Journal Encyclopédique

Ces deux grands genres [la tragédie de Corneille, la comédie de Molière] étoient établis, lorsque Quinault imagina le sien. Il avoit trop d’esprit, de justesse & de pressentiment, pour ne pas augurer l’impression glorieuse qu’ils feroient dans le cours des siecles, sur l’estime des Nations ; il crut donc qu’il falloit encore à l’extrême opulence où la France étoit montée, un Theatre particulier dont la magnificence fît l’établissement, et dont le merveilleux fût la baze. [1er mai 1756, p. 63]

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Quinault a trouvé ce grand genre ; le merveilleux en est la baze ; tous les Arts concourent à sa magnificence ; mais la Poësie en imagine le plan, en distribue les parties, & les lie l'une à l'autre par une marche théatrale, de laquelle il résulte une exposition claire & des obstacles qui forment un nœud prêt à se dénouer ; il se trouve encore resserré par des circonstances inattendues. L'Art cependant a préparé insensiblement des moyens qui, enfin, menent l'action à un entier dénouement ; voilà la théorie simple d'un Opera. Les combinaisons, lorsqu'elles font bien faites, sont l'Ouvrage de Poësie que je crois le plus difficile, & supposent plusieurs connoissances anterieures, qu'on n'a gueres rencontrées dans le même homme depuis Quinault.

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[Analyse du rôle des machines de la danse, la décoration, le costume…]

Voilà en peu de mots, le composé indispensable du Poëte lyrique. Tel étoit Quinault, cet homme rare, qu'on a trop méconnu dans son tems, pour qu'on ait pû concevoir encore dans le nôtre les disferentes parties qui constituoient son grand talent, & dont l'étude & l'art avoient enrichi en lui la nature. [15 mai 1756, p. 92, 94-95]

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Après cette preuve triomphante de l'énergie, de la tendresse, des grands coups de pinceau, de la noble gaieté dont notre Musique peut embellir sa composition, n'envions point des richesses étrangeres. Nos trésors font plus abondans qu'on ne pense : ne songeons qu'à les mettre en valeur. Notre Langue peut tout produire, notre Poësie aussi féconde, moins précieuse, plus énergique que toute autre, se prêtent sans-peine aux differentes beautés de tous les genres. Nos grands tableaux, qu'aucune autre Musique n'a point encore tenté d'imiter, ces Chœurs sublimes dont la chaleur porte la vie dans les parties de l'action théatrale, auxquelles ils sont liés; ces Ballets animés par des intentions raisonnées, & toujours enchainés à l'objet principal ; les brillantes Simphonies dont notre abondance enrichit les fêtes, la danse, & jusqu'aux Pantomines des autres Nations ; le merveilleux, sur-tout, baze éternelle de notre Théatre lyrique, qui lui assure à jamais la supériorité du genre ; toutes ces ressources valent bien, sans doute, quelques fleurs, souvent artificielles, que nous n'avons pas encore avec assez d'abondance. L'Art peut aisément nous en fournir, & le gout pur de la Nation Françoise nous tiendra toujours en garde contre l'abus que nous pourrions en faire. [1er juin 1756, p. 101-102]


Journal encyclopédique, 1er mai 1756, t. III, 3e partie, dans l'article « Origine de l’Opera en France & en Italie, Etat actuel de leur musique », qui fait partie de Mémoires d’un musicien, p. 31-73. La suite de ces Mémoires se trouve dans le numéro du 15 mai 1756 (t.  IV, première partie), p. 91-113, où on trouve une analyse détaillée « Zoroastre, Opera François », actes I-III, continuée dans le numéro du 1er juin 1756 (t. IV, 2e partie), p. 89-106.