Express du Midi

Le Tricentenaire de l'Académie

(12 juillet 1932)

[…]

    Or, l’un de ceux qui, en son temps, connut une réputation glorieuse, bien éteinte, et à tort, aujourd’hui, Philippe Quinault, naquit à Paris en 1635. L’Académie Française a l’intention de commémorer son tricentenaire en même temps que le sien.

    Est-ce à dire, en conséquence, qu’elle attendra jusqu’en 1935 ?... Peut-être. Mais tant de centenaires, de commémorations, par suite d’événements politiques, d’actualités ou d’oublis, n’ont pas lieu à leur date précise qu’on ne sait rien encore de certain.

   Et fêter tout particulièrement Quinault, ce poète si charmant, ce maître délicat et parfait qu’il faut imposer comme exemple, comme modèle à tous les auteurs de livrets d’opéras, mérite, ne fût-ce que par reconnaissance, de retenir l’attention de tous les écrivains modernes. Car il est le créateur des droits d’auteurs, avant Molière. Voici comment :

   A peine âgé de 18 ans, Quinault venait de terminer sa comédie en cinq actes, Les Rivales, et il put la faire représenter aussitôt grâce au poète Tristan l’Ermite, plus connu en littérature sous le seul nom de Tristan, « bouffon du grand monde » par sa vie aventureuse libertine et débauchée, qui fut membre de l’Académie Française en 1649 et rival de Corneille par sa tragédie Marianne, représentée sur la scène du Marais en 1636, et dont le succès balança celui du Cid. Il écrivit de nombreux recueils de vers : la Lyre, l’Orphée, Mélanges poétiques ; des Lettres mêlées, des Plaidoyers historiques ; encore de nombreuses tragédies : la Mort de Sénèque, la Mort de Crispe, la Mort du Grand Osman ; enfin, un roman savoureux : Le Pape [sic] disgracié, comparable à Gil Blas.

   Or, une troupe de comédiens offrit à Quinault cinquante écus pour avoir le droit de représenter sa pièce Les Rivales. Le jeune auteur, bien que peu riche, refusa ces cinquante écus, comme le savetier de La Fontaine, en disant qu’il donnerait sa pièce pour rien, à la condition que les comédiens lui réserverait sur chaque représentation le neuvième de la recette. Marché fut conclu, et de ce moment date la part d’auteur, devenue aujourd’hui les droits d’auteur.

   Philippe Quinault était le fils d’un boulanger de Paris. Après s’être attaché au poète Tristan, avoir fait représenter ses Rivales, il chercha une situation plus assise et entra chez un avocat, mais sans abandonner le théâtre. Il se maria en 1661, assez richement, prit le titre d’avocat au Parlement, acheta une charge d’auditeur en la Chambre des Comptes, puis de valet de chambre du Roi. Mais il n’abandonna jamais le théâtre. Distingué par Lulli, qui avait obtenu le privilège de l’Opéra, il devint le créateur d’un nouveau genre dramatique, la tragédie lyrique, en sachant rester maître dans une forme de poésie condamnée à demeurer esclave et servante effacée de la musique.

   Ses succès, avec la collaboration musicale de Lulli, ne se comptent pas. Quinault composa les livrets gracieux de ces opéras qui demeurent, au double titre littéraire et mélodique, si parfaits et si beaux : Cadmus, Alceste, Atys, Proserpine, Persée, Amadis, Roland, Armide, « ce chef-d’œuvre du théâtre lyrique », a écrit la Harpe. Enfin, avec Corneille et Molière, il composa Psyché, musique de Lully, que le théâtre des Tuileries représenta le 17 janvier 1671, dont Molière conçut l’idée et trouva le scénario, dont le vieux Corneille écrivit la célèbre déclaration de l’Amour à Psyché, mais dont Quinault fit tous les vers mis en musique.

   Seul, au théâtre, Quinault a donné : l’Amour Indiscret (1664), les Coups de l’Amour et de la fortune, comédies en 5 actes ; la Mort de Cydnus [sic], le Faux Tibérinus, Astrate, et cette si charmante Mère Coquette (1665), pour ne citer que les principales parmi ses pièces très goûtées de son époque.

   De même qu’un cardinal, Richelieu, créa l’Académie Française, un cardinal et un abbé fondèrent l’Opéra en France : ce furent Mazarin qui fit représenter au Louvre Orphée en 1647 et l’abbé Perrin qui obtint en 1671 le privilège de l’Académie Royale de Musique, avec le musicien Lambert [sic] et le marquis de Sourdéac, qui se ruina en montant leurs opéras à l’hôtel Guénégaud.

   Quinault ne sut pas trouver grâce, malgré tout son charme, aux yeux de Boileau, qui semble ne pas avoir su davantage apprécier La Fontaine. Il le maltraita si bien dans son Art Poétique que de cela provient peut-être en partie la défaveur posthume de Quinault. Sur le tard, on les remit en présence. Boileau tendit la main à Quinault, en lui disant :

    -- Je ne me réconcilie point avec vous, que vous ne conveniez qu’il y a bien des fadeurs dans vos opéras si agréables.

    -- Cela peut bien être, répondit Quinault, qui ajouta malicieusement : mais avouez aussi que vous n’eussiez jamais écrit Atys ni Armide.

   Dans son édition de 1683, Despréaux fit amende honorable complète en avouant dans sa préface :

« J’ajouterais sur Quinault que, dans le temps où j’écrivis contre lui, nous étions tous deux fort jeunes, et qu’il n’avait pas fait alors beaucoup de ces ouvrages qui lui ont dans la suite acquis une juste réputation. »

    Défaite que corroborent les opinions élogieuses de Voltaire et de La Harpe sur la fraîcheur, la douceur, l’harmonie des vers de Quinault, qui savait, à l’occasion et quand il le fallait, y joindre l’énergie ainsi que la noblesse.

    En commémorant son tricentenaire, à quelque date que ce soit, l’Académie Française devrait favoriser une belle représentation de Psyché, avec toutes les merveilles de la machinerie et les danses modernes, car elle glorifierait ainsi du même coup, aux côtés du père des droits d’auteurs et de la tragédie lyrique, Philippe Quinault, et Boileau, père de l’Art Poétique, et Corneille, notre premier grand poète tragique, et Molière, et le merveilleux musicien qu’est Lulli.

Guy de MONTGAILHARD.

Pour un autre article du même journal, sur Armide en 1904, voir Louis Sarrazain.