Lanson

Gustave Lanson (1857-1934) est sans doute le représentant le plus connu de l’histoire littéraire traditionnelle. Son Histoire de la littérature française (1895) fit autorité jusqu’au milieu du vingtième siècle.

Comme nombreux de ces contemporains, Lanson admira La Mère coquette. Dans son chapitre sur les contemporains et successeurs de Molière, on trouve :

« On pourrait faire une place à part à Quinault, pour sa Mère coquette : il y a une observation vraie et fine dans cette idée d’une mère jalouse de sa fille qui la vieillit. »

Une note ajoute :

« Le talent de Quinault est plus comique que tragique. Il eût été un peintre délicat des sentiments fins et modérés. Ses tragédies abondent en traits et en couplets qui font regretter qu’il n’ait pas résolument rejeté, comme plus tard Marivaux, la forme de la tragédie. » (p. 531)

Lanson commence son chapitre sur Racine par quatre pages consacrées à Th. Corneille et à Quinault (535-538). Il présente celui-ci comme « pendant dix ans, le maître de la tragédie : entre Corneille et Racine, il remplit l’interrègne. » Lanson critique les « ressorts artificiels et puérils » de l’action, une tendresse « sèche » et sans sincérité, l’amour qui « égalise les humeurs ». Néanmoins, il reconnaît que les maximes d’amour de Quinault firent le succès de ses pièces et répondait au goût du jour : « la forme supérieure de la vie sociale devenait la vie de cour [qui] trouve son image fidèle […] dans les tragédies de Quinault. »

Lanson est plus dur envers les livrets d’opéra :

« [Quinault] transporta plus tard son goût et ses maximes dans l’opéra, à qui il imposa dès sa naissance la fadeur et la fausseté des sujets comme condition essentielle du genre. […] L’opéra appartiendra, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, à la littérature, autant et presque plus qu’à l’art musical : nous le verrons exercer par son éclat et ses séductions une réelle et parfois fâcheuse influence sur la littérature. »

Lanson termine ces pages par deux paragraphes sur l’importance du ballet de cour et des livrets de Benserade. Il conclut :

« Il faut joindre ces livrets aux œuvres de Quinault, si l’on veut comprendre sur quel public tombèrent les furieux amants de la tragédie racinienne. »

On trouve un jugement plus nuancé, plus positif, dans son article dans le tome 27 de La Grande Encyclopédie, p. 1160-1161.

Les premières comédies de Quinault sont dans le goût espagnol et italien qui dominait encore, fort intriguées et pleines de surprises. La Mère coquette, qui passe pour une comédie de caractère, n’en contient que quelques traits que Quinault prétendait devoir à la Tia y la Sobrina de Moreto, et vaut moins par la peinture de la Mère coquette que par l’analyse des sentiments des Amants brouillés : elle offre de délicates scènes d’amour. Dans les comédies et les tragi-comédies, on ne sent guère chez Quinault l’influence de Corneille : tout ce qui n’est pas original vient de la comédie espagnole et des romans. De là viennent l’artifice des moyens scéniques, la fausseté des sentiments, l’entassement des situations, noté par Boileau :

Et chaque acte en sa pièce est une pièce entière.

Le théâtre de Quinault ne vaudrait que par l’élégance aisée et la distinction un peu sèche du style, s’il n’offrait une peinture peu tragique, mais fine et vraie, des passions de l’amour. Quinault a créé la comédie du sentiment ; il a peint la naissance, les manèges, les combats de l’amour, ses conflits avec l’amour-propre ou l’intérêt social. Dans la forme de la tragédie historique ou légendaire, il a préparé par des scènes charmantes la comédie de Marivaux, qui relève de lui plus que de Racine. Ses opéras présentent les mêmes mérites. Quinault n’a compris ni la valeur poétique ni la beauté pittoresque des sujets mythologiques et romanesques qu’il abordait. Tout en ménageant des effets au décorateur et au musicien, il a continué autant qu’il a pu ses analyses du sentiment, et c’est par là que valent beaucoup de couplets et de scènes de ses opéras. C’est par là qu’il convient de rectifier le jugement de Boileau sur

… Tous ces lieux communs de morale lubrique

Que Lulli réchauffa des feux de sa musique. (Sat. X)

Il y a bien autre chose que des lieux communs dans Quinault. […]

La grande encyclopédie : inventaire raisonné des sciences, des lettres et des arts.

Sous la dir. de MM. Berthelot, Hartwig Derenbourg, A. Giry et al. Tome 27. Paris, H. Lamirault, [1899]