient venus à une rupture entière. Si je me trompois un peu, en vérité, j'en serois bien aise ! Vous me faites mourir, vous autres prudes; vous purifiez trop toutes choses, vous voulez que le bon vin soit sans lie; mais je ne vous reformerai pas. Adieu, ma très chère demoiselle, tout à vous, c'est à dire entièrement sans réserve.


STANCES

A MADEMOISELLE SERMENT

Cloris, je vous le dis toujours,

Ces faiseurs de pièces tragiques,

Ces chantres de gens héroïques,

Ne chantent pas bien les amours.

 

De beaux mots leurs œuvres sont pleines,

Ils sont sages comme Catons,

Ils sont discrets pour les Hélènes

Et muets pour les Jeannetons.

 

Tout ce qu'on nomme bagatelle

Déplaît à ces rares esprits,

On diroit qu'ils sont en querelle

Avec les Grâces et les Ris.

 

Pour moi, qui hais la muse austère

Et la gravité de ses tons,

Je vous ai choisi, ma bergère,

Pour le sujet de mes chansons.


L. Paris date ces stances de mai 1685, mais pour Marty-Laveaux dans son édition des Poésies diverses de Corneille (1862), elles remontent à 1659, quand Mlle Serment aurait baisé la main du grand poète dramatique : Maucroix « essayait de se faire agréer par elle, et de la détourner de l’attachement qu’elle avait pour Corneille » (appendice, p. 361).  

Leur attribution à Maucroix n'est pas certaine. Elles figurent dans au moins deux anthologies du dix-huitième siècle, anonymes et sans mention de Mlle Serment :