Attributions douteuses ou erronées

On trouvera ici des informations sur plusieurs oeuvres parfois attribuées à Quinault, surtout :

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La Fille généreuse

L'histoire de La Fille généreuse est complexe. Cette tragi-comédie a été datée de 1650 et attribuée à Quinault, alors âgé de 15 ans, par Boscheron dans la version manuscrite de sa Vie. Cependant, cette attribution disparaît de la Vie que Boscheron a publiée en 1715, et il est probable que c'est Boscheron qui l'a enlevée, ou parce qu'il avait changé d'avis, ou que Boffrand, le neveu de Quinault qui a relu le manuscrit, l'avait convaincu que cette oeuvre n'était pas digne de son oncle.

Au XVIIIe siècle, la pièce a été attribuée à Mme de Saint-Balmont (1607-1660). Alain Cullière a montré que cette attribution est erronée ("La Fille généreuse, tragi-comédie en quête d'auteur", Dix-septième Siècle, no. 212, 2001, p. 535-544).

William Brooks a pu pousser plus loin l'étude de cette attribution, grâce à ses connaissances des manuscrits de Boscheron. Il trouve peu probable l'attribution à Quinault, et ce pour deux raisons : les conclusions de Boscheron ne sont pas toujours justifiées, et la pièce ne montre ni la maîtrise de la construction de l'intrigue ni du développement des personnages qu'on trouve dès la première pièce de Quinault, Les Rivales (1653). (Philippe Quinault, Dramatist, p. 40-42)

Il existe deux copies manuscrites de La Fille généreuse :

- BnF, manuscrit 24347, avec une page de titre dans la main de Boscheron. On y lit :

La fille généreuse

Tragi-comédie

[découpé pour faire disparaître le nom de l'auteur ; on distingue des traces de "M Q"]

pour lors âgé de 15 ans et demy

Cette pièce n’a point été imprimée.

1650.

- BnF, manuscrit 25489, disponible sur http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b90075822/f3.image


Portrait d'Iris

Ce portrait en vers de Perrault date de 1655 ou de 1658 (voir la page chronologie). Selon ses Mémoires (éd. Paul Bonnefon, 1909, réimp. 1993, p. 123-124), il en donna une copie à Quinault, qui le montra à une dame qu'il aimait, comme s'il en était l'auteur. Tout Paris crut bientôt que le portrait était de lui, mais il était obligé d'avouer la vérité.

Dans une copie manuscrite du portrait dans les manuscrits de Conrart [BnF, Arsenal, ms 5418, p. 709-711)], on lit, à côté du titre,

« C'est Mme Bordier » ; comme le dit P. Bonnefon dans son édition des Mémoires, "sans doute qu'il y faut voir la désignation de la personne à laquelle Quinault avait fait application de ces compliments en l'air".

A la fin du portrait (p. 711), on trouvé "Quinaut" rayé et remplacé par "Péraut". Obed Ravinovich ("Anonymat et institutions littéraires au XVIIe siècle", p. 90-93) propose une analyse intéressante de cette attribution, selon les "normes galantes". Il a sans doute raison, en s'appuyant sur l'orthogaphe des noms "Péraut" et "Quinaut", de dire que Conrart ne connaissait probablement pas le nom de Perrault. C'est moins sûr pour Quinault, puisqu'on trouve assez souvent "Quinaut" dans des documents de l'époque.

Cet épisode est présenté d'un point de vue hostile par Somaize, dans l'article Polidor. Voir aussi le portrait de Madame Deshoulières par Lignières :

[...]

Et pour imiter la peinture

Qu'a faite le galant Perrault,

(Quoique vous souteniez que c'est messire Quinault),

[...]

On peut lire le portrait de Perrault dans Le Recueil de divers ouvrages [...] de Perrault (1675 et 1676), p. 136-145.


La Satire des Satires

Despréaux ou La Satyre des satyres parut vers 1668 sans nom d'auteur. Boileau l'attribua à l'abbé Cotin, le Trissotin des Femmes savantes de Molière, et cette attribution est généralement acceptée. Cependant, une version plus courte dans un manuscrit de la BnF est attribuée à Quinault, et Boscheron, dans sa Vie manuscrite de Quinault (p. 92-93), attribue un vers de cette satire, "Je nomme Horace Horace et Boileau traducteur", à Quinault (c'est probablement cette satire que Boscheron appelle "Reponse ou Satire contre Boileau" dans sa liste des manuscrits de Quinault, p. 91).

Je n'ai pas pu trouver ce manuscrit à la BnF, la cote donnée par F. Lachèvre (5093 y, dans sa Bibliographie des recueils collectifs de poésies, t. II, p. 429), Duval (Contribution à l’Histoire littéraire de la Marche, p. 29) et Crapelet (5093) ayant été modifiée. Selon Les Satires françaises du XVIIe siècle de F. Fleuret et L. Perceau (Paris, Garnier, 1923), t. I, p. 6, le manuscrit est perdu.

On trouve cette description dans la liste d'ouvrages de Quinault dans l'édition de Crapelet (Oeuvres choisies de Quinault, 1824, p. 6) :

On trouve à la Bibliothèque du Roi, dans un petit cahier (n° 5093), intitulé Recueil de plusieurs Pièces contre Despréaux, en vingt-un feuillets, dont dix seulement sont manuscrits, et le reste blanc, une satire contre Boileau, attribuée à Quinault, dont le nom se lit à la fin, et adressée à M. de Bussy-Rabutin. Cette pièce se compose de quatre-vingts vers ; mais les pensées sont si foibles et le style si trivial, qu'il n'est pas possible de croire que Quinault en soit l'auteur. L'un des vers les plus piquans de cette satire, à cause de l'imitation, est celui-ci : J'appelle Horace Horace, et Boileau traducteur.

On peut lire cette satire dans l'édition du bibliophile Jacob (Paul Lacroix). Lachèvre en donne une version courte, imprimée en 1668.


O Nuit ! que j'aime ton mystère

En 1900 paraît une « Nocturne » de Saint-Saëns, « O Nuit ! que j'aime ton mystère ». Les paroles sont attribuées à Quinault :

O Nuit ! que j'aime ton mystère,

Quand tu répands sur nous ton ombre et ta fraîcheur !

Dans tes bras s'endort la douleur ;

C'est le calme des cieux qui descend sur la terre.

Un Dieu, sous l'abri de tes voiles,

Vient nous soumettre tous à ses égales lois ;

Il prête aux bergers comme aux rois

L'azur de ton manteau tout parsemé d'étoiles.

Je n’ai pas trouvé ces paroles dans l’œuvre de Quinault. Certaines tournures font penser au dix-neuvième siècle plutôt qu’au dix-septième, en particulier « L'azur de ton manteau tout parsemé d'étoiles », qui semble emprunté à « Après le bal » de Théophile Gautier :

O nuit, sous ton manteau tout parsemé d'étoiles,

Cache tes bras de nacre au vent froid exposés.

Semblablement, « Dans tes bras s'endort la douleur » rappelle « Endormeuse des maux et des soucis de ce monde » du même poème.

Le texte de Quinault qui montre le plus de similarités avec ces vers est la dixième entrée du ballet Le Triomphe de l’Amour, même s’ils ne contiennent aucune allusion directe à l’amour. Dans cette entrée, on trouve La Nuit, Le Mystère, Le Silence et Diane, et des vers comme :

Estends, obscure Nuit tes voiles les plus sombres

[…]

Sombre Nuit, cache-moy s’il se peut à moy-mesme.

Preste a mon cœur troublé tes voiles tenebreux.

Comment expliquer cette attribution ? À la fin du dix-neuvième siècle Quinault était peu connu, et il était plus fréquent de trouver ses vers attribués à d’autres poètes, comme Benserade. Serait-ce précisément son « obscurité » qui aurait encouragé quelqu’un à inventer des vers et les attribuer à notre poète ?

Saint-Saëns a peut-être trouvé ces paroles et cette attribution dans un recueil de vers publié par son ami Laurent de Rillé (1828-1915), compositeur d’opérettes, de musique sacrée, d’arrangements et d’écrits sur la pédagogie chorale. Il faisait aussi de la poésie, et on trouve dans ses Chœurs d’Orphéons (Paris, V. Lory, 1896) une « Hymne à la nuit » où les huit vers mis en musique par Saint-Saëns sont présentés comme un chant de Phoebé :

Phoebé, sur sa couche lactée,

Entr’ouvrant ses rideaux, se soulève à demi,

Regarde un pêcheur endormi,

Et jette, sur les flots, son écharpe argentée.

Ce baiser de lumière chaste

Fait frissonner la grève, et l’homme ouvre les yeux.

Il chante, en regardant les cieux

Et la mer confondus dans l’obscurité vaste :

« O nuit ! que j’aime ton mystère,

« Quand tu répands sur nous ton ombre et ta fraîcheur.

« Dans tes bras s'endort la douleur ;

« C'est le calme des cieux qui descend sur la terre.

« Un Dieu, sous l'abri de tes voiles,

« Vient nous soumettre tous à ses égales lois ;

« Il prête, aux bergers comme aux rois,

« L'azur de ton manteau tout parsemé d'étoiles.

La troisième strophe (« Ô nuit […] sur la terre ») est donnée en exergue, attribuée à « P. Quinault ».

Les mêmes paroles figurent dans une partition de Rillé, « Hymne à la nuit », un chœur à trois voix égales d’après Rameau (Hippolyte et Aricie, I, 3)1, dans L’Orphéon des enfants, chez Billaudot. La page de titre porte le numéro 4, du mois de février, mais je n’ai pas pu trouver un exemplaire du recueil qui permettrait d’en connaître l’année. Ce ne serait pas avant 1896, année des premières partitions publiées par Billaudot.

Selon une note du recueil de 1896, cette « Hymne à la nuit » fut « chanté[e] par 3000 voix à l’Exposition universelle de Paris, 1867 ». On lit en effet, dans le compte rendu du festival orphéonique paru dans la Revue et Gazette Musicale du 14 juillet 1867, p. 222, « Les chœurs à grandes et franches lignes ont eu naturellement le plus de succès. […] L’Hymne à la nuit (Rameau) est restée dans une excellente demi-teinte de tonalité, et les bouches fermées ont produit l’illusion de l’écho. […] ». Les « grandes et franches lignes » et les bouches fermées correspondent parfaitement à la musique de Rillé, mais on ne peut pas être certain que les paroles aient été attribuées à Quinault en 1867.

On peut conclure provisoirement, en espérant trouver d’autres informations sur l’exécution de 1867 et sur L’Orphéon des enfants, que :

- Ces paroles ne sont pas de Quinault.

- Saint-Saëns les a peut-être connues dès l'Exposition de 1867. Il gagna le Prix de la Cantate commandé expressément pour l'Exposition avec « Les Noces de Prométhée », sur un texte de Romain Cornut.

- Elles furent attribuées à Quinault en 1896, et probablement en 1867.

1. On trouve au moins deux autres textes chantés sur cette musique d’Hippolyte et Aricie : « Ô Nuit, viens apporter à la terre », qu’on entend dans le film Les Choristes, et « Ô Nuit qu’il est profond ton silence ».


"Marsias allégorie"

Le paragraphe en tête de « Marsias allégorie » la présente comme une satire de Quinault contre le musicien Cariselli, rival de Lully. En réalité, c’est une œuvre dirigée contre Rameau, dans le contexte de la querelle entre Lullistes et Ramistes. L’auteur en est presque certainement Pierre-Charles Roy, poète, librettiste et ennemi de Rameau.

 

Ces vers circulaient en 1737, selon des Gazettes à la main de juillet à septembre de la même année, qui évoquent la querelle entre Rameau et Roy et donnent le texte du poème (Bibliothèque Historique de la Ville de Paris, ms. 617). Le détail en est donné dans un article de Graham Sadler, « Patrons and Pasquinades : Rameau in the 1730s ».

 

L’article de Sadler contient une transcription et une traduction de ces vers, mais je les donne ici selon un manuscrit de la Bibliothèque de Genève, Arch. Tronchin 355, pièce 44. Le texte des deux manuscrits est presque identique, mais je préfère suivre la version du manuscrit que j’ai pu voir, grâce à l’amabilité de l’Archiviste de cette bibliothèque.

 

Le poème fut publié (avec quelques variantes) dans des recueils intitulés Lettre philosophique par Mr. de V** avec plusieurs piéces galantes et nouvelles de differens auteurs. Nouvelle edition augmentée de plusieurs piéces, en 1757 et 1775, sous le titre MARSIAS / ALLÉGORIE CONTRE RAMEAU / Par Roy. Août 1737 (p. 36-40). Une variante est d'un intérêt particulier -- l'attribution "de M. Lully" manque dans l'introduction, p. 36. Ce volume n’est pas mentionné dans l’article de Sadler, mais il confirme ses hypothèses.

 

Il semble que l’origine de l’attribution de ces vers à Quinault est le paragraphe qui introduit « Marsias allégorie », où Roy présente – « malicieusement », comme le dit Sadler (p. 327) – ses vers contre Rameau dans le contexte d’une dispute entre Lully et un autre musicien, Cariselli. Quinault aurait pris la plume pour défendre le Florentin, qui avait mis les rieurs de son côté grâce à un « divertissement […] qui subsiste encore ».

 

Roy n’offre aucun détail sur ce divertissement. Cependant, les frères Parfaict, dans leur histoire manuscrite de l’Académie Royale de Musique, terminée en 1741, donc quatre ans après cette dispute, évoquent le trio « Bondi Cariselli » :

Cariselli était un compositeur italien, qui vint en France, pour offrir ses services au feu roi, persuadé que sa musique l'emporterait de beaucoup sur celle de Lully. Ce dernier, qui connaissait le personnage, fit tenir prêts trois musiciens, qui, aussitôt que Cariselli parut dans la cour du château de Saint-Germain-en-Laye, le saluèrent en chantant le beau trio Bondi Cariselli, que Lully avait composé exprès pour lui. Cette plaisanterie piqua si fort Cariselli qu'il sortit sur-le-champ de Saint-Germain, et reprit le chemin de son pays. La scène de Lully fut bientôt divulguée, il en fut beaucoup ri, et Lully, pour ne point perdre son trio, composa l'entrée qui fait le sujet de cet article [Les Fragments de Lully]. (F-Pn, NAF 6532, f. 104)

 

La scène est belle, et il existe bien un trio « Bondi Cariselli », bien connu dans les années 1730. Seulement, le trio est de Cambert et, à ma connaissance, le musicien Cariselli n'existe pas. Il s'agit plutôt d'un personnage dans Le Jaloux invisible de Brécourt (1666), dont on se moque sur une musique de Cambert, « Bondi Cariselli » (acte III, scène iv). Dans l’article sur Le Jaloux invisible dans leur Histoire du Théâtre Français (1747 ; t. X, p. 129-132), les Parfaict ne mentionnent pas la rivalité avec Cariselli, mais ils affirment que Cambert est le compositeur du trio, et non Lully, « comme beaucoup de personnes le croyent ».

 

Le trio – dûment attribué à Cambert – fait partie de la cinquième entrée des Fragments de M. de Lully de 1702 (Danchet et Campra ; cette entrée est de Campra. « Cariselli » circulait aussi comme un divertissement indépendant, et on put l’entendre en 1711, 1715, 1717, 1729, 1730, 1731, 1738 et 1739. Pour une description de ce divertissement, voir l'article "Cariselli" de Rebecca Harris-Warrick dans le Dictionnaire d l'Opéra de Paris sous l'Ancien Régime.

 

Le récit des Parfaict est repris par plusieurs historiens, comme Lionel de La Laurencie (« André Campra, musicien profane », L'Annee musicale, 3, 1913, p. 159), qui cite assez librement le manuscrit 6532, et Théodore Lajarte dans son entrée « Cariselli. Divertissement comique » (Bibliothèque musicale, t. I, p. 95-96). Ce dernier attribue la musique à Lully, qui se serait emparé de celle de Cambert, et il se demande si ce que rapporte les frères Parfaict est « bien vrai ». Nuitter et Thoinan restent même plus méfiants : « On a même imaginé toute une aventure où ce morceau (le trio « Bondi Cariselli ») aurait joué un rôle » (p. 83).

 

Aujourd’hui, l’attribution du trio à Cambert ne fait pas de toute, et peu d’ouvrages récents sur Lully en parlent. Quant à celle de « Marsias » à Quinault, elle ne figure que dans la présentation de Roy, presque cinquante ans après la mort du librettiste de Lully, et elle est évidemment fausse. L’auteur de la « Relation nouvelle du Parnasse » aurait peut-être pu écrire

Phoebus vengea l’honneur des chants

Doux, harmonieux, touchans,

Il vengea la tendre musique

Present des Dieux qui dans nos sens

Repand un baume simpatique,

mais comment imaginer des vers comme

Puis leurs carcasses accouplerent

L’un et l’autre heurlant bec à bec.

Un vaste monceau de couleuvres

Fut le lit dressé pour leurs œuvres.

sous la plume de Quinault ?


Autres

    Dans Le Songe du Resveur (1660), l'auteur anonyme attribue à Quinault une épigramme contre Somaize.

    Boscheron (Vie manuscrite, p. 78) attribue à Quinault une dédicace en vers au roi pour Roland. La dédicace de l'édition de la partition de 1685 est normalement attribuée à La Fontaine ; elle figure dans ses Oeuvres diverses (Paris, Gallimard, 1958).

   Voir aussi l'air "Enfin la charmante Lisette", dont l'attribution n'est pas certaine.