La Borde

Jean-Benjamin de LA BORDE

Essai sur la musique ancienne et moderne, Paris, Pierres et Onfroy, 1780

(je ne donne pas les notes de La Borde)

   Ce serait ici le moment de répondre à l'Auteur du Traité du Mélodrame, sur le parallèle qu'il fait de Quinault & de Métastase ; sur les reproches qu'il fait au premier, & fur les éloges dont il acable le second. Certainement nous sommes loin de refuser du génie à M. l’Abbé Métastase ; mais nous ne pouvons regarder ses Ouvrages comme des modeles parfaits de la scène lyrique. Il est impossible de les entendre d'un bout à l'autre, fans y éprouver le plus violent ennui. En Italie même, on ne les écoute jamais, & on ne fait silence que pour entendre quelques, arietes, où l'on admire plus les Musiciens que le Poëte.

    Au lieu de reprocher à Quinault ses monologues, remplis de vers charmans, il serait bien plus juste de blâmer ceux des Italiens, qui disent toujours la même chose, & qui finissent presque tous, par une ariete où le chanteur se compare sans cesse à un nocher qui a été batu de la tempete, & qui n'a pas perdu l'espoir.

    Y a-t-il rien dans Quinault d'aussi mauvais que ces rondo assomans, par lesquels toutes les scènes Italienes font terminées? L'intérêt peut-il exister avec ces répétitions éterneles ? Nous n'entreprendrons pas une critique plus étendue des drames des Italiens ; elle nous entraînerait peut-être plus loin que nous ne voudrions, & nous nous contenterons d'assurer deux choses, qui nous paraissent incontestables : la première, c'est qu'il est bien plus aisé de faire un drame parfait, d'un opéra de Quinault, que d'un opéra de Métastase ; & la seconde, que jamais on n'acoutumera les Français à aimer les opéra qui ne seront pas mêlés de danses & de divertissemens. Jamais la véritable tragédie ne sera bien qu'à la Comédie Française ; comme les opéra comiques, malgré les succès apparens de plusieurs qui ont été donnés à la Comédie Italiene, ne seront jamais parfaitement à leur place, qu'à l'Opéra.

Tome I, Livre Premier, p. 52-53

Nous nous contenterons d'assurer que l'Opéra est un spectacle universel, où chacun trouve de quoi contenter son goût. Les partisans de la musique qui composent la classe la plus nombreuse, sont amusés par la variété des airs ; les amateurs de la danse, uniquement attentifs aux divertissemens, ont plus que jamais de quoi se satisfaire par l'abondance &la gaîté des ballets ; les décorations depuis quelque tems paraissent plaire au public ; il n'y a que les poëmes qui ne sont point ensemble avec le reste. Depuis ceux de l'immortel Quinault, quelques-uns seulement ont été trouvés dignes de leur être comparés, & cette disette est la cause de l'ennui que l'on éprouve souvent à ce spectacle, l'Opéra pouvant plutôt se passer de musique parfaite que de paroles intéressantes.

Tome I, Livre II, p. 394

QUINAULT (Philippe), né à Paris, en 1635, fut d'abord domestique de Tristan I'Hermite, qui lui apprit à faire des vers. Il commença par quelques tragédies qui eurent beaucoup de succès, & sont oubliées aujourd'hui. Sa comédie de la Mere coquette a conserve' celui dont elle jouit dès son origine.

    C'est lors de l'époque de cette piece qu'il épousa la veuve d'un Marchand, qui lui ayant donné 300,000 livres, le mit en état d'acheter une charge d’Auditeur des Comptes en 1671. Il avait été reçu de l'Académie Française l'année précédente, & avait renoncé au théâtre de la Comédie pour se livrer entiérement à celui de l'Opéra. Il y travailla constamment depuis l'année 1672 jusqu'à l'année 1686, & mourut â Paris le 28 Novembre 1688, âgé de cinquante-trois ans. ll est inhumé a S. Louis dans l'île.

    Il donna à l'Opéra, en 1672, les Fêtes de l'Amour & de Bacchus, pastorale, dont la musique est de Lully ; en 1674, Cadmus, du même ; Alceste, du même; en 1675, i, du même ; en 1676, Atys, du même ; en 1677, Isis, du même ; en 1680, Proserpine, du même ; en 1681, le Triomphe de l'Amour, du même ; en 1682, Persée, du même ; en 1685, Phaéton, du même ; en 1684, Amadis, du même ; en 1685, Roland, l’ldylle de Versailles, le Temple de la Paix, du même ; en 1686, Armide, du même.

CHANSON.

Enfin la charmante Lisette,

Sensible à mon cruel tourment,

A bien voulu, dessus l'herbette,

M’accorder un heureux moment.

Pressé d'une charge si belle,

Tendre gazon, relevez-vous ;

Il ne faut qu'une bagatelle

Pour alarmer mille jaloux.

Vers à Louis XIV.

Ce n'est point l'opéra que je fais pour le Roi

Qui m'empêche d'être tranquille ;

Tout ce qu’on fait pour lui paraît toujours facile.

La grande peine où je me voi,

C'est d'avoir cinq filles chez moi,

Dont la moins âgée est nubile.

Je dois les établir ; je voudrais le pouvoir ;

Mais à suivre Apollon on ne s'enrichiy gueres,

C'est avec peu de bien un terrible devoir,

De se sentir pressé d'être cinq fois beaupere.

Quoi ! cinq actes devant Notaire,

Pour cinq filles qu'il faut pourvoir !

O Ciel ! peut-on jamais avoir

Opéra plus fâcheux à faire !

    Nous n'avons pas osé risquer notre jugement, sur les poëmes tant vantés, & depuis si longtems, de l’immortel Quinault, & critiqués si amérement depuis quelques années. Nous croyons faire plaisir à nos Lecteurs de mettre sous leurs yeux une dissertation sur les ouvrages de cet aimable Poëte, que M. Marmontel a bien voulu nous confier, avec la permission d'en faire usage. Qui mieux que lui peut connaître ses beautés & ses défauts ?

Tome IV, Livre VI, p. 334-336

Voici un lien vers la "dissertation" de Marmontel, dans l'Essai sur la musique ancienne et moderne de La Borde, p. 336-346.

Je ne l'ai pas trouvé dans les oeuvres de Marmontel.