Portraits

On ne peut vraiment pas dire que la miniature où figure Quinault dans la vignette du "Poème de Sceaux" (1677) soit un portrait. Je la mentionne ici parce qu'elle pourrait être la seule représentation de Quinault faite de son vivant.

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   Le seul portrait connu qui représente certainement Quinault est un anonyme du XVIIe ou du XVIIIe siècle. La date de 1670, inscrite sur le portrait, est vraisemblablement celle de l'élection de Quinault à l'Académie Française, pas de l'exécution du portrait. Pour les raisons que je détaillerai dans le paragraphe suivant, je pense que la date la plus probable est de la fin des années 1720. J'invite tous ceux qui connaissent mieux que moi l'histoire de la peinture de me dire si mes arguments semblent convaincants.

   Le portrait ferait partie d'une série de portraits d'Académiciens commandée par l'Académie à partir de 1726. Les portraits restèrent à l'Institut jusqu'en 1839, quand l'Académie les offrit à Louis-Philippe, pour le musée d'Histoire de France à Versailles. Ils sont de nouveau à l'institut depuis 1987, dans l'appartement de fonction du secrétaire perpétuel de l'Académie. Les recherches de M. Maurice Drouon (secrétaire perpétuel de 1985 à 1999, qui a réuni des reproductions de certains de ces portraits dans un recueil), suggèrent qu'ils furent probablement exécutés à la suite de la séance de l'Académie du 31 août 1726, pendant laquelle on a invité « tous ses membres à donner leur portrait pour estre placez dans la salle où elle tient ses séances odinaires » ; on a également exhorte « ceux qui pourroient recouvrer les portraits des Académiciens morts à lui en faire présent. » Une lettre de d’Olivet au Président Bouhier précise : « A l’égard des cadres, on les fait ici et d’une manière uniforme. Le nom de l’Académicien et l’année de sa réception se lisent dans la bordure d’en bas » (p. 3-4 de l'introduction de M. Druon). Comme le portrait de Quinault a les mêmes dimensions que les autres portraits de la série, et que les noms et les dates d'élection sont d'un style similaire, on peut émettre l'hypothèse que ce portrait aurait été exécuté peu de temps après la séance de 1726.

   Cette hypothèse abonde dans le même sens que l'attribution du portrait à "la collection de l'Académie française" par A. de Boislisle dans l'Appendice XXIII de son édition des Mémoires de Saint-Simon Paris, Hachette, 1891), t. VIII, p. 617 : "Son portrait, de la collection de l'Académie française, est aujourd'hui au musée de Versailles, no 2922". Ce numéro correspond en effet au portrait.

   Voici quelques exemples des portraits de cette série.

  Vaugelas (élu en 1635)

  Colbert (elu en 1667)

  Valincour (élu en 1699)

  d'Argenson (élu en 1718)

  Nivelle de la Chaussée (élu en 1736)


Une autre hypothèse est que le portrait serait l'oeuvre d'Hyacinthe Rigaud, bien qu'il ne soit pas mentionné dans son livre de comptes. Édelinck s'en serait inspiré pour sa gravure de 1696, même s'il n'a pas mis « Hiacinte Rigault pinxit », comme il l'a fait pour le portrait de La Fontaine, par exemple. Cette hypothèse expliquerait la présence d'un portrait de Quinault dans l'inventaire après décès de Mlle Serment. J'ai essayé de réunir les pièces les plus importantes de ce puzzle dans une page consacrée à Rigaud. (Il existe aussi un portrait présumé de Quinault, attribué à Rigaud, vendu aux enchères en 2018.)


Une troisième hypothèse réunit les deux premières : le portrait de l'Académie française serait une copie d'un tableau exécuté dans les dernières années de la vie de Quinault, par Rigaud ou par un autre peintre. Le tableau de Mlle Serment serait ce portrait, ou une copie. Edelinck aurait eu accès à ce premier portrait en 1696 pour faire sa gravure.


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On a cru voir une représentation de Quinault dans un pastel au Musée-Condé de Chantilly (PE 344), mais cette identification est rejetée aujourd'hui. Dans De poudre et de papier : florilège de pastels dans les collections publiques françaises (Versailles, Éd. Artlys, 2004)  Neil Jeffares et Pierre Rosenberg passent en revue les attributions possibles de ce portrait à Nanteuil et à Joseph Vivien, avant de proposer, "avec toutes les réserves d'usage", une autre possibilité, celle d'un Moreau (pronom inconnu) qui travaillait pour la maison Condé à la fin du XVIIe siècle (p. 18). Le portrait est reproduit à la page 19 de l'ouvrage.

Quant à qui pourrait être le modèle de ce pastel, Jeffares et Rosenberg mentionnent Nanteuil (autoportrait), Louvois et "le poète, auteur dramatique et librettiste Philippe Quinault". L'identification avec Quinault semble remonter au catalogue d'Anatole-François Gruyer, Chantilly. Musée Condé. Notice des peintures (Paris, 1899), n° 344, où il proposait d'y voir un « portrait présumé de Quinault, de l’Académie française ».

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Le tableau de Nicolas André Monsiau (1754-1837),« Molière lisant le Tartuffe chez Ninon de l'Enclos », représente Molière entouré de plusieurs personnages de l'époque, dont Quinault. Il fut exposé en 2011-2112 au Petit Palais, avec une description qui donne presque tous les noms des personnages, à partir de la gauche (le cliché de la RMN est inversé). On distingue Pierre Corneille et Lully (rouleau de papier à la main) à gauche, et Quinault est le dernier nom avant celui de Condé, qui est assis à côté de Ninon. Comme il y a moins de noms que de personnes, il est impossible de savoir s'il s'agit de l'homme qui tend les bras vers Molière, ou celui qui est debout derrière lui ; c'est surtout celui-ci qui, me semble-t-il, ressemble aux représentations connues de Quinault.

Les autres hommes représentés sont Molière, Pierre Corneille, Thomas Corneille, Racine, Lafontaine, Boileau, Chapelle, Lully, Mansart, Baron, le grand Condé, Saint Evremond, La Bruyére, Mignard, Girardon, le Maréchal de Vivonne et La Rochefoucault.

Il existe aussi une gravure faite à partir du tableau par Jean-Louis Anselin (1754-1823). Elle est datée ca. 1812 dans le catalogue du British Museum ; cette date correspond à l'exposition du tableau de Monsiau au Salon de 1812.

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Il existe peut-être un portrait de Quinault par Adolphe Henri Dubasty (1814-1884), car la gravure de Bertonnier est présentée comme étant d'après Dubasty. Élève d'Ingres, Dubasty exhiba au Salon de 1842 à 1879. Il fit de nombreux portraits, mais je n'ai pas pu localiser celui dont Bertonnier se serait inspiré. Selon le Département des Estampes de la Bibliothèque Nationale de France, il n'y a aucun portrait de Quinault dans le recueil des oeuvres de Dubasty, sous la cote SNR-3 (Dubasty).

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Ce dessin d'Henri Allouard (1844-1929) illustre l'édition des Oeuvres choisies de Quinault parue chez Sanchez en 1822. Allouard est connu aussi comme sculpteur, comme pastelliste et comme médailliste.