Lettre de 1684

Bibliothèque Nationale de France, manuscrits, Autographes Rothschild, XVIIe siècle, t. XII, p. 728

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Au Roy

Sire,

Il y a vingt quatre ans que je travaille pour les Divertissements de Vostre Majesté; durant les douze premieres années j’ay fait le prologue et les Intermedes de Psiché, l’Eglogue de la Grotte de Versailles, les sujets et les vers de plusieurs Mascarades et Ballets, sans avoir aucune grattification; mais depuis ce temps, Vostre Majesté, en consideration des Opera qu’Elle ma ordonné de composer ma accordé 4000lt pour chaque année; je les ay mesme receus pour les années ou je nay point eu ordre de travailler, et peut estre estoit ce une recompense des douze années ou jay travaillé par ordre de Vostre Majesté, sans avoir rien demandé ny rien receu. Je fis en 1681 l’Opera de Persée, il eust la mesme destinée qu’Amadis que jay fait en 1683: Je les ay commencez tous deux par les ordres de Vostre Majesté, et Elle les les [sic] a laissez tous deux au public; mais quoyque Monsieur de Lully m’eust envoyé mil escus pour Persée, Vostre Majesté considerant le grand profit que Monsieur de Lully avoit tiré de mes ouvrages sans que jy [sic] eusse aucune part, me donne 4000lt pour l’année 1681 comme a l’ordinaire, et Elle eust la bonté de me dire qu’Elle me continueroit tousjours la mesme grace: Jen estois si content que je voulois refuser les mille escus que Monsieur de Lully ma

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envoyez pour Amadis, Monsieur Bontemps en peut rendre tesmoignage, et il scait que c’est le conseil de mes amis qui me les a fait recevoir comme un desdommagement des impressions des Livres d’Opera que Monsieur de Lully ma injustement ostées, et comme un moyen de finir sans esclat des contestatations capables de rompre l’intelligence necessaire entre luy et moy. Je serois encore tout prest a renvoyer les mille escus que jay receus s’ils pouvoient empescher la gratiffication annuelle que Vostre Majesté ma fait esperer, je la considere non seulement comme un grand avantage, mais encore comme un des plus grands honneurs ou je pouvois pretendre, et je ne serois pas consolable si je m’en estois rendu indigne. Je supplie tres humblement Vostre Majesté de m’accorder cette mesme gratiffication de 4000lt pour l’année 1683. Messieurs de Lully, Vigaranny et Beauchamp ont des gratiffications annuelles qui ne cessent point quelque profit qui leur revienne dailleurs, et lorsqu’ils ne font rien pour Vostre Majesté; tous ceux qui sont employez dans vos Divertissements, et ceux mesmes qui ne sont plus capables dy servir jouissent tousjours des gratiffications qui leur ont esté accordées, et j’ose esperer que la liberalité de Vostre Majesté qui récompense si magnifiquement jusqu’aux moindres travaux, ne sera pas moins favorables aux travaux d’esprit qui sont l’ame de tous les autres.

      QUINAULT