Loret
Extraits de Jean Loret, La Muze historique
(Pour une sélection beaucoup plus complète, voir le site Molière 21)
Les Comédiens de l’Hôtel
Reprézentans un Poëme tel,
C’est-à-dire si beau, si rare,
Qu’aux plus charmans on le compare,
De tous il mérite l’aveu,
Et chacun y court comme au feu ;
Bref, son excellence est extresme,
Jusques là que nôtre Roy, mesme,
Qui Mercredy, le vid joüer,
Prenant plaizir a le loüer,
En trouva tous les Vers si justes,
Qu’il fit un présent de cent Justes
(Ce m’a dit la belle Pinaut)
A son autheur nommé QUINAUT,
Dont tout exprés j’ay voulu mettre
Icy, le nom, en grosse lettre :
Car j’aime fort les bons esprits :
Enfin, ce Poëme de grand prix,
Et dont mille biens on raconte,
A pour titre Amalazonte.
17 novembre 1657, éd. Livet , II, 407
Ce Cardinal bény des Cieux
[…]
Jule, enfin, ce mot, c’est tout dire,
Ces jours passez, a vizité
La Süédoize Majesté,
Christine qui vient en Personne,
A Petit-Bour, proche d’Essonne,
Logis de réputation,
Pour avoir conversation,
En cabinet, chambre, ou balustre,
Avec ce Personnage illustre.
[…]
Les grands Comédiens du Roy,
En pompeux et superbe aroy,
Y joüérent l’Amalazonte
Qui charmeroit des coeurs de fonte,
Tant elle a de discours adroits,
Tant elle a de jolis endroits,
Bref, tant elle est (à bien l’entendre)
Délicate, amoureuze et tendre.
1er décembre 1657, éd. Livet, II, 410-411
De plus, sadite Majesté
A, trois ou quatre fois, été
Au fameux Hôtel-de-Bourgogne
Non pas pour voir Dame Gigogne,
Turlupin, Garguille, ou Michaud ;
De telles Gens, il ne luy chaud,
Ains, plûtôt, les méprize, parce
Qu'elle n'aime Farceur, ny farce :
Le Comique ne luy plaît pas,
Un jargon froid, un stile bas,
Ne la rendent point ébaudie ;
Mais elle aime la Tragédie,
Et les Poëmes sérieux,
Doctes, galans, misterieux.
Elle a vû jouer Timocrate,
Qui pouroit ravir un Socrate;
Et l’Histoire d'Endimion,
Qui, selon mon opinion,
(Et celle, aussi, de tout le monde)
En pluzieurs beaux traits est féconde ;
Et fait juger Monsieur Gilbert
Ecrivain, tout-à-fait, expert.
Alcibiade l'a charmée ;
Piéce, extrémement, estimée,
Et laquelle éléve, fort haut,
Le nom de son Auteur, Quinaut.
Cette merveilleuze Princesse
L'ècoutant, avec allégresse,
Y fit, certes, un fort grand cas
De tout plein d'endroits délicats,
Et de justesses non-pareilles
Qui touchent les cœurs, à merveilles
Et que les Acteurs, mêmement,
Font valoir admirablement.
Aussi, cette Troupe Royale
Qui, seule, à soy-mesme est égale,
Reprézente chaque action
Avec tant de perfection,
Que (quoy que le Prêcheur en die)
Il faut aimer la Comédie,
(Des beaux Esprits le cher soucy)
Et les Comédiens, aussy.
2 mars 1658, éd. Livet, II, 450
Hier, ceux de la Royale Troupe,
Dont le Théâtre a vent en poupe,
Représentèrent, comme il faut,
La Stratonice de Quinault,
Fraîche et nouvelle Comédie,
Qui fut, dit-on, fort applaudie
Par un Grand nombre de ces Gens
Que l’on appelle intelligents.
Ce Quinault est un jeune illustre,
Qui sait donner un si beau lustre,
Et tant d’agréables clartés
Aux grands Sujets par lui traités,
Que le renom de son génie
Attira grande Compagnie ;
Plusieurs quittèrent le tison
Durant cette rude saison
Où la froidure est sans pareille :
Mais on veut voir cette Merveille.
3 janvier 1660, éd. Livet, III, 150
Je n’avais plus l’intention
De faire jamais mention
D’aucun œuvre grave, ou grotesque,
Dans notre Gazette burlesque,
Je n’avais parlé bas, ni haut,
Ni de Boyer, ni de Quinault,
Qu’un feu tout différent inspire
Dans leur belle façon d’écrire,
L’un étant net, tendre et galant,
Et l’autre héroïque et brillant
31 décembre 1662, ed. Livet, III, 587-588
Une pièce rivale composée par l’abbé Boyer, Oropaste, ou le Faux Tonaxare, publiée deux jours après Agrippa, roi d'Albe, ou le faux Tibérinus de Quinault et avec un privilège daté du même jour que celui de la pièce de Quinault (25 janvier 1663), avait une action similaire et un sous-titre qui rappelait celui d’Agrippa. On devine bien que le "tendre et galant" est Quinault. Agrippa fut créé pendant la deuxième quinzaine de novembre, 1662, et Oropaste le 17 novembre.
Des Gens de Cour (et plus de trois)
M’ont conté que le Jour des Rois,
Le Roi fit somptüeuze chére
A la Reine, sa bonne Mére,
Qui se porte bien, Dieu-mercy,
A Monsieur et Madame, aussy ;
Bref, la Troupe fut grande et belle,
On vit, illec, Mademoizelle,
Briller de la bonne façon ;
Son aimable Soeur d’Alençon,
Et quantité d’autres Princesses,
Et de ravissantes Duchesses,
(Mais dont les noms je ne sçay pas)
Furent de ce charmant Repas ;
Où l’on compta quatorze Illustres,
Qui, de la Cour, sont les beaux Lustres.
Jamais Banquet ne parut mieux
Être un Banquet fait pour les Dieux ;
Et l’aprêt en fut si superbe,
Que je croy qu’il n’est point d’Adverbe,
Qui ne soit bas, rampant et plat,
Pour exprimer son grand éclat.
Avant cette chère Royale,
Une Piéce en Vers, Téatrale,
Charma, ce dit-on, à son tour,
Cette noble et splendide Cour.
La Piéce est belle et délicate,
Et se nomme, je pense, Astrate, *
Dont l’excellent mérite est tel,
Que les grands Acteurs de l’Hôtel,
Qui dizent mieux que des Oracles,
La faizant valoir à miracles,
Atirent chez eux tous les jours
Un si grand et nombreux concours
De beaux Esprits, de belles Ames,
De grands Monsieurs, de grandes Dames,
Que depuis qu’il l’ont mize sus,
Vous diriez de petits Crézus.
Enfin, après cette merveille
Qui flate fort, dit-on, l’oreille,
Au gré de maint noble Intestin,
On commença ce grand Festin,
Qui finit la cérémonie
Du beau soir de l’Épiphanie.
10 janvier 1665, éd. Livet, IV, 297
* Note de Loret : dont est Auteur Mr Quinault.