Robinet

Extraits des Lettres en vers de Robinet

(Pour une sélection beaucoup plus complète, voir le site Molière 21)

Les deux Mère coquette, de Quinault et de Donneau de Visé

La Guerre est entre deux Autheurs,

Et n’allez pas dire, Lecteurs,

Que ce n’est qu’une bagatelle ;

Non, non, certe, l’Affaire est telle

Que je vous jure qu’en ce Jour

Elle va partager la Cour.

On se plaint du vol d’un Ouvrage

Sur lequel chacun d’eux fait rage

Et par tout crie, en sa douleur,

Sur l’autre: ‘Au Voleur, au Voleur !’.

Quinaut, si fameux au Theatre

Où le beau Sexe l’idolâtre,

Est l’un de ces deux Mécontans ;

L’autre est un Autheur de vingt ans,

Mais qui, nonobstant son jeune âge,

Nous a fait voir maint bel Ouvrage

Et travaille Journellement

Pour son pur divertissement.

Or ce dernier clairement montre

Qu’il n’a point tort en ce rencontre,

Que c’est à luy qu’on a vollé

Le Sujet dont il est parlé,

Et que plusieurs Gens d’importance

Ont vu la Piéce en sa naissance,

Long-temps avant que l’autre eust fait

Quoi que ce fut sur ce Sujet.

Sans que l’un ni l’autre je loue,

Attendons, Lecteur, qu’on les joue

Et, pour lors enfin nous verrons

Qui le plus des deux nous louerons,

Je ne dis donc rien davantage,

Si ce n’est que de cét Ouvrage

On ne verra l’Original

Que dedans le Palais Royal.

11 octobre 1665, dans Rothschild, Continuateurs, I, col. 321-322

Enfin les deux Mères coquettes,

Malgré l’âge aimant les fleurettes,

Ont longtemps disputé le pas

L’une à l’autre ne cédant pas.

Mais on attend deux Alexandres

Qui leur feront bien faire flandres,

Proverbe et façon de parler

Pour dire faire détaler.

L’une a déjà plié bagage,

Mais l’autre, fière davantage,

Malgré l’Alexandre le Grand,

Conserve encor très bien son rang

Et plus que jamais est suivie,

De quoi la galante est ravie,

Ne fût-elle dans ses amours

Sans rivale qu’un ou deux jours. 

29  novembre 1665, dans Rothschild, Continuateurs, I, col. 438


Contribution de Quinault au Ballet des Muses

C'est pour ajouter que pendant

Que Louis, à la gloire ardent,

S'ouvre par delà la frontière

Une belliqueuse carrière,

Messieurs les bourgeois de Paris,

De Sa Majesté si chéris,

Jouissent de ses plaisirs mesmes

Avec des liesses extrêmes.

Ouy, foy de sincère mortel.

Et si vous allez à l'hostel.

Vous y verrez plusieurs entrées.

Toutes dignes d'estre admirées.

De son dernier ballet royal,

Si galant et si jovial,

Avec diverses mélodies,

Et mesme les deux comédies

Qu'y joignit le tendre Quinault

Où sa troupe fait ce qu'il faut

Et ravit par maintes merveilles

Les yeux ensemble et les oreilles.

Depuis hier pareillement

On a pour divertissement

Le Sicilien que Molière,

Avec sa charmante manière,

Mesla dans ce ballet du Roy,

Et qu'on admira sur ma foy.

Il y joint aussi des entrées

Qui furent très considérées

Dans ledit ravissant ballet,

Et lui, tout rajeuni du lait

De quelque autre Ini'ante d'Inache,

Qui se couvre de peau de vache,

S'v remontre enfin à nos yeux

Plus que jamais facétieux.

12 juin 1667, dans Rothschild, Continuateurs, II, col. 878

La Grotte de Versailles (?) en 1667

Reprenons notre Saint-Hubert,

Pour dire que maint beau Concert,

Par de délicieuses Notes,

Charma la Cour, dedans les Grottes,

Dont les singuliers Ornements

Semblent autant d’Enchantements,

Et qu’en un mot, la Comédie,

Qu’accompagnait la Mélodie,

Le Bal et les pompeux Festins,

L’amitié de nos Intestins,

Furent le ravissant Régale [sic]

De toute l’Octave Royale

Du Saint Parangon des Chasseurs,

De Gibiers très grands Destructeurs.

12 novembre 1667, dans Rothschild, Continuateurs, II, col. 1080

[Louis XIV, chez Henriette de France, reine d'Angleterre]

La régala du beau Concert

Duquel, durant la Saint-Hubert,

La Cour fut charmée à Versaille[s],

Y faisant, comme il faut, gogaille.

Des Bergers sur leurs Chalumeaux,

Dans ce Concert, chantent les maux

Que leur font souffrir des Bergères

Qui, tranchant un peu trop des fières,

Se moquent cruellement d’Eux

Et font litière de leurs vœux ;

Et du ROI toute la Musique

Leur sert d’un Écho multiplique,

Où le Sieur Baptiste Lulli,

Qui ne fait rien que d’accompli,

A produit cent douces merveilles,

À ravir les fines oreilles.

19 novembre 1667, dans Rothschild, Continuateurs, II, col. 1087

  La Grotte de Versailles (?) en 1668

Ensuite de ce gai Prélude [Le Médecin malgré lui],

LULLY, qui met tout son étude

À charmer notre puissant ROI,

Qui l’en paie aussi bien, je crois,

Fit, en faveur de ses Oreilles,

Son Concert rempli de merveilles,

Qu’à tant de fois ouï la COUR

Dans les Grottes du beau Séjour

Nommé le Château de Versaille[s],

Où quelques fois j’ai fait ripaille.

14 janvier 1668, dans Rothschild, Continuateurs, III, col. ??

Or, les beaux Concerts dans la Grotte,

Afin que tout d’ordre je cotte,

Les Bals et somptueux Festins

Pour les Compères Intestins,

Les Branles à l’Escarlopette,

Où dans l’air on fait gambillette,

La Promenade dans les Bois,

Qui reverdissent en ce mois,

Et la Françoise Comédie,

Qu’accompagnait la Mélodie,

Ont été les Plaisirs charmants

Et les plaisants Ébatements

De cette Cour brillante et leste,

Dans cet Éden presque céleste,

Où l’Air, le Ciel, la Terre et l’Eau,

Lorsqu’on y fait royal Cadeau,

Montrent, pour le rendre agréable,

Tout ce qu’ils ont de plus aimable.

28 avril 1668, dans Rothschild, Continuateurs, III, col. 115

Création de Pausanias, 16 novembre 1668

A propos, le PAUSANIAS,

Qui de charmes ne manque pas,

Comme vous le pourrez comprendre,

Etant de QUINAULT, l’Autheur tendre,

D’hier se joue au même Hôtel.

Je suis peu connessant Mortel ;

Pourtant, quand j’aurai vû la Piéce,

J’en entretiendray ma PRINCESSE,

Et vous, par conséquent, Lecteur,

En véridique Rélateur.

17 novembre 1668, dans Rothschild, Continuateurs, III, col. 322-23

Monsieur et Madame voient Héraclius de Corneille et Pausanias, Hôtel de Bourgogne, 26 novembre 1668

Qu’avec honneur non tel quel,

Jouérent Messieurs de l’HOTEL,

Et le lendemain, chez eux-mêmes,

Ce couple d’Altesses Suprêmes

Alla voir le PAUSANIAS,

Dont elles firent fort grand cas,

Car mille biens elles en dirent,

Et très-pleinement l’applaudirent ;

Dont son Autheur, Monsieur QUINAUT,

Fit, je croi, d’aise plus d’un saut,

Car ce sont plaisirs inéfables

D’avoir des Eloges semblables.

1er décembre 1668, dans Rothschild, Continuateurs, III, col. 962-963

Reprise d'Agrippa, roi d'Albe, ou le faux Tibérinus, le 22 septembre 1669

Dimanche, je fus aux Marais,

De Dessein fait, et tout exprès,

Pour voir la Troupe entretenue,

Depuis naguère revenue,

Et, certainement, j’eus sujet

D’être pleinement satisfait

D’avoir visité son Théâtre,

Qu’avec raison l’on idolâtre,

Comme on fait pendant les Hivers,

Dans les Enchantements divers

De ses grands et pompeux Spectacles,

Où l’on découvre cent miracles.

J’y vis lors, si bien que rien plus,

Jouer le Faux TIBÉRINUS

De l’Auteur au Style si tendre

(Quoi disant, je fais bien entendre,

Ce me semble, que c’est QUINAULT),

Qu’au Théâtre on porte si haut.

28 septembre 1669, texte du site Molière21

Représentation de Bellérophon par la troupe de l'Hôtel de Bourgogne,

pour le mariage du duc de Beauvilliers et Henriette-Louise, fille de Colbert,

le 22 janvier 1671

Le Bellerofont de Quinaut,

Que l’on exalte, comme il faut,

Et qui, bref, a le vent en poupe,

Fut representé par la Troupe

de l’Hôtel. je n’en dis pas plus,

Et je vais dater là-dessus.

De janvier, le vingt-quatriême,

Dix-sept jours avant le Carême.

24 janvier 1671, dans Brooks, Le Théâtre et l’opéra vus par les gazetiers Robinet de Laurent, p. 61

Représentation de Bellérophon par la troupe de l'Hôtel de Bourgogne,

devant la cour à Vincennes, le 22 janvier 1671

Le Jeudy […]

Le soir, on eût, pour grand Régale,

Par la propre Troupe Royale,

Le Bellerophon de Quinaut

Mis au Théatre, comme il faut,

Et qui plût, certes, à miracle,

A ce que j’ay sceu d’un Oracle.

31 janvier 1671, dans Brooks, Le Théâtre et l’opéra vus par les gazetiers Robinet de Laurent, p. 61

Dans une longue relation sur Cadmus et Hermione,

que Robinet avait vu le 28 mai 1673 à l’Académie Royale de Musique

[…]

Hé ! le moyen d’ici, déduire,

Ce dont, à peine, peut instruire

Un Livre entier qu’exprez, l’on vend,

Sur ce qu’on void, & ce qu’on entend

Dessus cette Sçéne admirable,

Ou, pour mieux, dire incomparable.

[…]

    Comment parler, outre cela,

De cette belle Tragédie

Par le tendre Quinaut, ourdie,

Nommée Hermione, & Cadmus ?

Ah ! mes Vers demeurent camus

Sur une si grande matiére,

Et trop vaste est cette carriére.

[…]

      3 juin 1673, dans Brooks, Le Théâtre et l’opéra vus par les gazetiers Robinet de Laurent, p. 143

Harangue devant Louis XIV

Le douziéme jour de ce mois

D’un accueil benin & courtois

Nostre Françoise Academie,

Des belles Sciences amie,

En corps complimenta le Roy

Sur les progrés & le surcroy

De ses Conquestes glorieuses,

Et ses actions genereuses :

Le Directeur le Sieur Quinault,

Qui porte le sçavoir fort haut,

Pour le Corps porta la parole,

Et s’acquitta bien de son rôle.

     20 juin 1677, dans Brooks, Le Théâtre et l’opéra vus par les gazetiers Robinet de Laurent, p. 164

Sur Agrippa, roi d'Albe, ou le Faux Tibérinus

Cet hemistiche : Hélas ! tient-il à moy ? qui a produit un si bel effet sur le théatre, dans le Faux Tibérinus, sortant de la bouche de la merveilleuse des Oeillets, a-t’il quelque chose qui en approche sur le papier ? Ne sçait-on pas que toutes ces beautez s’évanouyssent hors du jeu qui leur donne la vie ?

Le Panégyrique de l'École des femmes ou Conversation comique sur les oeuvres de M. de Molière, Paris, Sercy, Loyson, Guignard, 1663 ; éd. Paul Lacroix, Paris, Librairie des Bibliophiles, 1883, p. 55. L'hémistiche en question se trouve à l'acte IV, scène 3.