La Cabale d'Isis

[Deuxième, et sans doute pas dernière, version ; juillet 2019]

Introduction

            On dit, depuis le dix-huitième siècle, que Quinault fut remplacé par Thomas Corneille pour les livrets de 1678 et de 1679 à cause des comparaisons de la colère de Junon contre Io dans Isis (1677) à celle de Mme de Montespan contre Mme de Ludres. Cependant, il est chronologiquement impossible que Quinault ait eu cette intention, et peu probable que de telles applications eussent suffi pour l’écarter de sa place de librettiste après la réussite des quatre premières tragédies en musique qu’il avait faites avec Lully. En revanche, on pourrait expliquer cette interruption dans leur collaboration par certaines faiblesses du livret d’Isis, différent, de plusieurs points de vue, des précédents. Le nouvel opéra ne plut pas, Lully n’était pas content, et les ennemis de Quinault ne manquèrent pas l’occasion d’en profiter. Ils avaient déjà essayé en 1674, mais en vain.

 

Quinault et ses concurrents de 1674

Le succès des premiers opéras de Quinault lui fit de nombreux jaloux, voire d’ennemis[1]. Dès janvier 1674, moins d’un an après la création du premier opéra, Cadmus et Hermione, Charles Perrault s’étonna de « la prevention et l’obstination de trouver [Alceste] miserable ». Six mois plus tard, il défendit Quinault dans sa Critique d’Alceste, à laquelle Racine répondit dans sa préface d’Iphigénie. La « querelle d’Alceste » se poursuivit au moins jusqu’en 1678[2], et Perrault reviendrait à cette « prévention » dans Les Hommes illustres et Le Parallèle des Anciens et des Modernes (voir la section « Quinault et ses concurrents de 1677 »).

Étant donné cette hostilité contre Quinault, il n’est pas surprenant que plusieurs concurrents se sont présentés dès 1674. Henri Guichard proposa en mars, en collaboration avec Mme de Villedieu, deux livrets à Lully, Céphale et Procris et Circé et Ulysse[3] ; le compositeur les refusa. Un peu plus tard, à l’instigation de Mme de Montespan et de sa sœur Mme de Thiange, La Fontaine écrivit le livret de Daphné entre mai et septembre 1674, peut-être plus précisément en juin. Le fabuliste décrivit son aventure d’abord dans « Le Florentin » et ensuite dans « À Madame de Thiange », jamais publiés par ses soins mais composés sans doute à la fin de 1674 ou au début de 1675 ; Bussy-Rabutin signala le second poème comme une nouveauté le 26 février 1675[4].

Cette année 1674 est aussi la plus probable pour le Phaéton proposé par Racine et Boileau, également encouragés par Mme de Montespan et Mme de Thiange, même si on ne peut pas exclure 1677 ou, comme plusieurs historiens, 1678-1679[5]. Selon l’Avertissement de Boileau à son « Prologue d’Opéra », voici ce qu’on peut dire de la chronologie du projet :

·        Mme de Montespan et sa sœur Mme de Thiange étaient « lasses des Opera de Monsieur Quinault » ;

·        elles persuadèrent Racine de faire un livret ;

·        Racine commença à travailler, puis demanda à Boileau de faire le prologue ;

·        Racine « fit mesme quelques vers », qu’il recita au Roy ;

·        Boileau « travaill[a] trois ou quatre jours » à son prologue ;

·        les deux étaient « occupés à ce miserable travail » quand Quinault se présenta au Roy « les larmes aux yeux » et lui « remonstr[a] l’affront qu’il alloit recevoir s’il ne travailloit plus aux divertissemens de Sa Majesté » ;

·        « le Roy touché de compassion declara qu’il ne pouvoit se resoudre à lui donner ce deplaisir ».

Si on prend ce texte, et ce qu’il ne dit pas, à la lettre – ce qui n’est peut-être pas justifié –, on conclut que Quinault avait fait au moins deux livrets (« des Opera ») ; qu’aucun autre poète n’en avait fait (« lasses des Opera de Quinault ») ; qu’il travaillait encore pour Lully (« s’il ne travailloit plus ») ; qu’il n’avait pas encore reçu l’affront d’être remplacé comme librettiste (« qu’il alloit recevoir ») ; que le roi lui permit de continuer sa collaboration avec Lully.

            Nous verrons dans la prochaine section que cette série d’événements correspond mal à ce que nous savons des années 1677-1678. En revanche, dans les premiers mois de 1674, Quinault était le seul librettiste de Lully, il n’avait pas été remplacé, et il continuerait à faire des livrets de 1675 à 1677. On peut imaginer que Quinault songeait déjà à son prochain livret, et que ses ennemis s’organisaient pour le séparer de Lully.

            Nous ne savons pas quand notre poète commença à travailler sur Thésée. Il prit un privilège en novembre 1674 pour l’imprimer, et les répétitions commencèrent le 3 décembre suivant, mais quand on prend en compte ses autres occupations, il semble plus que probable qu’il travaillait déjà sur Thésée dans les mois qui suivirent la création d’Alceste en janvier. Il avait intégré la Petite Académie en février ou mars, continuait à assister aux séances l’Académie Française sept ou huit fois par mois (le 13 août, il lut sa « Relation du Parnasse »), était à la Chambre de Comptes presque tous les jours de juillet à septembre, et participa aux reprises d’Alceste, de La Grotte de Versailles et des Fêtes de l’Amour et de Bacchus à Versailles en juillet, comme de Cadmus et Hermione à Paris en octobre.

On peut donc supposer qu’en mars Guichard avait été écarté et que Quinault travaillait sur Thésée. Sachant que Lully n’avait pas changé de librettiste, Mme de Thiange et Mme de Montespan auraient encouragé La Fontaine à collaborer avec le Florentin peu de temps après. Plus tard, en septembre, quand le fabuliste aurait « laissé le champ de bataille à Quinault », elles auraient pu se tourner vers Racine et Boileau, qui auraient abandonné le projet peu de temps après (Racine aurait fait « quelques vers » ; Boileau aurait travaillé « trois ou quatre jours »). Enfin, le roi aurait permis à Quinault de continuer son travail.

            Cette chronologie est loin d’être certaine, mais elle a l’avantage de ne contredire aucun fait connu. On peut se demander, néanmoins, comment Racine et Boileau auraient pu espérer terminer un livret – un genre dans lequel ils n’avaient aucune expérience – avant les répétitions du prochain opéra, prévues normalement pour le début de décembre. Ils devaient savoir que Quinault avait presque terminé son Thésée.

 

Quinault et ses concurrents de 1677

Quinault réussit donc à garder sa place de librettiste en 1674, malgré les efforts de ses ennemis comme Guichard, La Fontaine, Racine, Boileau, Mme de Montespan et Mme de Thiange, et il composa les livrets pour Thésée (1675) et Atys (1676). Il eut moins de chance en 1677, après la création d’Isis en janvier, et on fit appel à Thomas Corneille, secondé par son neveu Fontenelle, pour Psyché en avril 1678 et Bellérophon en janvier 1679. Quinault reprit sa collaboration avec Lully avec Proserpine (février 1680) et lui fournit un livret tous les ans jusqu’en 1686, l’année de sa retraite. On attribue le plus souvent ce changement de librettiste au fait que Mme de Montespan s’était reconnue dans la Junon excessivement jalouse d’Isis, et que des courtisans avaient comparé sa colère contre Mme de Ludres à celle de la déesse. Cependant, aucun témoignage de l’époque ne justifie ainsi ce changement, et plusieurs faits correspondent mal à cette explication.

Commençons par ce que les documents contemporains nous apprennent. Isis rencontra peu de succès à la cour au début de 1677 et fut remplacé par Thésée dès le 16 février. Lully l’aurait normalement présenté à Paris après la fermeture de Pâques, mais il attendit le mois d’août et fit sans doute quelques modifications. Les représentations se poursuivirent jusqu’à la fermeture annuelle de l’Académie Royale en mars 1678.

Jérôme de la Gorce a montré que les ennemis de Quinault et de Lully montèrent une puissante cabale en janvier 1677. Carlo Antonio Gondi écrivit le 11 janvier, six jours après la création, que « […] après avoir été déjà donné deux fois, l’opéra ne réussit pas « avec les applaudissements accoutumés »[6]. Quatre jours plus tard, on lit dans le courrier du nonce du pape que « le peu de goût qu’a madame de Montespan pour cet opéra fut tel qu’elle y assista peu de fois ; et non seulement, elle n’apprécie pas les incidents de l’intrigue, maie elle les trouve déplaisants »[7]. La semaine suivante, les Relations véritables du 23 janvier relatent que : « […] la pièce a été fort frondée à la Cour et le Roi même n’en a pas été content, ce qui a fait bien des ennemis au Sieur Baptiste qui est l’Auteur »[8]. Plusieurs épigrammes, que La Gorce date du moment de la création d’Isis, abondent dans le même sens : « Les vers d’Isis sont pitoyables » et « Il faudrait, en conservant Baptiste, / Qu’il [le roi] prît le soin de nous ôter Quinault »[9].

La Fontaine fit partie de la cabale, en composant à la fin de janvier ou au début de février son épître « À M. de Niert. Sur l’opéra ». Il satirise l’engouement du public pour l’opéra (« On ne veut plus qu’Alceste, ou Thésée, ou Cadmus »), avec un dédain particulier pour Isis, qu’il n’a aucun envie de voir.

L’anecdote racontée par Perrault, dans son Parallèle des Anciens et des Modernes, pourrait se situer en 1677. J’en donne le début et la fin ; au milieu se trouve l’explication, souvent citée, de pourquoi Quinault eut raison de n’employer qu’un « certain nombre d’expressions ordinaires & de pensées fort naturelles ». On voit que l’argument contre Quinault est stylistique et littéraire.

   Quand il vint à faire des Opera un certain nombre de personnes de beaucoup d’esprit & d’un merite distingué, se mirent en fantaisie de les trouver mauvais, & de les faire trouver tels par tout le monde. Un jour qu’ils souppoient ensemble ils s’en vinrent sur la fin du repas vers Monsieur de Lulli, qui étoit du soûper, chacun le verre à la main, & lui appuyant le verre sur la gorge, se mirent à crier, renonce à Quinault ou tu es mort. Cette plaisanterie ayant beaucoup fait rire, on vint à parler sérieusement, & l’on n’obmit rien pour dégouster Lulli de la Poësie de Monsieur Quinault ; mais comme ils avaient à faire à un homme fin & éclairé, leurs stratagemes ne firent que blanchir. L’on parla de moy dans cette rencontre, & l’un de ces Messieurs, dit avec bonté, que c’estoit une chose fascheuse que je m’opiniastrasse tousjours à vouloir soutenir Monsieur Quinault, qu’il est vray que j’estois son ancien ami, mais que l’amitié avoit ses bornes, & que Monsieur Quinault estant un homme noyé je ne ferois autre chose que de me noyer avec lui ; […]

   Aussi voyez-vous que Monsieur de Lulli ne s’en plaint point, persuadé qu’il ne trouvera jamais des paroles meilleures à estre mises en chant & plus propres à faire paroistre sa Musique. La verité est qu’en ce temps-là j’estois presque le seul à Paris qui osast se declarer pour Monsieur Quinault, tant la jalousie de divers Autheurs s’estoit eslevée contre luy, & avoit corrompu tous les suffrages & de la Cour & de la Ville ; […][10] ».

 

Cette anecdote correspond parfaitement à l’atmosphère de cabale évoquée par La Gorce. La description de Quinault comme « un homme noyé » pourrait s’expliquer par le fait qu’on savait qu’il avait, pendant les premiers mois de 1677, plusieurs concurrents.

            C’était probablement au début de 1677 que Segrais confia à Lully un livret sur l’histoire de Roland, L’Amour guéri par le temps, que le compositeur garda pendant trois mois avant de le refuser, parce que les vers étaient « durs & rebelles au chant »[11]. Quinault était sans doute soulagé, mais le fait que Lully accepte de considérer le travail d’un autre poète avait dû l’inquiéter. Qui plus est, le Mercure de juillet nous apprend que Lully était en train de mettre en musique un livret de Frontinière, Narcisse. C’était un rival sérieux, connu pour les paroles qu’il avait faites pour Lambert ; le même périodique nomme Quinault et Frontinière comme « les deux plus fameux Autheurs que nous ayons pour ces sortes d'Ouvrages »[12]. Narcisse ne fut jamais représenté, et c’est à Thomas Corneille qu’on demanda le nouvel opéra de 1678, Psyché.

            La mention de Narcisse dans le Mercure de juillet 1677 est suivie de celle d’une autre sorte de concurrence, des « petits opéras » donnés dans des maisons particulières. Il s’agit des Aventures d’Andromède et des Amours de Céphale et de l’Aurore, par Louis de Mollier sur des paroles de Tallemant le Jeune (le collegue de Quinault à l’Académie Française et à la Petite Académie), créées en 1674 et reprises en 1677. Le même périodique parle en novembre d’un autre exemple de ce genre, Les Amours de Titon et de l’Aurore d’Oudot[13].

            Il est possible que ce fût en 1677 que Boileau et Racine travaillaient sur un livret intitulé Phaéton, mais nous avons vu que 1674 est une date plus probable. Si c’était pendant les premiers mois de 1677, juste après l’échec d’Isis en janvier-février, cela semble incompatible avec le fait que Lully travaillaient en juillet sur un livret de Frontinière, avant que Thomas Corneille ne soit choisi pour Psyché : le récit de Boileau décrit une situation où les deux poètes allaient remplacer Quinault directement, avant que le roi ne lui permette de garder sa place. Comment y placer les concurrents connus de 1677 ?

Plusieurs historiens ont proposé la fin de 1677 ou le début de 1678, dans les mois précédant la composition rapide de Psyché. Cependant, le fait que Boileau ait précisé que Quinault aurait été désespéré « s’il ne travailloit plus » pour le roi, et que Louis XIV ne voulait pas « lui donner ce deplaisir », incite à penser qu’il fut bel et bien question de remplacer le librettiste alors qu’il travaillait encore pour Lully. Alors, au début de 1678, Quinault aurait déjà passé au moins un an sans écrire un livret, et il aurait déjà reçu l’« affront » que, selon Boileau, il espérait éviter[14].

Il est impossible d’établir une chronologie certaine de ces livrets soumis à Lully, mais on peut conclure qu’à un certain moment après l’échec d’Isis (donc au plus tôt en février 1677), Quinault fut écarté et que Lully chercha un autre collaborateur. Il semble que le choix de Psyché, une adaptation de la tragédie-ballet de 1671, avec les vers parlés de Molière et de Pierre Corneille et les vers chantés de Quinault, fut fait peu de temps avant la création le 19 avril 1678. Le Mercure de ce mois nous apprend que les vers « ont été faits et mis en musique en trois semaines »[15], et on conserva autant que possible la musique de Lully et les vers de Quinault dans les divertissements. On aurait donc arrêté ce projet en mars 1678, après avoir considéré les livrets de Frontinière, de Segrais et peut-être d’autres candidats.

Pour résumer : Isis fut un échec en janvier-février 1677 ; Lully et Quinault avaient de nombreux ennemis ; Quinault fut écarté comme librettiste et plusieurs concurrents se sont présentés ; la prochaine tragédie en musique de Lully, créée en avril 1678, avait un livret de Thomas Corneille, préparé en plusieurs semaines. Avant de proposer des raisons pour cet échec et pour ce changement de librettiste, examinons la chronologie de la rivalité entre Mme de Montespan et Mme de Ludres.

 

Io et Mme de Ludres

Il nous faut revenir à la situation de 1676 – lorsque Quinault écrivait Isis[16] – pour tenter de comprendre les motivations qui auraient pu pousser le librettiste à évoquer la jalousie amère de Mme de Montespan. Pendant l’été de 1676, elle avait d’autres sujets d’inquiétude que Mme de Ludres. D’abord, il lui fallait regagner la faveur du roi après la séparation qui avait commencé à Pâques, 1675, quand le vicaire de Versailles lui avait refusé l’absolution à cause de son double adultère[17]. Ensuite, il fallait écarter Mme de Soubise, pour qui la passion du roi s’était rallumée (on parlait de son attrait pour elle depuis 1665). En juillet 1676 « Quanto » était de nouveau la maîtresse en titre, et affichait, selon Mme de Sévigné, « une triomphante beauté ». Celle-ci ajoute un peu plus d’un mois plus tard que « la vision de Mme de Soubise a passé plus vite qu’un éclair »[18].

Le roi continua néanmoins à « coqueter », et au début de 1677 on commença à parler de Mme de Ludres. Ou plutôt recommença, puisque dès 1673, elle avait recueilli la sympathie de plusieurs personnalités de la cour dont le marquis de Vivonne, le frère de Mme de Montespan[19]. Primi Visconti témoigna en 1674, de l’engouement du roi pour elle, et de la colère de la maîtresse officielle, qui a « persécuté » sa rivale[20].

On voit donc que, chronologiquement, il ne pourrait être question de Mme de Ludres quand Quinault commença à écrire le livret d’Isis, à moins qu’il n’ait pensé à la persécution deux ans plus tôt, ce qui est peu probable. Il aurait pu vouloir faire allusion, de façon générale, aux nombreuses infidélités du roi, ou à une épouse et/ou une maîtresse négligée, un peu comme il avait, dans Atys l’année précédente, montré une Cybèle jalouse de sa jeune rivale. Il est néanmoins évident qu’il n’aurait pas voulu courir le risque d’offenser la puissante favorite, même si elle avait voulu l’évincer de son poste de librettiste en 1674. Ce qui plus est, le roi et la Petite Académie n’auraient pas approuvé le choix du sujet du nouvel opéra s’ils y avaient vu une référence trop défavorable à Mme de Montespan[21]. On sait que la favorite avait trouvé « les incidents de l’intrigue […] déplaisants », mais il semble peu probable que, sans rivale pour le moment, elle ait pu faire évincer Quinault simplement à cause du portrait peu flatteur d’une Junon jalouse dans Isis. Après tout, nous ne savons pas quels incidents elle avait trouvé déplaisants, ni pourquoi – elle aurait pu se voir dans une Junon jalouse d'une nouvelle maîtresse, ou dans une Io surveillée et haïe.

Il est évidemment possible que des courtisans aient trouvé dans le livret des allusions aux amours du roi de de Mme de Montespan, qu’ils en aient parlé, et que la favorite fût au courant. Il reste néanmoins vrai que, quand on trouve plus tard des applications documentées d’Isis à Mme de Ludres et Mme de Montespan, Quinault était déjà écarté, et la situation était bien différente.

Ce que Quinault ne pouvait savoir, en terminant Isis dans les derniers mois de 1676, c’est que la « triomphante beauté » de Mme de Montespan allait de nouveau être défiée par les charmes de Mme de Ludres. Bussy-Rabutin, dans une lettre du 30 janvier 1677, parle pour la première fois de l’amour du roi et des alarmes de Mme de Montespan ; il ajoute le 7 février que « les plus clairvoyants de la cour demeuroient d’accord que Madame de Montespan étoit fort baissée dans les bonnes grâces du roi », et écrit le 6 mars suivant que « Le bruit est fort grand que madame de Montespan n’est plus maîtresse, et que madame de Ludre le va devenir ». Primi-Visconti abonde dans le même sens, écrivant que le premier mars, les courtisans croyaient le roi « plongé […] dans de nouvelles amours ». Il ajoute, « Mme de Montespan, qui avait d’abord persécuté Mme de Ludres, croyant le crédit de celle-ci définitivement perdu, l’avait rappelée auprès d’elle. Mais ce retour avait réveillé les désirs du Roi »[22].

D’après Mme de Sévigné, entre autres, si Mme de Ludres avait été effectivement persécutée par Mme de Montespan avant 1677, le sort qui lui fut réservé durant l’été de cette année, fut bien pire. La chronologie des faits n’est pas parfaitement établie, mais il est probable que c’est en mai ou juin que Mme de Montespan eut connaissance du retour en faveur de sa rivale[23]. Sa vengeance était rapide, car Mme de Scudéry écrivit à Bussy le 5 juin que « tout est à Versailles comme au temps passé, et madame de Montespan parôit très-contente ». Selon Bussy, le 18 juin, « Tout le monde croit madame de Ludre abîmée sans ressource et madame de Montespan triomphante ».

C’est entre le 11 juin et le 28 juillet que l’on trouve, dans les échanges épistolaires de Mme de Sévigné avec ses correspondants, de fréquentes références à la « belle Isis » ou la « pauvre Io » et à la vengeance de Mme de Montespan : « Ah ! ma fille, quel triomphe à Versailles ! quel orgueil redoublé ! quel solide établissement ! [...] quelle reprise de possession ! »[24]. Mme de Ludres avait repris sa place parmi les filles de Madame,[25], mais « méprisée de tous » à cause de son arrogance pendant ses quelques jours de faveur[26]. Mme de Montespan continuait néanmoins à la craindre, au moins jusqu’en septembre, et probablement jusqu'à sa retraite aux Saintes-Maries du Faubourg Saint-Germain, que Bussy et Mme de Scudéry mentionnent pour la première fois en janvier 1678. La favorite aurait encore d’autres rivales, comme Mme de Soubise en octobre 1677[27], Mme de Fontange au printemps de 1679, et surtout Mme de Maintenon[28].

Rappelons-nous qu’en juillet 1677, si on peut en croire le Mercure, Lully était déjà en train de travailler sur Narcisse, et Segrais lui avait probablement déjà proposé son livret. Lully aurait donc déjà pris la décision d’essayer un autre librettiste, et Quinault était déjà « noyé » plusieurs mois avant les applications documentées de Junon/Io à Mme de Montespan/Mme de Ludres. Et les seules applications documentées que nous possédons, sont celles de Mme de Sévigné, grande admiratrice des livrets de Quinault, qu’elle cite souvent.

Ces applications auraient prêté une certaine saveur aux représentations à Paris à partir d’août 1677, mais Mme de Montespan ne semble pas avoir voulu, ou avoir pu, les empêcher[29]. Elle n’a pas voulu, ou pu, non plus empêcher d’autres comparaisons aux amours du roi et à la vengeance de sa maîtresse. Autrement, pourquoi Thomas Corneille et Fontenelle, en raccommodant le Psyché de 1671 pour l’opéra de 1678, auraient-ils éliminé les deux sœurs de l’héroïne pour les remplacer par les fureurs d’une Vénus jalouse[30], ou dépeint la colère de la reine Sténobée, rejetée par Bellérophon, dans leur prochain opéra ? N’oublions pas que Quinault, dans Atys, un an avant Isis, avait mis en scène Cybèle, jalouse au point de faire mourir sa rivale, et que, pour reprendre sa collaboration avec Lully en 1680 avec Proserpine, il consacra plusieurs scènes à Cérès, maîtresse oubliée de Jupiter, prête à faire périr l’univers. Son portrait de la maîtresse abandonnée étonna même Mme de Sévigné : « Il y a une scène de Mercure et de Cérès qui n'est pas bien difficile à entendre. Il faut qu'on l'ait approuvée puisqu'on la chante »[31].

Du point de vue de ces similarités thématiques, Isis n’est pas un cas isolé ; ce qui le sépare surtout des opéras précédents et suivants, c’est son manque de succès. C’est du côté des qualités littéraires du livret, plutôt que de celui des applications à l’actualité de la cour, qu’il faudrait donc chercher d’autres raisons pour ce changement de librettiste. Mais avant d’en proposer quelques-unes, il faut préciser qu’il n’y a jamais eu de disgrâce de Quinault dans le sens d’un écartement de la cour et de l’Académie Royale – il est nommé directeur de l’Académie Française pour le deuxième quartier de 1677 et le premier de 1678 ; le 12 juin 1677 il harangue le roi, qui lui exprime deux fois sa satisfaction[32] ; il lit un poème au cours d’une fête à Sceaux chez Colbert trois mois plus tard ; trois de ses pièces parlées sont reprises par le Théâtre Guénégaud en 1677, 1678 et 1679 ; il reçoit une gratification royale de 3.000 livres (l’équivalent de ses émoluments pour Atys) pour sa participation aux répétitions de plusieurs de ses opéras à la cour en janvier 1678 ; il touche sa gratification de 1.500 livres en 1677, 1678 et 1679, comme les autres années, et il précise dans sa lettre de 1684 qu’il recevait 4.000 livres du roi même « pour les années ou je nay point eu ordre de travailler » [33].

 

Autres raisons pour le changement de librettiste

Considérons d’abord la possibilité que c’est Quinault lui-même qui aurait décidé de ne pas écrire un livret immédiatement après l’échec d’Isis. Critiqué par de nombreux ennemis, même « noyé » selon certains, il aurait pu se retirer provisoirement, pour réfléchir aux raisons de cet échec et pour décider s’il ne vaudrait pas mieux choisir un sujet tragique, comme celui d’Atys, ou trouver une nouvelle voie. Il avait agi semblablement après l’échec relatif de Stratonice, son avant-dernière tragi-comédie, au début de 1660. Il en écrirait encore une, Agrippa, mais pas avant octobre 1662, et trois de ces quatre dernières pièces parlées seraient des tragédies. Il essaya un nouveau genre en novembre 1660 avec Lysis et Hespérie, une pastorale allégorique, peut-être avec musique, commandée par Mazarin. Il est vrai qu’on peut expliquer au moins une partie de ce silence relatif par son mariage en avril 1660 et la gestion de l’héritage du premier mari de sa femme, mais pour un auteur qui avait fait jouer dix pièces pendant les sept ans avant Stratonice, ce recul est frappant[34].

Boscheron propose, dans sa Vie manuscrite, deux explications pour la séparation de Quinault et Lully. D’abord (p. 80), il écrit « Quinault n’eût pas sitôt remis a Lulli son poeme d’Isis, que ne s’accordant pas avec lui, sur les scenes dont il exigeoit la suppression, qu’ils se broüillerent ensemble » (p. 80). Nous verrons plus loin que l’unité du livret d’Isis fut souvent critiquée, et on pourrait attribuer, au moins partiellement, cette faiblesse à l’absence des scènes supprimées par le compositeur.

À la page suivante, Boscheron explique la brouille entre Quinault et Lully par le fait que le compositeur, peu content des recettes d’Isis, « lui retenait une partie de la somme qu’il était convenu de lui donner ». Cette explication n’est pas incompatible avec la précédente : on peut imaginer que Lully, attribuant la baisse des recettes aux faiblesses du livret, qu’il avait déjà signalées au poète, aurait décidé de diminuer sa rémunération.

Il faut mentionner, à propos de cette « somme qu’il était convenu de lui donner », que Boscheron parle d’un « traité » entre Quinault et Lully, selon lequel le poète recevrait 4.000 livres pour chaque livret (Vie manuscrite, p. 76, 80, 89), mais que Quinault parle dans sa lettre de 1684 de 4.000 livres qu’il recevait du roi pour chaque opéra. Aucune trace d’un tel traité n’a été trouvée, mais il est très possible que, même si l’argent venait des caisses royales, Lully aurait eu son mot à dire quant au montant.

Quelle que soit l’origine de l’argent que recevait Quinault, il est clair dans cette lettre de 1684 qu’il n’était pas content de sa rémunération. Il précise n’avait rien reçu pour Psyché, La Grotte de Versailles et « les sujets et les vers de plusieurs Mascarades et Ballets » entre 1660 et 1672, et se plaignait du « grand profit que Monsieur de Lully avoit tiré de mes ouvrages sans que j’y eusse aucune part ». Aurait-il décidé, dépité par le sort d’Isis et par son différend avec Lully concernant la suppression de certaines scènes, que le jeu n’en valait pas la chandelle[35] ?

Cette explication de Boscheron, écrite pendant le premier quart du dix-huitième siècle, est, à ma connaissance, la première en date, et elle n’a pas été publiée. La seule explication émanant d’un des acteurs principaux dans ce changement, Fontenelle, est que Lully céda au « déchaînement continuel de M. Despreaux & de tous ses amis contre les Opera de M. Quinault », surtout puisqu’il craignait « que la recette de son Théatre n'en souffrît ». La haine de Boileau contre Quinault est mentionnée par plusieurs commentateurs du dix-huitième siècle, comme Boscheron, d’Olivet dans son Histoire de l’Académie Française et Parfaict dans son histoire manuscrite de l’Académie Royale de Musique, écrite vers 1741[36].

Il est vrai que Boscheron n’est pas toujours fiable, et que Fontenelle écrivait en 1741, pour réclamer la paternité de la plupart des vers de Bellérophon. Il est néanmoins remarquable qu’ils ne mentionnent pas Mme de Montespan, étant donné la quasi-unanimité des critiques ultérieurs sur sa responsabilité pour une « disgrâce » de Quinault. Plusieurs autres historiens du dix-huitième siècle citent le prologue de Boileau et le fait que la favorite était « lasse des Opera de Monsieur Quinault », mais ils ne mentionnent pas Isis. Et comme nous l’avons vu, il est très possible que ce Phaéton de Racine et Boileau date de 1674.

Le premier historien qui, à ma connaissance, mentionne une disgrâce de Quinault est Claude Parfaict, dans l’histoire manuscrite que je viens de mentionner. Il dit dans l’entrée sur Quinault que « Cet opera [Isis] causa une espece de disgrace à Quinault. Ses ennemis firent des applications malignes sur les principaux personnages de la piece, de sorte qu’il discontinua son travail pendant pres de deux ans » (p. 28). On remarquera qu’il n’est pas question de Mme de Montespan.

Parfaict parle plus loin des « discours & [des] applications malignes que les ennemis de Quinault semerent alors pour le perdre dans l’esprit du feu roy » (p. 37). Il mentionne aussi « la disgrace de Quinault » dans son entrée sur Thomas Corneille (p. 40), mais il utilise le mot aussi dans le cas d’une « disgrace de la cour » et de la « disgrace marquée de cet opera » (p. 37, 38). Dans ces deux derniers cas, il faut comprendre disgrâce dans le second sens que donne le dictionnaire de Furetière (1690), « malheur, accident ». L’exemple qu’il donne est celui d’un homme qui a perdu son procès, ce qui s’applique beaucoup mieux à Quinault en 1677 que le premier sens, une « perte de faveur » ; dans ce sens, l’exemple est celui d’un courtisan éloigné de la cour[37].

Parlons donc d’un malheur qui est arrivé à Quinault. Les ennemis de Quinault n’auraient rien négligé pour le perdre dans l’esprit du roi et dans celui de Lully, et l’échec d’Isis leur offrit l’occasion parfaite. Ils auraient pu insister sur des applications peu flatteuses pour Mme de Montespan et son royal amant, mais nous avons vu qu’on trouve de telles applications dans plusieurs livrets. Montrer que le livret était mauvais était un argument beaucoup plus fort. Après la « querelle d’Alceste » en 1674, il y avait eu peu de choses à reprocher aux deux prochains livrets de Quinault, Thésée et Atys, à l’exception des scènes comiques du premier. Le second est comparable à une tragédie racinienne, avec une intrigue très proche de celle de la prochaine pièce de Racine, Phèdre. Quelle chance donc pour la cabale, qu’un livret comme Isis, facile à critiquer.

En effet, Parfaict mentionne bien quelques « applications malignes », mais il insiste surtout sur la faiblesse du livret : « on ne sent point dans la pièce cet intérêt qui doit être l’ame de tous les ouvrages de Théatre ». Un peu plus loin, il ajoute « il a fait tout ce qui a dependu de lui ; […] Plaignons le d’avoir été obligé de traiter un fond ingrat et sterile, dont il a été contraint de remplir les vuides de scenes épisodiques » (p. 37).

Si le nouvel opéra n’avait pas plu à la cour, c’est que Quinault avait créé une intrigue épisodique, avec des personnages assez unidimensionnels[38] et où l’unité thématique remplace l’unité d’action. Hiérax, qui au début semble être le personnage principal, disparaît après l’acte III, et il n’y a pas de vrai couple amoureux ; ce troisième acte n’avance pas l’action, et le quatrième, avec ces trois changements de décor, n’est qu’une suite de tourments. Au XVIIIe siècle, Rémond de Saint-Mard jugea même le livret de Quinault « ridicule » ; pour La Harpe, les deux derniers actes « languissent par l’uniformité d’une situation trop prolongée » , et la manière de tourmenter Io « semble n’avoir été imaginée que pour des effets de décoration »[39]. Quand on pense que Racine et Boileau, avec leur goût pour une intrigue bien conduite qui se serre de scène en scène jusqu’au dénouement, étaient à la tête de la cabale, on imagine bien les raisons qu’ils auraient pu trouver pour montrer qu’il fallait remplacer Quinault.

            Quinault reprit sa place de librettiste au plus tard au printemps de 1679 : une lettre du duc de Saint-Aignan à Bussy-Rabutin, datée du 24 juin[40], annonce en effet la préparation d’un opéra, Le Ravissement de Proserpine, pour l’hiver suivant. Lully avait sans doute décidé qu’il valait mieux rester avec Quinault, malgré l’opposition d’« Anciens » comme Boileau et Racine. Cependant, on ne trouvera pas dans le livret de Proserpine les faiblesses esthétiques de celui d’Isis, même si un des personnages principaux est une ancienne maîtresse de Jupiter.

 

Épilogue

            On trouve une autre raison, dix ans plus tard, pour ne pas croire que les applications d’Isis aux amours royaux auraient suffi à écarter Quinault de son poste de librettiste. En 1687, on commanda à François Verdier, pour la décoration du Trianon de Louis XIV et Mme de Maintenon, une série de neuf tableaux représentant des épisodes de l’histoire d’Io. Chacun des épisodes figure dans le livret de Quinault, signe de la popularité de l’œuvre même si on ne la jouait plus. Et surtout, comme le dit Hélène Himmelfarb[41],

peut-être ce remploi de la tragédie lyrique dans une maison si personnellement royale et avec une étendue si insistante devrait-il nous conduire à nuancer notre appréciation de la disgrâce temporaire de Quinault : si vraiment l’application, comme on disait, des persécutions infligées à Io par Junon jalouse au drame triangulaire qui s’était joué entre le Roi, Mme de Montespan et la belle Mlle de Ludres en était la cause, Louis XIV et sa nouvelle épouse auraient-ils accepté qu’une commande d’une telle importance vînt dix ans après les éterniser sous leurs yeux et à leurs frais ?

            Comme nous l’avons vu, il n’est même pas sûr qu’il y ait eu, au moment en 1677 quand Lully commença à considérer d’autres collaborateurs, des applications d’Isis à cet épisode de la vie sentimentale de Louis XIV. Les seules que nous connaissions sont de Mme de Sévigné, qui datent presque certainement d’après la décision de changer de librettiste. Parfaict ne cite pas de sources pour ses « applications malignes », mais il avait sans doute lu ces lettres, disponibles dans plusieurs éditions à partir de 1725. Aurait-on écrit, pendant presque trois siècles, que c’est à cause de ces applications que Quinault fut remplacé, même « exilé » et « disgracié », tout simplement à cause de quelques lignes de la spirituelle marquise ?

***

            Étienne Gros abonde un peu dans le même sens : « Il est hors de doute pourtant, quoi qu'en aient pensé certains critiques, qu'il n'était pour rien dans l'affaire. [...] Il fallait la malignité des courtisans pour que Quinault, dont le seul tort fut de ne pas prévoir, se vit accuser d'un crime que certainement il était loin d'avoir prémédité » (Quinault, p. 121-122).

 

 

[1] Georges Forestier propose cette période après la création d’Alceste, « au moment de la plus forte tension entre les partisans de la tragédie et ceux de l’opéra », comme la plus probable pour la composition par Racine (l’attribution est douteuse) de son épigramme, pleine de « crudité » (le terme est de Forestier), dans laquelle il prend pour cible Quinault et Lully (Racine, Œuvres, éd. G. Forestier, Paris, Gallimard, 1999, I, p. 693 et p. 1554, note 1). On peut se demander si la tension n’était pas plus forte en 1677.

[2] Alceste, suivi de La Querelle d’Alceste : Anciens et Modernes avant 1680, éd. William Brooks, Buford Norman et Jeanne Morgan Zarucchi, Genève, Droz, 1994, p. x-xi et passim. L’original de la lettre de Perrault, du 27 janvier, est à la BnF, Mélanges Colbert 167, f. 245a.

[3] La Gorce, Lully, p. 225. Requête d'inscription de faux en forme de factum, pour le sieur Guichard […] contre Jean-Baptiste Lully […], Paris, 1676, p. 86.

[4] La Fontaine dit dans « Le Florentin », v. 55-56, qu’il travailla pendant quatre mois pour Lully. Une lettre au prince de Condé, probablement due à Jean Perrault, président des Comptes, datée du 13 septembre 1674, signale que « La Fontaine s’est rebuté ; il a quitté son entreprise et laissé le champ de bataille à Quinault ». Pierre Clarac date de juin 1674 la « Lettre à Monsieur de Turenne », dans laquelle La Fontaine déclare travailler à un opéra (v.23). Voir La Fontaine, Œuvres diverses, éd. P. Clarac, Paris, Gallimard, 1958, p. 924, 956-958, et mon Quinault librettiste de Lully (Wavre, Mardaga, 2009) p. 125-126.

              Cet épisode de la vie de La Fontaine est souvent situé en 1679, de façon erronée, probablement suite à l’erreur de Boscheron dans sa vie de Quinault, publiée en tête de l’édition de 1715 du Théâtre de Quinault ; à la p. 47, il fait suivre Daphné par Proserpine, qui ne fut créé qu’en 1680.

[5] H. Prunières (Lully, 1909, p. 49) propose 1674 comme la date la plus probable pour ce Phaéton. Voir mon Quinault librettiste de Lully (Wavre, Mardaga, 2009) p. 126, n. 10, pour un aperçu de la bibliographie sur la carrière de Racine en 1677, au moment de son « silence » après Phèdre.

[6] La Gorce, Lully, p. 218. Florence Archivio di Stato, Mediceo des Principato 4673.

[7] La Gorce, Lully, p. 218. Rome, Archives secrètes du Vatican, Nunziatura di Francia 155.

[8] La Gorce, Lully, p. 217. De Paris le 18 janvier 1677, p. 53 et 54.

[9] La Gorce, Lully, p. 219.

[10] P. 238-242. Perrault, sans raconter l’anecdote, mentionne dans ses Hommes illustres (tome I, Paris, Dezallier, 1696, p. 81), que les premières tragédies en musique « n’eurent pas d’abord les applaudissemens sans bornés qu’ils ont receus depuis » et qu’on essaya de « dégoûter » Lully de Quinault ; encore une fois, c’est la qualité des vers de Quinault qui persuada Lully garder son collaborateur.

Quant à la date, on pourrait, comme Forestier, proposer 1674. Il est vrai que Perrault parle du moment quand Quinault « vint à faire » des opéras, et qu’il utilise quelques-uns des arguments qu’il avait mis dans La Critique d’Alceste en 1674. Cependant, il dit aussi que Quinault avait fait plusieurs livrets (« les trouver mauvais », « les faire trouver tels ») ; dans Les Hommes illustres, il dit que le librettiste avait fait « de trés excellens » opéras. Si ce souper eut lieu au début de 1674, Quinault venait à peine de terminer son deuxième livret. On comprend mal pourquoi, huit ou neuf mois après avoir fait la première tragédie en musique, il serait déjà un homme « noyé ».

Boscheron, qui raconte la même anecdote, avec quelques légères variantes, dans sa Vie imprimée en tête de l’édition de 1715 (p. 37-39) et dans sa Vie manuscrite (Vie De M. Quinault, BnF, Manuscrits, fr. 24329, p. 78), la donne entre ses discussions de Thésée et d’Atys, donc en 1675, mais sa chronologie est souvent inexacte ; nous avons vu comment il fait suivre le Daphné de La Fontaine, écrit en 1674, par Proserpine, créé en 1680 (note 4).

[11] Dans une lettre du 23 janvier 1685 au prince de Condé, le père Des Champs, son confesseur, écrit que Segrais avait commencé le livret « il y a huit ou neuf ans ». Voir La Gorce, Lully, p. 661. Sur Segrais et la musique, voir Anne-Madeleine Goulet, « Segrais sous le charme d'Euterpe », dans Jean Regnaud de Segrais. Actes du Colloque de Caen (9 et 10 mars 2006), éd. Suzanne Guellouz et Marie-Gabrielle Lallemand, Tübingen, Narr, 2007, p. 223-248.

[12] Mercure, juillet 1677, p. 102 ; janvier-mars 1677, p. 69-71. Voir La Gorce, Lully, p. 268-269.

[13] Le Nouveau Mercure Galant, novembre, tome IX, 1677, p. 116-118. Voir Nathalie Berton-Blivet, « Le Mercure galant, une source pour penser le petit opéra », dans Le Mercure galant : témoin et acteur de la vie musicale, éd. Anne Piéjus, Paris, IRPMF, 2010, p. 29-44.

[14] On trouve un argument semblable dans Manuel Couvreur, Lully, p. 58. Je suis également d’accord avec M. Couvreur pour dire que le texte de Boileau ne renferme aucune allusion explicite au Traité de Nimègue signé en 1678. En fait, les craintes mentionnées par Boileau dans l’Avertissement « que quelque audacieux ne vint troubler, en s’élevant contre un si grand Prince, la gloire dont elle [l’Harmonie] jouïssoit avec lui » suggèrent davantage la poursuite de la guerre que sa conclusion.

[15] Beffara (Dictionnaire de l’Académie Royale de Musique, 1783-1784, BnF, Opéra, ms. Rés. 602-603, entrée Psyché) suggère que c’est une erreur et que c’est le Psyché de 1671 qui fut fait en trois semaines, mais comme Th. Corneille était un des principaux rédacteurs du Mercure, c’est peu probable.

[16] Les répétitions commencèrent le 19 novembre (BnF, Manuscrits, Mélanges Colbert 299, f. 18r), et Quinault fit une lecture du prologue à l’Académie française le 23 décembre : « hier [...] Quinault a lu le prologue de l’opéra que nous verrons les premiers jours de l’année prochaine. On en a trouvé les vers fort beaux » (Bussy-Rabutin, Correspondance, éd. Lalanne, Paris, Charpentier, 1858, III, p. 194 ; lettre duc de Saint-Aignan à Bussy-Rabutin, du 24 décembre 1676).

[17] Jean-Christian Petitfils, Madame de Montespan, Paris, Fayard, 1988, p. 123-125, 134-135. Voir aussi Sévigné, Correspondance, éd. R. Duchêne, Paris, Gallimard, 1974-1978, II, p. 98, lettre du 11 septembre 1675 ; Primi Visconti, Mémoires, éd. Jean-François Solnon, Paris, Perrin, 1988, p. 66 ; Gros, Quinault, Paris, Champion, 1926, p. 119.

[18] Sévigné, Correspondance, II, p. 352 (lettre du 29 juillet 1676). et p. 387, 2 septembre. Sévigné reprendra l’expression « triomphante » à propos de la vengeance de Mme de Montespan sur Mme de Ludres/Io le 30 juin 1677 (II, p. 479).

[19] Bussy, III, p. 246-247 (lettre de Mme de Montmorency à Bussy, du 6 mai 1673, et la réponse de Bussy) ; voir aussi Sévigné, Correspondance, I, p. 637 (lettre du 11 décembre 1673) ; Primi Visconti, Mémoires, p. 57, 103-104.

[20] Primi-Visconti, Mémoires, p. 33, 35, 103.

[21] On verra que Mme de Sévigné évoque le même argument à propos de Cérès/Montespan dans Proserpine.

[22] Primi Visconti, Mémoires, p. 103. Selon R. Duchêne, la liaison entre Louis XIV et Mme de Ludres avait commencé en 1676 (Sévigné, Correspondance, II, p. 1317, n. 4).

[23] Selon une note de l’édition Boislisle des Mémoires de Saint-Simon (Paris, Hachette, 1916), t. 28, p. 188), reprise par Duchêne dans son édition des lettres de Sévigné (II, p. 1317, n. 4, pour la lettre du 11 juin 1674, p. 462), c’était « par une indiscrétion de Marcillac au commencement de juin ». Cependant, Mme de Scudéry décrit Mme de Montespan comme « contente » le 5 juin (Correspondance de Bussy, III, 269), ce qui serait surprenant seulement quelques jours après la découverte.

[24] Sévigné, Correspondance, II, p. 462 ; lettre du 11 juin 1677.

[25] De même, la célèbre épistolière écrivit le 28 juillet qu’ « Isis est retournée chez Madame, tout comme elle était, belle comme un ange » (II, p. 506).

[26] Petitfils, Montespan, p. 148. Voir la lettre de Bussy à Mme de Scudéry, le 10 février 1678.

[27] Voir la lettre de Mme de Montmorency à Bussy, le 8 octobre 1677.

[28] Voir Petitfils, Montespan, p. 164-169, 218 ; Primi Visconti, Mémoires, p. 115-121.

[29] Jean-Paul C. Montagnier, « Le Dialogue de anima d’Henry Du Mont et la cabale d’Isis (1677) », dans “L’Esprit français” et la musique en Europe, Hildesheim, Olms, 2007, p. 349.

[30] Niderst, Fontenelle à la recherche de lui-même, Paris, Nizet, 1972, p. 96.

[31] Sévigné, II, p. 833, 9 février 1680. C’est la scène 2 du premier acte, où Cérès chante « il m’avait promis qu’il m’aimerait toujours » et « Ah! qu’il serait aimable, / S’il aimait constamment ! » (v. 44, 59-60). La situation était néanmoins différente en 1680 – la faveur de la favorite baissait, tandis que celle de Mme de Maintenon montait. Ce n’est pas seulement le sort d’une maîtresse abandonnée, mais aussi celui des enfants illégitimes, qui est à l’origine de la rage de Cérès/Mme de Montespan. Selon Couvreur (Lully, p. 378), Quinault fait exprès en 1680 pour rapprocher le livret de Proserpine à celui d’Isis.

[32] Mercure galant, septembre 1677, p. 102 : le roi « eut la bonté de luy dire une seconde fois qu’on ne pouvoit mieux parler ».

[33] BnF, manuscrits, Autographes Rothschild, XVIIe siècle, t. XII, p. 728. Voir https://sites.google.com/a/quinault.info/www/Home/la-vie/chronologie pour des détails sur ces activités.

[34] Voir William Brooks, Philippe Quinault, Dramatist, Bern, Peter Lang, 2009, p. 275, 346.

[35] BnF, manuscrits, Autographes Rothschild, XVIIe siècle, t. XII, p. 728. Voir J. de La Gorce, « Un proche collaborateur de Lully : Philippe Quinault », XVIIe Siècle, 40 (1988), p. 365-370, et Brooks, Philippe Quinault, Dramatist, p. 346.

[36] Abbé d’Olivet, Histoire de l’Académie Française, depuis 1652 jusqu’à 1700, Paris, Coignard, 1729 ; éd. Ch.-L. Livet, tome II, Paris, Didier, 1858, p. 231. Claude & François Parfaict, Histoire de l’Académie Royale de Musique, 1645-1742 (ca. 1741-1742), BnF, Manuscrits, fr. 12355, p. 40.

[37] « Le malheur d’une personne » est le premier sens dans le dictionnaire de Richelieu (1680), qui ne mentionne pas la cour. La première édition du dictionnaire de l’Académie Française (1694) et la quatrième (1762) donnent les mêmes sens que Furetière : « perte […] des bonnes graces […] signifie aussi, Infortune, malheur ».

[38] Selon Parfaict (Histoire de l’Académie, p. 37), certains personnages, comme la furie Érinnis, furent jugés « trop tranquille[s] ».

[39] Rémond de Saint-Mard, Réflexions sur l’Opéra, La Haye, J. Néaulme, 1741 , p. 31. Jean-François de La Harpe, Cours de littérature ancienne et moderne, Paris, C. Didot, 1863, I, p. 665B, 666A. Voir aussi Gros, Quinault, p. 753, n. 2.

     En me concentrant sur le livret, je n’oublie pas qu’on pourrait attribuer l’échec d’Isis à sa musique. Lecerf, par exemple, décrit la musique comme savante, peut-être trop pour le public, et cette œuvre est connue comme « l’opéra des musiciens ». Il reste néanmoins vrai que le livret fut critiqué et que Lully n’était pas content.

[40] Bussy-Rabutin, Correspondance, IV, p. 395. Le Mercure d’octobre 1679 mentionne « l'Opéra nouveau de Mr Quinaut, qui est en possession de faire les Opéra pour Sa Majesté » (p. 351).

[41] Hélène Himmelfarb, « Un domaine méconnu de l’empire lullyste : le Trianon de Louis XIV, ses tableaux et les livrets d’opéras (1687-1714) », dans Jean-Baptiste Lully. Actes du colloque, éd. J. de La Gorce et H. Schneider, Laaber, Laaber-Verlag, 1990, p. 294.