Les Hommes illustres

MONSIEUR QUINAULT estoit un de ces Genies heureux qui réüssissent dans tout ce qu’ils entreprennent, & qui ayant receu de la Nature une idée du Beau trés-vive & trés-distincte, y conforment avec facilité tout ce qu’ils font, souvent mesme sans le secours des Maistres & des Preceptes. Au sortir de ses Estudes il s’appliqua à la Poësie pour laquelle il avoit un talent extraordinaire, & composa dés l’âge de quinze ans des Comedies trés-agreables. Dans le mesme temps il se mit chez un Advocat au Conseil pour apprendre les affaires, où bien-tost il se rendit habile.

Je ne puis m’empescher de rapporter icy une chose, à la verité peu importante, mais qui marque bien l’estenduë & la facilité de son esprit. Cet Advocat au Conseil le chargea de mener une de ses Parties, Gentilhomme d’esprit & de merite, chez son Rapporteur pour l’instruire de son affaire. Le Rapporteur ne s’estant pas trouvé chez luy & ne devant revenir que fort tard, M. Quinault proposa au Gentilhomme de le mener à la Comédie en attendant, & de le bien placer sur le Theatre. A peine y furent-ils que tout ce qu’il y avoit de Gens de la plus haute qualité vinrent embrasser M. Quinault & le feliciter sur la beauté de sa Piece qu’ils venoient voir representer, à ce qu’ils disoient, pour la troisiéme ou quatriéme fois. Le Gentilhomme estonné de ce qu’il entendoit, le fut encore davantage quand on joüa la Comedie, où le Parterre & les Loges retentissaient sans cesse des applaudissemens qu’on y donnoit. Quelque grande que fust sa surprise, elle fut encore toute autre, lorsqu’estant chez son Rapporteur il entendit M. Quinault luy expliquer son affaire, non seulement avec une netteté incroyable, mais avec des raisons qui en faisoient voir la justice ayee tant d’évidence, qu’il ne douta plus du gain de sa Cause.

Les Comedies de M. Quinault furent pendant dix ou douze ans les delices de Paris & de toute la France, quoyque les Connoisseurs de Profession prétendissent qu’il n’y en avoit aucune où les regles fussent bien observées : imagination toute pure & qui n’avoit point d’autre fondement que la fausse prévention où ils estoient, qu’un jeune homme qui n’avoit pas estudié à fond la Poëtique d’Aristote ne pouvoit faire de bonnes Pieces de Theatre. Les Opera estant venus à la mode en France, Monsieur Quinault en fit de trés excellens, mais qui n’eurent pas d’abord les applaudissemens sans bornés qu’ils ont receus depuis. On tascha mesme d’en dégoutter M. de Lully, mais cet excellent Homme avoit trop de goust & trop de sens, pour ne pas voir qu’il estoit impossible de faire des Vers plus beaux, plus doux & plus propres à faire paroistre sa Musique. Ce qui le charmoit encore davantage, c’est que Moniteur Quinault avoit le talent de faire des paroles sur les Airs de Danse dont il embellissoit ses Opera, qui y convenoient aussi bien & souvent mieux que si elles avoient esté composées les premieres.

Le Roy, ayant voulu donner à sa Cour le divertissement des Opera, ne voulut point prendre d’autre Auteur que Monsieur Quinault, qui continua à faire encore de plus belles choses, animé qu’il estoit de l’honneur de travailler pour Sa Majesté. Ses Pieces commencerent alors à prendre le dessus, & à se faire estimer de tout le monde. Mais quand il fut mort, et que divers Auteurs quoique trés-habiles eurent fait voir qu’ils ne pouvoient atteindre au mesme degré de perfection, il n’est pas croyable à quel point sa réputation s’augmenta. On ne s’est pas contenté de dire qu’il estoit un Poëte excellent dans le Lyrique du Theatre, & que personne, ni des Anciens, ni des Modernes ne l’avoit égalé dans cette espece de Poësie, on a esté jusqu’à dire, & à le dire tout d’une voix, qu’il n’en viendrait peut-estre jamais un autre qui l’égalast. Il a fait encore beaucoup d’autres Poësies d’un autre genre qui ont esté fort estimées, & qui marquent l’abondance & la delicatesse de son Esprit. De ce nombre est la Description de la Maison de Seaux de M. Colbert ; petit Poëme des plus ingenieux & des plus agreables qui se soient faits de ce temps-cy. La Harangue qu’il prononça en entrant dans l’Academie & deux autres qu’il fit au Roy sur ses Conquestes à la teste de cette Compagnie ont fait voir qu’il n’estoit pas moins bon Orateur que bon Poëte, sur tout lorsqu’ayant appris la nouvelle de la mort de Monsieur de Turenne au moment qu’il alloit haranguer le Roy, il en parla sur le champ d’une maniere si juste & si spirituelle qu’il seroit mal-aisé d’exprimer la surprise qu’en eut toute la Cour, Je ne dois pas oublier que dans la Charge d’Auditeur des Comptes qu’il a exercée pendant quinze ou seize ans, il en a fait toutes les fonctions avec autant d’exactitude, que les plus habiles de ses Confreres qui n’avoient point d’autre employ ny d’autre occupation.

Sur la fin de sa vie il eut regret d’avoir donné son temps à faire des Opera, & il prit la résolution de ne plus composer de Vers que pour chanter les loüanges de Dieu, & les grandes Actions de son Prince. Il commença par un Poëme sur la destruction de l’Heresie, dont voicy les quatre premiers Vers :

      Je n’ay que trop chanté les Jeux & les Amours,

      Sur un ton plus sublime il faut me faire entendre:

            Je vous dis adieu Muse tendre,

            Je vous dis adieu pour tousjours.

Il a laissé deux Filles dans le monde, l’une mariée à Mr. le Brun Auditeur des Comptes Neveu de l’excellent M. Le Brun Premier Peintre du Roy, & l’autre à M.Gaillard Conseiller de la Cour des Aydes. Il mourut le 26. Novembre 1688, âgé de 53 ans.

Charles Perrault, Les Hommes illustres qui ont paru en France pendant ce siècle, tome I, Paris, chez A. Dezallier, 1696, p. 81-82