A. de Boislisle
Dans son édition monumentale des Mémoires de Saint-Simon (Paris, Hachette, 1891), Boislisle donne le texte des vers de Quinault au Roi sur son voyage à Compiègne et de sa lettre à Colbert de mars 1683. Le contexte est l'habitude de Louis XIV de chanter des prologues d'opéra.
Boislisle ajoute une note biographique intéressante, en dépit de quelques erreurs (le legs de Tristan l'Hermite, par exemple, ou les Oeuvres choisies de 1739. Il est un des rares à attribuer le portrait de Quinault à "la collection de l'Académie française".
Philippe Quinault, baptisé à l'église Saint-Eustache de Paris, le 5 juin 1635, était le fils d'un simple boulanger, quoi qu'en ait dit le Moréri ; mais, tout en étudiant l'art dramatique et la poésie sous Tristan l'Hermite, il prit ses grades en droit et reçut le titre d'avocat au Parlement, alors qu'il avait déjà fait jouer nombre de pièces en vers, dont la première, les Rivales, en 1653, quand il n'avait que dix-huit ans. C'étaient toutes des comédies, des tragédies ou des tragi-comédies en cinq actes ; cependant, en 1660, le cardinal Mazarin et M. de Lionne lui firent composer, en l'honneur de la paix et du mariage royal, une pastorale intitulée : Lysis et Hespérie, qui fut représentée au Louvre, le 9 décembre 1660. Elle lui valut peut-être une charge de valet de chambre du Roi, achetée de l'argent que Tristan l'Hermite lui avait légué ; du moins les actes lui en attribuent le titre dès 1661, et on sait qu'il ne vendit cette charge qu'en 1683, à J.-B. Choderlos de Laclos. L'historiographe de l'Académie française prétend qu'il cessa de travailler pour le théâtre en se mariant et devenant auditeur à la Chambre des comptes ; mais c'est évidemment une erreur, ainsi que Jal l'a démontré, puisque ce mariage se fit en 1660, qu'après cette date Quinault donna encore quatre tragédies ou tragi-comédies, pour le moins, qu'il n'entra à la Chambre des comptes qu'en 1671, et qu'à cette dernière époque seulement commença sa grande illustration comme librettiste d'opéra. Ses premières œuvres en ce genre furent la partie chantante de la Psyché, de Molière, et les Fêtes de l'Amour et de Bacchus, pour Lully. Depuis lors, jusqu'en 1686, il ne cessa de fournir des livrets aux musiciens de l'Opéra, et presque tous eurent un grand succès : Cadmus, Atys, Proserpine, Amadis de Gaule, Roland, surtout Armide, que le Roi lui-même choisit entre trois sujets proposés par Quinault en sa présence, chez Mme de Montespan (Journal de Dangeau, tome I, p. 172-173). Louis XIV, comme Saint-Simon le racontera plus d'une fois, appréciait assez particulièrement ses œuvres pour en savoir par cœur bien des passages, paroles et musique ; Monseigneur, aussi, se faisait lire tel ou tel opéra, lorsqu'il était malade, retenu à la chambre (ibidem, p. 75), et il lui commanda, en 1685, pour Fontainebleau, la pièce du Temple de la paix (ibidem, p. 229). Mais, peu après cette dernière époque, Quinault renonça au théâtre, soit qu'il eût été dégoûté de la scène par un injuste insuccès de son Armide, soit que la dévotion dont parle Dangeau (ibidem, p. 319) lui eût inspiré de trop forts scrupules. Le P. Léonard a recueilli cette dernière explication (ms. Fr. 10 265, fol. 129 v°, 27 avril 1686), et il dit que le Roi, tout en lui continuant sa pension (de deux mille livres, et non douze mille, comme le porte le manuscrit), l'autorisa à abandonner l'Opéra et à ne plus travailler qu'aux légendes nouvelles de la grande galerie de Versailles, en remplacement des premières inscriptions de Charpentier, reconnues trop outrecuidantes et orgueilleuses outre mesure. Alors aussi, car on était au lendemain de la Révocation, il fit un poème sur l'Hérésie détruite. Il ne vécut plus que deux ans, mourut le 26 novembre 1688, à l'âge de cinquante-cinq ans, et fut enterré dans l'église Saint-Louis-en-l'Ile. Il était membre de l'Académie française depuis 1670, de la petite Académie depuis 1674, et chevalier de l'ordre de Saint-Michel. Son Théâtre fut publié à l'étranger en 1715, ses Œuvres choisies en 1739, et elles ont été réimprimées en 1824, par l'éditeur Crapelet. Son portrait, de la collection de l'Académie française, est aujourd'hui au musée de Versailles, no 2922. Sa Vie, par son neveu Boffrand, se trouve en tête de l'édition de ses Œuvres ; mais il existe aussi une biographie manuscrite à la Bibliothèque nationale, ms. Fr. 24 329. M. Victor Fournel lui a consacré un excellent article dans la Biographie générale.
Une lettre autographe de Quinault exposée au musée des Archives nationales, sous le n° 889 (fac-similé partiel dans l'Inventaire), et portant la date du 26 février 1686, fait connaître qu'à cette époque, et tout au moins depuis 1684, il touchait une gratification annuelle de quatre mille livres du Roi, « à cause des opéras faits pour ses divertissements. » Les biographes disent que la même somme de pension lui était faite par Lulli, pour l'opéra qu'il livrait chaque année. On voit également dans la même lettre que le poète avait redoublé d'ardeur en 1685 pour fournir le ballet de Fontainebleau, outre son opéra annuel d'où des crachements de sang dont il n'avait pu se guérir entièrement. Chacun sait combien il avait été jadis ridiculisé par les satiriques. Quand il mourut, le marquis de Termes écrivit à Bussy-Rabutin qu'il n'y avait plus que des regrets pour le poète dont on s'était tant moqué pendant sa vie.
Mémoires de Saint-Simon, Paris, Hachette, 1891, t. VIII, p. 617