Coqueteau de la Clairière

Cette lettre du dramaturge rouennais Coqueteau de la Clairière est adressée à l’historiographe Michel de Pure, auteur de La Pretieuse ou le mystère des ruelles (1656-1658). Il a tenu une sorte de gazette de la vie intellectuelle parisienne, destinée à des lettrés rouennais. Il avait fait représenter une tragédie, Ostorius, à L’Hôtel de Bourgogne en 1659. Quelques notes explicatives suivent cette lettre intéressante. 

À Monsieur l'abbé de Pure

De Rouen, ce 13 janvier 1660

Je vis hier M. Lacoste et j’espère à son retour voir M. de Lisle... Les nouvelles de son Galant doublé ont été reçues avec toute sorte de joie, et trop de personnes y prennent part pour ne vous en promettre qu’un seul remerciement. Je souhaiterais que nous eussions ici de nouveaux ouvrages, comme nous avons de nouveaux comédiens : je me hasarderais de vous régaler de leurs réussites. Ils nous donnèrent hier le Maître étourdi de Quinault, dont nos critiques condamnèrent la vraisemblance et les entretiens de la mère et de la fille. Les acteurs y réussirent assez bien, et Rosidor qui faisait le maître et Larose le valet s’acquittèrent autant bien de leur emploi qu’on le pouvait souhaiter. Si j’étais M. Quinault, j’aimerais beaucoup mieux retourner à ce genre d’écrire que de m’abaisser à la farce. Sa réputation lui doit être plus chère que son intérêt, et je ne puis concevoir que Stratonice ait besoin d’un secours si peu honnête. Je ne doute point que vous n’ayez assez de pouvoir sur lui pour le défendre d’une surprise que sa complaisance aurait soufferte de la part de quelque comédien. Nous attendons avec impatience le succès de Stilicon, la ruine des brigues que l’on avait faites pour en diminuer l’éclat et le rétablissement de la chaleur des Bourguignons. Toutes les personnes d’ici prennent intérêt à sa réputation. Leurs jugements ont déjà prévenu les suffrages qu’elles attendent, et elles vous souhaitent particulièrement pour témoin de tant de choses. La relation que vous leur en ferez assurera leur jugement et me donnera occasion de me joindre à eux pour vous témoigner combien je suis et sans flatterie,

Monsieur,

Votre très humble et très obligé serviteur,

De la Clairière 

Paris, BnF, manuscrits français 15.209. Cité par Gustave Reynier,Thomas Corneille, Paris, Hachette, 1892, p. 334-335.

Lacoste faisait partie de ce cercle rouennais. M. de Lisle est Thomas Corneille, le frère de Pierre et l’auteur de Stilicon. Il fit jouer sa comédie Le Galant doublé sur le théâtre de l’Hôtel de Bourgogne en 1659.

 

Le Maître étourdi, joué à Rouen le 12 janvier, est la comédie L’Amant indiscret de Quinault, créée à l'Hôtel de Bourgogne cinq ou six ans plus tôt. Rosidor et Larose faisaient partie de la troupe du Théâtre du Marais.

 

Stratonice, tragi-comédie de Quinault, fut créée par l’Hôtel de Bourgogne le 2 janvier 1660. Coqueteau ne l’avait pas vue, mais il avait évidemment entendu dire que la pièce attirait assez peu de spectateurs, bien que, selon Loret, la première représentation fut « fort applaudie / Par un grand nombre de ces gens / Que l’on appelle intelligents ». Le « secours » en question serait une farce, une pièce courte jouée après Stratonice. On faisait souvent accompagner une pièce plus longue par une farce ; l’exemple le mieux connu est celui des Précieuses ridicules de Molière, jouée après la tragédie Cinna de Corneille. Si Coqueteau craint que Quinault ne s’abaisse à la farce, c’est qu’il craint que notre poète ne se laisse convaincre d’écrire une farce (ou d’en commander une à un autre dramaturge) pour accompagner Stratonice. Sur cette tragi-comédie, voir William Brooks, Philippe Quinault, Dramatist, p. 196-197 et, plus récemment, l’édition des tragi-comédies romanesques par W. Brooks et moi-même, p. 363.367.

 

La tragédie Stilicon fut créée à l’Hôtel de Bourgogne 27 janvier 1660, pour remplacer Stratonice. Reynier (Thomas Corneille, p. 28) explique cette « brigue » : « Les comédiens du Marais, fâchés que Thomas les eût quittés, essayèrent, paraît-il, d’organiser une cabale pour faire tomber cet ouvrage ; mais ils ne réussirent pas, et Stilicon fut si bien accueilli, que les comédiens ne voulurent pas choisir d’autre pièce, quand, le jeudi 19 février, ils célébrèrent la publication de la paix des Pyrénées par une représentation d’apparat ».