Lepeintre - Notice 2

SECONDE NOTICE SUR QUINAULT

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Le lecteur trouvera une première notice sur Quinault dans le tome 2 des Comédies en vers, ou tome 9 des Comédies du second ordre de l’ancien Répertoire ; mais, vu qu’il n’y est point considéré comme poëte lyrique, nous allons ajouter ici tout ce qui le regarde sous ce rapport.

Lorsque Boileau disait tant de mal de Quinault dans ses satires, c’est que celui-ci n’avait point encore fait d’opéras. « Il était fort jeune, et moi aussi, dit-il » dans une préface de ses œuvres, « lorsque j’écrivais contre lui ; il n’avait pas fait alors la plupart des ouvrages qui lui ont acquis depuis une juste réputation. »

Cependant Boileau, quoique réconcilié de bonne heure avec Quinault, ne l’apprécia jamais bien ; il y a plus même, il blâmait le genre de l’opéra.

Ces doucereux Renauds, ces insensés Rolands,

Et tout [sic] ces lieux communs de morale lubrique

Que Lulli réchauffa des sons de sa musique.

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Mais Boileau conserva toujours un peu de fiel contre lui, et cela, a-t-on dit, parce que le poëte lyrique eut le bonheur de réussir dans les louanges qu’il donna à Louis XIV dans ses prologues, tandis que le satirique, invité par ce monarque à en faire un, échoua si complétement, qu’aucun compositeur ne put mettre ce dialogue en musique. Il n’était pas plus propre au genre lyrique, qu’au genre pindarique, n’ayant ni inspiration ni chaleur d’ame. Cependant les prologues de Quinault ne sont plus lus à cause de leur monotone continuité d’adulation.

Mais autant Quinault fut rabaissé par Boileau, autant il a été élevé par Voltaire. Il y a un juste milieu à prendre entre les injustes critiques du législateur du parnasse français ; et les éloges outrés du plus fécond de nos poëtes. Laharpe seul, jusqu’à présent, nous semble avoir, porté un jugement convenable des opéras de ce poëte.

« Quinault a-t-il dit, n’a sans doute ni cette audace heureuse de figures, ni cette éloquence de passion, ni cette harmonie savante et variée, ni cette connaissance profonde de tous les effets du rhythme, et de tous les secrets de la langue poétique : ce sont là les beautés du premier ordre ; et non-seulement elles ne lui étaient point nécessaires, mais, s’il les avait eues, il n’eut point fait d’opéra, car il n’au- [p. 27] rait rien laissé à faire au musicien. Mais il a souvent une élégance facile et un tour nombreux ; son expression est aussi pure et aussi juste que la pensée est claire et ingénieuse ; ses constructions forment un cadre parfait où ses idées se placent comme d’elles-mêmes, dans un ordre lumineux et dans un juste espace ; ses vers coulans, ses phrases arrondies, n’ont pas l’espèce de force que donnent les inversions et les images ; ils ont tout l’agrément qui naît d’une tournure aisée et d’un mélange continuel d’esprit et de sentiment, sans qu’il y ait jamais dans l’un et dans l’autre ni recherche, ni travail. Il n’est pas du nombre des écrivains qui ont ajouté à la richesse et à l’énergie de notre langue ; il est un de ceux qui ‘ont le mieux fait voir combien on peut la rendre souple et flexible[1]. Enfin, s’il paraît rarement animé par le génie des vers, il paraît très-familiarisé avec les grâces ; et, comme Virgile nous fait reconnaître Vénus à l’odeur d’ambrosie qui s’exhale de la chevelure et des vêtemens de la déesse, de même quand nous venons de lire Quinault, il nous semble que l’Amour et les Grâces viennent de passer près de nous. »

Plusieurs critiques ont reproché à Quinault [p. 28] d’être trop doucereux, même dans les momens les plus tragiques. Cependant il y a plusieurs endroits de ses opéras où il a prouvé qu’il savait prendre tous les tons quand il le fallait. On n’a qu’à lire le monologue de Méduse dans Persée, pour s’en convaincre.

Pallas, la barbare Pallas,

Fut jalouse de mes appas, etc.

Nous pourrions encore citer le morceau de la fureur Roland, commençant ainsi :

Taisez-vous malheureux, oserez-vous sans cesse, etc.

Et la première scène du 5. acte de Proserpine, ou Pluton dit ;

Vous qui reconnaissez ma suprême puissance,

Donnez-moi des conseils, donnez-moi du secours.

L’orgueilleux Jupiter m’offense : etc.

On l’a blamé avec bien plus d’injustice encore de ce que sa versification était sans nerf et sans force, mais une versification forte serait un défaut dans les opéras qui doivent respirer une élégante mollesse, comme la poésie douce et coulante serait un défaut dans un sujet mâle de tragédie. Legrand talent d’un poëte, est de savoir proportionner son style au genre qu’il adopte ; et certes, jamais [p. 29] depuis Quinault, personne n’a mieux connu le langage de la poésie lyrique, si même il y a jamais été égalé.

Un genre où Quinault eût incontestablement excellé, c’est celui de la poésie légère; plusieurs passages de ses opéras en offrent d’excellens modèles. Il a su y prendre aussi le ton et la couleur, soit de l’idylle, soit de l’élégie, soit même du madrigal ; c’est peut-être même à cause de la conformité de Voltaire avec lui pour cette dernière espèce de poésie, que Voltaire en a parlé avec un enthousiasme qu’il pousse souvent trop loin.

Le grand talent de Quinault ne peut pas empêcher les connaisseurs de lui trouver des défauts. On est obligé de reconnaître qu’il a un peu trop de cette mollesse où il excellait, et qu’il prodigue trop cette galanterie voluptueuse qui est l’ame de ses pièces. Il y a presque toujours partie carrée d’amour des quatre amans dont les feux se croisent dans ses opéras, où il multiplie trop les épisodes. Il rend amoureux d’une manière un peu trop fade des personnages chez qui les passions les plus tendres même, devraient au moins avoir une couleur héroïque ou sombre ; tels qu’Hercule, Pluton, Roland et Thésée. Il nous fait toujours voir de grands [p. 30] rois, et des vieillards mêmes soupirant comme des bergers, et parlant de perdre la vie s’ils n’obtiennent l’objet de leur flamme : chez lui les personnages les plus rébarbatifs, ont toujours la tendresse à la bouche, et le roi des enfers ne le cède à qui que ce soit en amoureux penchans et en langoureux discours. Il est difficile de ne pas rire lorsqu’il fait dire à Pluton ;

Les accens plaintifs de sa voix

Ont ému mon cœur inflexible;

Qu’un cœur fier est troublé, quand il devient sensible

Pour la première fois !

Et quand son confident lui dit :

Le tems d’aimer n’est pas connu ;

Il faut l’attendre.

Quand ce tems fatal est venu,

Il faut se rendrę,

Quel intéressant ingénu que ce sensible Pluton, le geolier des morts ! On croirait presque qu’il s’agit d’une jeune bergère qui commence à sentir son cœur parler pour la première fois.

Un poëte qui prêterait aujourd’hui un langage si doucereux et si mielleux à des personnages imposans ou puissans, se ferait moquer de lui.

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Mais Quinault se conforma en cela au gout de son siècle, ou la galanterie romanesque et complimenteuse était en grande vogue, et ou les lectures ordinaires des gens de qualité étaient les romans de Scudéri et de la Calprenède. Racine même n’a pu se soustraire à cette contagion ; et il a quelquefois outré la dose de galanterie qu’il donne à ses héros.

Au surplus, on ne peut pas absolument blâmer Quinault d’avoir exploité le domaine du merveilleux. S’il a pris tous ses sujets dans la fable ou dans la magie, c’est que là seulement, tous les arts parlent à toutes les passions. La poésie, la musique, la danse et les décorations doivent concourir à l’embellissement de ce genre de spectacle, dont le but presque exclusif est d’intéresser et d’émouvoir les sens. Le fond du drame, ainsi que l’a imaginé Quinault, qu’on doit en regarder comme l’inventeur en France, doit être gracieux, et le terrible ne doit s’y faire sentir que par moment. Il n’a manqué à ce poëte que d’avoir resserré son action en moins d’actes ; car un opéra en cinq actes est toujours trop long, si bon qu’il soit. Il lui a manqué aussi, dans les morceaux d’un mouvement passionné (agitato), l’égalité de nombre et de cadence que Métastase a le pre- [p. 32] mier observée parmi les poëtes italiens, et que seul et tout récemment a pratiquée M. Hoffmann, parmi les poëtes français.

Toutefois Métastase est bien loin d’avoir conçu le drame lyrique comme Quinault. Perfectionnant l’ouvrage commencé par Apostolo-Zéno, il puisa tous ses ouvrages dans l’histoire. Aussi ses opéras sont-ils tous des tragédies, tandis que ceux de Quinault sont improprement appelés tragédies-lyriques.

L’opéra français, d’ailleurs, est un genre à part. Il a été porté, sous le rapport musical, à sa plus haute perfection ; et les brillans accessoires, tels que les ballets et les décors, en font par leur ensemble un spectacle unique en Europe.

Un des grands mérites de Quinault, et qui fait oublier ses médiocres défauts; c’est qu’il avait un talent particulier, non pas seulement pour faire des vers bons à mettre en chant, ainsi qu’à être déclamés, mais pour faire des drames charmans et d’un genre qu’il a créé. Tous ses opéras sont bien intrigués ; l’action y est bien développée, et ils font le même effet à la lecture que des tragédies ou des comédies. Les auteurs d’aujourd’hui ont donné dans l’opposé d’une manière si extrême, que les trois-quarts des opéras faits depuis un demi- [p. 33] siècle sont ce qu’on peut appeler, écourtes, et à peine supportables par leur concision, leur sécheresse et la briéveté du dialogue.

Tous les opéras de Quinault que nous donnons ici, ne sont point tels qu’il les a laissés. Nous avons cru devoir adopter pour la majeure partie, les changemens, additions et coupures qui y ont été faits. Nous avons donné les uns en entier, sans rien changer au texte de l’auteur, tels qu’Atys, Isis, Proserpine, Phaéton, Amadis et Armide. Nous n’avons donné les autres que réduits, tels que Alceste, Thésée et Roland.

Nous avons ajouté des variantes à ceux des opéras réduits, où ce qui a été supprimé à la représentation est bon à conserver à la lecture, comme Roland.

Enfin, nous avons donné aux variantes les changemens faits par Marmontel, dans l’opéra d’Atys, qu’il a réduit à trois actes fort courts, où Quinault est trop dénaturé, et qui se trouve réduit aux proportions d’une cantate ou d’un oratorio.

Nous n’avons pas voulu ajouter à Proserpine des variantes qui indiquassent les coupures, réductions et changemens que Guillard y a faits, en 1803, parce que cet auteur a tellement défiguré la pièce de Quinault, qu’elle [p. 34] en est méconnaissable. C’est un nouvel opéra qu’il a fait avec les membres de ce poëte, et il s’en faut de beaucoup que cette Proserpine ainsi hâchée, refaite et refondue, valle celle de l’auteur d’Armide.

Outre les opéras que nous insérons dans notre recueil, Quinault en a fait beaucoup d’autres, qu’on ne lit ni ne représente plus. Ce sont par exemple : Les Fêtes de l’Amour et de Bacchus, Cadmus, le Triomphe de l’Amour, le Temple de la Paix.

Nous ne parlerons pas ici de ses tragédies et de ses comédies : elles sont mentionnées dans la première notice de l’ancien Répertoire dont celui-ci est la suite.

Il a laissé aussi une très jolie description en vers, de la maison de Sceaux, que l’on trouvera imprimée dans le quarantième tome de la collection des poëtes de madame Dabo.

L’Académie française fit, on ne sait pourquoi, quelque difficulté à sa réception : cependant, ses opéras, dans lesquels il s’était montré le premier homme de son siècle, comme Corneille dans la tragédie, et Molière dans la comédie, eussent dû le faire admettre sans hésitation. Mais à cette époque-là, comme aujourd’hui, être grand littérateur ou homme de génie, ce n’était pas toujours un titre suf- [p. 35] fisant pour être admis dans l’illustre compagnie ; il fallait encore être protégé. Aussi l’était-il par Colbert, et même par Louis XIV. Ce monarque lui donna, en outre, le cordon de Saint-Michel, avec une pension de deux mille livres. Lully, qui l’avait si bien apprécié, lui donnait quatre mille livres de chacun de ses opéras.

Comme il avait mêlé l’étude du droit å celle de la poésie, il se trouva dans le cas d’arranger les comptes d’un riche négociant, dont il épousa ensuite la veuve, qui lui apporta plus de cent mille écus de fortune. Tout cela réuni fesait un sort très-brillant pour un poëte ; surtout dans un siècle où la valeur réelle de l’argent était triple de celle d’aujourd’hui, à égalité de valeur nominale.

Cependant, il a osé se plaindre de la médiocrité de sa fortune dans ces jolis vers ;

C’est avec peu de biens, un terrible devoir

De se sentir pressé d’être cinq fois beau-père.

Quoi! cinq actes devant notaire

Pour cinq filles qu’il faut pourvoir !

O ciel! peut-on jamais avoir

Opera plus fâcheux à faire !

Ce sont là des plaintes de poëte, et l’on sait trop à quoi l’on doit s’en tenir.

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De ses cinq filles, trois le tirèrent d’embarras en se fesant religieuses. Cela ne lui fait point d’honneur. Un particulier qui avait environ soixante mille francs de rente d’aujourd’hui, pouvait très bien doter toutes ses filles, en eût-il eu dix.

A peine sortait-il de sa cinquantième année, qu’il fut assailli de dégoûts, d’insomnie, de langueurs : pendant deux ou trois mois il se sentit mourir, pour ainsi dire, plusieurs fois par jour, ayant continuellement des défaillances. Il se repentit, par principe de dévotion, d’avoir consacré son tems à des opéras. Sa femme même, particulièrement mue par des idées religieuses, ne l’avait épousé qu’à condition qu’il renoncerait au théâtre, qu’elle regardait comme tout-à-fait profane, et il ne se remit à faire des opéras que par la volonté absolue de Louis XIV. Ainsi, il a dû son immortalité littéraire aux ordres d’un gouvernement.

Pour expier ce qu’il regardait comme d’anciennes erreurs, il avait commencé un poëme sur l’extinction en France de la religion réformée, lorsque la maladie l’emporta, le vingt-six octobre 1688, après avoir composé pour [p. 37]

lui-même cette épitaphe d’une simplicité remarquable.

Passant, arrête ici pour prier un moment ;

C’est ce que des vivans les morts peuvent attendre.

Quand tu seras au monument,

On aura soin de te le rendre.


[1] Quelqu’un a dit que Quinault a désossé la langue.

Suite du Répertoire du theâtre français […]. Par M. Lepeintre, vol. XII / Grands Opéras, vol. I, Paris, Veuve Dabo, 1822