Les Fêtes de l'Amour et de Bacchus

Introduction     Livret     Notes

Créées à Paris, au Jeu de Paume de Bel-Air, le 11 novembre 1672, Les Fêtes de l’Amour et de Bacchus sont le premier spectacle donné à la nouvelle Académie Royale de Musique, pour laquelle Lully avait reçu le privilège en mars de la même année. En attendant le « spectacle [...] plus magnifique » promis pour bientôt, qui sera Cadmus et Hermione (1673), Quinault et Lully firent un « Essay », préparé rapidement pour satisfaire à l’impatience du public. Pour ce faire, l’Académie

a rassemblé ce qu’il y avoit de plus agreable dans les Divertissements de Chambord, de Versailles, & de saint Germain […]. Elle a essayé de lier ces Fragmens choisis, par plusieurs Scenes nouvelles, on y a joint des Entrées de Balet, on y a meslé des Machines volantes, & de toutes ces parties differentes on a formé une Pastorale en trois Actes, précedée d’un grand Prologue. Ce premier Spectacle sera bien-tost suivy d’un Autre plus magnifique […]. (Préface ; voir aussi Le Mercure galant de juillet-août 1672, p. 368-376)

Les fragments sont tirés en effet de spectacles créés par Molière et Lully à trois châteaux royaux : Chambord (Le Bourgeois gentilhomme), Versailles (Le Grand Divertissement Royal de Versailles), et Saint-Germain-en-Laye (La Pastorale comique et Les Amants magnifiques). Comme on peut le voir dans le sommaire suivant, Quinault, pour « lier » ces fragments, fit deux scènes pour le prologue, une pour le premier acte et la majorité du deuxième ; seul le troisième acte est entièrement de Molière. Les entrées (à l'exception de la seconde, qui est nouvelle) sont tirées des mêmes spectacles de Molière et Lully que les scènes.

SCÈNES

Prologue

[Sc. 1]. A Moy, Monsieur, à moy de grace (Molière, Le Bourgeois gentilhomme, Ballet après l’acte V, début)

[Sc. 2]. Eslevez vos concerts (Quinault)

[Sc. 3]. Joignons nos soins & nos voix (Quinault)


Acte Premier

Sc. 1. Vous chantez sous ces feüillages (Molière, Les Amants magnifiques, 3e intermède sc. 1)

Sc. 2. Hé quoy, toûjours languissant (Les Amants magnifiques, 3e intermède sc. 2)

Sc. 3. Vien dans nostre village (Quinault)

Sc. 4. Ah ! que sur nostre coeur (Molière, Les Amants magnifiques, 3e intermède sc. 3)

Sc. 5. Vers ma belle Ennemie (Les Amants magnifiques, 3e intermède sc. 4)

Sc. 6. Quoy tu me fuis, Ingrate (Les Amants magnifiques, 3e intermède sc. 5)


Acte II

Sc. 1. Je ne puis souffrir l'outrage (Quinault)

Sc. 2. Deésse des appas (Molière, La Pastorale comique, début)

Sc. 3. Qu'un beau Visage (Quinault)

Sc. 4. Forestan, es-tu là ? (Quinault)

Sc. 5. Ma Bergère a changé (Quinault)

Sc. 6. Ma volage s’avance (vers 1-5, Quinault)

          Quand je plaisois à tes yeux (Les Amants magnifiques, 3e intermède sc. 5)

Sc. 7. Amants, que vos querelles (Les Amants magnifiques, 3e intermède sc. 5)

Sc. 8. Venez, que rien ne vous arreste (Quinault)


Acte III (Molière, dernier divertissement du Grand Divertissement de Versailles (dans lequel est enchâssé George Dandin))

Sc. 1. Ici l'ombre des ormeaux (1er couplet)

          Le zephire entre ces eaux (2e couplet)

          Duo : Ah ! qu’il est doux, belle Silvie

Sc. 2. Arrestez, c'est trop entreprendre

Sc. 3. C'est trop, c'est trop, Bergers

ENTRÉES

Première Entrée (Prologue, sc. 1)

Le Donneur de Livres, quatre opportuns (danse)

Dans Le Bourgeois gentilhomme, Ballet après l’acte V, 2e entrée

Partition Ballard, 1717, p. 16-19

Seconde Entrée (Prologue, sc. 2)

Quatre Heros. Quatre Pastres, & quatre Ouvriers (danse)

Nouvelle musique de Lully

Partition Ballard, 1717, p. 29-32

Troisième Entrée (Acte I, sc. 6)

Quatre Faunes, quatre Driades (danse)

Dans Les Amants magnifiques, 3e intermède, sc. 5

Partition Ballard, 1717, p. 65-68

Quatrième entrée (Acte II, sc. 2)

Deux Magiciens, six Démons (danse et chant)

Dans La Pastorale comique, sc. 2

Partition Ballard, 1717, p. 71-78

Cinquième Entrée (Acte III, sc. 1)

Quatre Bergers, quatre Bergeres (danse et chant)

Dans Le Grand Divertissement de Versailles, dernier intermède

Partition Ballard, 1717, p. 102-105

Sixième Entrée (Acte III, sc. 2)

Quatre Satires, quatre Bacchantes (danse et chant)

Dans Le Grand Divertissement de Versailles, dernier intermède

Partition Ballard, 1717, p. 110-123

Septième Entrée (Acte III, sc. 3)

Quatre bergers, quatre Bergeres, quatre Satires, et quatre Bacchantes (danse)

Dans Le Grand Divertissement de Versailles, dernier intermède

Partition Ballard, 1717, p. 134-135

Pour plus d'informations sur la contribution de Quinault aux Fêtes de l'Amour et de Bacchus, et de l'importance de cette contribution dans sa carrière, voir mon Le Rôle de Quinault dans la création de l'opéra français, dans Cadmus et Hermions, Wavre, Mardaga, 2008, p. 85-90.

Les Fêtes de l’Amour et de Bacchus ne furent reprises qu’une fois du vivant de Quinault, lors du Divertissement de Versailles de juillet 1674. Après sa mort, on les revit plusieurs fois à l’Académie Royale de Musique, le plus souvent accompagnées d’une autre œuvre : L’Idylle sur la Paix de Lully en 1689, L’Églogue de Versailles de Lully en 1696, Le Professeur de Folie (extrait du Carnaval et la Folie) de Destouches en 1706 et Le Triomphe de l’Harmonie de Grenet en 1738. Il y eut aussi une reprise en 1716.

Voici le texte du livret de 1672. Les paroles de Molière sont en caractères plus petits.

LES FESTES DE L'AMOUR ET DE BACCHUS


PROLOGUE.

[Scène 1.]

La Scene represente une grande Sale, où l’on void les plus superbes ornemens que l’Architecture & la Peinture puissent former. Elle est disposée pour un Spectacle magnifique, & l’on y void dans l’enfoncement un grand Vestibule percé qui laisse paroistre un superbe Palais su milieu d’un Jardin. On y découvre une multitude de gens de Provinces differentes qui sont placez dans des Balcons aux deux costez du Theatre. Un homme qui doit donner des Livres aux Acteurs commence à dancer dés que la Toile est levée, toute la multitude qui est dans les Balcons s’écrie en musique pour luy demander des Livres, mais il est détourné d’en donner par quatre Importuns qui le suivent, & qui l’environnent.


Tous ensemble.

A moy, Monsieur, à moy de grace, à moy Monsieur,

Un Livre, s'il vous plaist à vostre serviteur.


Homme du bel air.

Monsieur, distinguez-nous parmy les gens qui crient,

Quelques Livres icy, les Dames vous en prient.


Autre homme du bel air.

Hola Monsieur, ayez la charité

D'en jetter de nostre costé.


Femme du bel air.

Mon Dieu ! qu'aux personnes bien faites

On sçait peu rendre honneur ceans ?


Autre femme du bel air.

Ils n'ont des Livres & des bancs

Que pour Mesdames les Grisettes.


Gascon.

Aho ! l'homme aux libres, qu'on m'en baille,

J'ay déja le poumon usé,

Bous boyez que chacun mé raille,

Et je suis escandalisé

De boir ès mains de la canaille

Ce qui m'est par bous refusé.


Autre Gascon.

Eh cadedis, Monseu, boyez qui l'on peut estre,

Un Libret, je bous prie, au Baron Dasbarat ;

Jé pense, mordy, que le fat

N'a pas l'honneur dé mé connestre.


Un Suisse.

Mon-sieur le Donneur de papieir,

Que veul dir sty façon de fifre ?

Moy l'écorchair tout mon gozieir

A crieir,

Sans que je pouvre afoir ein lifre:

Pardy, mon foy, Mon-sieur, je pense fous l'estre ifre.


Le Donneur de Livres fatigué par les quatre Importuns se retire en colere.


Vieux Bourgeois babillard.

De tout cecy franc & net

Je suis mal satisfait,

Et cela sans doute est laid

Que nostre fille

Si bien faite & si gentille

De tant d'amoureux l'Objet,

N'ait pas à son souahit

Un Livre de Balet

Pour lire le sujet

Du divertissement qu'on fait,

Et que toute nostre famille

Si proprement s'habille,

Pour estre placée au sommet

De la Sale, où l'on met

Les gens de l’entriguet.

De tout cecy franc & net

Je suis mal satisfait,

Et cela sans doute est laid.


Vieille bourgeoise babillarde

Il est vray que c'est une honte,

Le sang au visage me monte,

Et ce Jetteur de Vers qui manquent au capital

L'entend fort mal,

C'est un brutal

Un vray cheval,

Franc animal,

De faire si peu de conte

D'une Fille qui fait l'ornement principal

Du quartier du Palais Royal,

Et que ces jours passez un Comte

Fut prendre la premiere au Bal,

Il l'entend mal,

C'est un brutal,

Un vray cheval

Franc animal.


Hommes & femmes du Bel Air

Ah quel bruit !

                 Quel fracas !

                                    Quel cahos !

                                                       Quel mélange !

Quelle confusion !

                       Quelle cohue étrange !

Quel desordre !

                    Quel embarras !

On y sèche,

               L'on y tient pas.


Le Gascon.

Bentre, je suis à vout.


Autre Gascon.

                                 J'enrage, Dieu me damne.


Le Suisse.

Ah que ly faire saif dans sty sal de cians.


Le Gascon.

Jé murs.


Autre Gascon.

            Jé perds la tramontane.


Le Suisse.

Mon foy, moy le foudrois estre hors de dedans.


Vieux bourgeois babillard.

Allons, ma mie,

Suivez mes pas,

Je jous en prie,

Et ne me quittez pas ;

On fait de nous trop peu de cas,

Et je suis las

De ce tracas ;

Tout ce fatras,

Cet embaras,

Me pese par trop sur les bras ;

S'il me prend jamais envie

De retourner de ma vie

A Ballet ny Comedie,

Je veux bien qu'on estropie.

Allons, ma mie,

Suivez mes pas,

Je jous en prie,

Et ne me quittez pas,

On fait de nous trop peu de cas,


Vieille bourgeoise babillarde

Allons, mon mignon, mon fils,

Regagnons nostre logis,

Et sortons de ce taudis

Où l'on ne peut estre assis ;

Ils seront bien ébobis

Quand ils nous verront partis :

Trop de confusion règne dans cette Sale,

Et j'aimerois mieux estre au milieu de la Hale :

Si jamais je reviens à semblable régale

Je veux bien recevoir des souflets plus de dix.

Allons, mon mignon, mon fils,

Regagnons nostre logis,

Et sortons de ce taudis

Où l'on ne peut estre assis.


Le Donneur de Livres revient avec les quatre Importuns qui l’ont suivy, ce qui oblige encore ceux qui sont placez dans les Balcons de s’écrier.


Tous ensemble.

A moy, Monsieur, à moy de grace, à moy, Monsieur,

Un Livre, s'il vous plaist à vostre serviteur.


Les quatre Importuns ayant pris des Livres des mains de celuy qui les donne, les distribuënt aux Acteurs qui en demandent ; cependant le Donneur de Livres dance, & les quatre Importuns se joignent avec luy, & forment ensemble la premiere Entrée.


PREMIERE ENTRÉE.

Le Donneur de Livres, quatre Importuns.


[Scène 2.]

La Muse Polymnie qui preside aux Arts dépendants de la Geometrie, & qui a trouvé l’invention d’introduire sur le Theatre des Personnages qui expriment par les actions & par les dances ce que les autres expliquent par les paroles, s’avance environnée d’un nuage qui paroist d’abord fermé, & qui s’ouvrant peu à peu découvre la Muse au milieu de plusieurs ornemens de peinture & d’architecture. Elle excite ceux qui ont commencé de chanter d’une manière comique à rechercher avec soin tout ce que l’on peut trouver de plus noble & de plus delicat dans le Chant.


Polymnie.

Eslevez vos concers

Au dessus du chant ordinaire ;

Songez que vous avez à plaire

Au plus grand ROY de l'Univers.

Le grand Titre de ROY n'est que sa moindre gloire,

Il est encor plus grand par ses Travaux Guerriers ;

Et sa propre valeur a cüeilly les Lauriers

Dont il est couronné des mains de la Victoire.


Suivez la noble ardeur

Qu'il Vous inspire ;

Tout ce qu'on void dans son Empire

Se doit sentir de sa grandeur.


Mempomene qui preside à la Tragedie, & Euterpe qui a inventé l’Armonie pastorale s’avancent sur deux nuages. Melpomene paroist au milieu de plusieurs Trophées d’armes ; & Euterpe environnée de Festons & de Couronnes de fleurs. Elles sont precedées de deux Symphonies opposées, dont l’une est tres-forte & l’autre extrémement douce, & qui forment une espece de combat, tandis que les deux Muses viennent se placer aux deux côtez de Polymnie pour la prier d’embellir les Divertissemens qu’Elles veulent preparer.


Melpomène.

Joignez à mes chants magnifiques

La pompe de vos ornements ;


Euterpe.

Joignez à mes concers rustiques

Vos agréments

Les plus charmants.


Melpomène.

Vostre secours m'est nécessaire,

Je cherche à divertir le plus Auguste Roy

Qui meritât jamais de tenir sous sa Loy

Tout ce que le Soleil éclaire.


Les Deux Muses Ensemble.

C'est à moy, C'est à moy,

De pretendre à luy plaire,


Melpomène.

C'est moy dont la voix éclattante

A droit de celebrer les Exploits les plus grands ;

Les nobles recits que je chante

Sont les plus dignes jeux des fameux Conquerans.


Euterpe.

C'est un doux amusement

Que d'aimables chansonnettes ;

Les douceurs n'en sont pas faites

Pour les bergers seulement.

Les tendres amourettes

Que l'on chante à l'ombre des Bois

Sur les Musettes

Ne sont pas quelquefois

Des jeux indignes des grands Roys.


Polymnie.

Il faut entre mes soeurs que mon soin se partage :

Preparez tour à tour vos plus aimables jeux ;

Pour vous accorder je m'engage

A vous seconder toutes deux.


Euterpe.

Commencez de répondre à mon impatience.


Melpomène.

Vos premiers soins sont dûs à ce que j'entreprens.


Polymnie.

Terminez tous vos différents.

[À Melpomène]

Souffrez qu'en sa faveur aujourd'huy je commence,

Je reserve pour vous mes travaux les plus grands.


Les trois Muses ensemble.

Que nostre accord est doux ?

Que tout ce qui nous suit s'accorde comme nous.


Des Heros, des Pastres, & des Ouvriers des Arts qui servent aux Spectacles, obeissent aux ordres des Muses. Les Heros font une manière de Combat avec leurs armes, les Pastres joüent avec les bastons, les Ouvriers travaillent aux Decorations de la Pastorale que l’on prepare, & accordent le bruit de leurs Marteaux, Scies & Rabots, avec l’armonie des Violons & des Hautboits, & tous ensemble forment la seconde Entrée.


SECONDE ENTRÉE.

Quatre Heros. Quatre Pastres, & quatre Ouvriers.


[Scène 3.]

Toute la Troupe qui avoit commencé de chanter d’une manière comique avant l’arrivée des trois Muses, se sentant animée par leur presence, répond à leurs chants par des Chœurs.


Les trois Muses ensemble.

Joignons nos soins & nos voix

Pour plaire au plus grand des Roys.


Les Chœurs repetent.

Joignons nos soins & nos voix

Pour plaire au plus grand des Roys.


Melpomène.

Chantons la gloire de ses armes.


Un Chœur repete.

Chantons la gloire de ses armes.


Euterpe.

Chantons la douceur de ses loix.


Un Chœur repete.

Chantons la douceur de ses loix.


Polymnie.

Faisons tout retentir du bruit de ses Exploits.


Tous les Choeurs répondent.

Faisons tout retentir du bruit de ses Exploits.


Melpomène.

Formons des concerts pleins de charmes.


Euterpe.

Faisons entendre nos Hautbois.


Les Hautbois & les Musettes répondent, & cependant les Heros & les Pastres rentrent sur le Theatre avec les Ouvriers qui apportent des ornemens qu’ils ont faits pour servir à la Piece qui va commencer, & autour desquels les Heros & les Pastres dancent, tandis que les Muses & tous les Chœurs continuënt leurs chants. Ce qui forme un jeu concerté des Muses qui chantent dans leurs Machines au milieu des Nuages, de la Troupe qui leur répond, placée dans des Balcons, & des Heros, Pastres, & Ouvriers, qui dancent sur le Theatre.

 

Tous ensemble.

Faisons tout retentir du bruit de ses Exploits.


Polymnie.

Préparons des Festes nouvelles.


Melpomène.

Que nos Chansons soient immortelles.


Euterpe.

Que nos airs soient doux & touchants.


Tous ensemble.

Meslons aux plus aimables Chants

Les Dances les plus belles.

Joignons nos soins & nos voix.

Pour plaire au plus grand des Roys.


ACTE I.

Le Theatre change & represente une épaisse Forest, où des chûtes d'eaux coulent entre les Arbres : On void dans l'enfoncement deux Montagnes separées par une belle Vallée où une Riviere tombe par diverses Cascades qui produisent plusieurs effets agreables & differents.


SCENE PREMIERE.


Tircis.

Vous chantez sous ces feüillages,

Doux rossignols pleins d'amour,

Et de nos tendres ramages,

Vous réveillez tour à tour

Les échos de ces boccages :

Hélas ! petits oyseaux, hélas!

Si vous aviez mes maux vous ne chanteriez pas.


SCENE DEUXIESME.


Licaste.

Hé quoy, toûjours languissant, sombre & triste ?


Ménandre.

Hé quoy, toûjours aux pleurs abandonné ?


Tircis.

Toûjours adorant Caliste,

Et toûjours infortuné.


Licaste.

Domte, domte, Berger, l'ennuy qui te possede.


Tircis.

Et le moyen, hélas !


Ménandre.

                               Fay, Fais-toy quelque effort.


Tircis.

Eh le moyen, hélas ! quand le mal est si fort ?


Licaste.

Ce mal trouvera son remede.


Tircis.

Je ne gueriray qu'à ma mort.


Licaste, & Ménandre ensemble.

Ah1. Tircis !


Tircis.

                  Ah. Bergers !


Licaste, et Ménandre.

                                       Pren sur toy plus d'empire.


Tircis

Rien ne me peut plus secourir.


Licaste et Ménandre.

C'est trop, c'est trop céder.


Tircis.

                                         C'est trop, c'est trop souffrir.


Licaste et Ménandre.

Quelle foiblesse !


Tircis.

                         Quel martyre !


Licaste et Ménandre.

Il faut prendre courage.


Tircis.

                                   Il faut plûtost mourir.


Licaste.

Il n'est point de Bergere

Si froide, & si severe,

Dont la pressante ardeur

D'un coeur qui persevere

Ne vainque la froideur.


Ménandre.

Il est dans les affaires

Des amoureux mistères,

Certains petits moments

Qui changent les plus Fieres,

Et font d'heureux Amants.


Tircis.

Je la voy, la Cruelle,

Qui porte icy ses pas,

Gardons d'estre veu d'elle,

L'Ingrate, helas !

N'y viendroit pas.


SCENE TROISIESME.


Climène.

Vien dans notre village :

Voicy le Jour

Qu'on y doit celebrer la Feste de L'Amour.

Que cherche-tu [sic] dans ce boccage ?


Caliste.

J'y cherche le repos, le silence, & l'ombrage.


Climène.

Tu devrois bien plûtost songer

A t'engager.

Eh que peut faire

Une Bergere,

Sans un Berger ?


Caliste.

Ton malheur doit me rendre sage :

Tu n'as choisi qu'un Inconstant.


Climène.

Si mon Berger devient volage,

Il m'est permis d'en faire autant.


On gouste la douceur d'une amour éternelle,

Quand on fait l'heureux choix d'un fidele Berger,

Et quand on aime un Infidelle,

L'on a le plaisir de changer.


Quoy, l'amour de Tircis ne t'a point attendrie ?

Lorsqu'on en veut parler tu n'écoutes jamais ?

Ne resve plus, ou je m'en vais.


Caliste.

Laisse moy dans ma resverie.

Ah ! que sous ce feüillage épais

Il est doux de resver en paix !


Climène.

Je n'entre point dans un mystere

Que tu veux reserver ;

Mais un coeur sans affaire

Ne donne point tant à resver.


SCENE QUATRIESME.


Caliste.

Ah ! que sur nostre coeur

La severe Loy de l'honneur

Prend un cruel empire !

Je ne fais voir que rigueurs pour Tircis,

Et cependant sensible à ses cuisans soucis,

De sa langueur en secret je soupire,

Et voudrois bien soulager son martire ;

C'est à vous seuls que je le dis,

Arbres, n'allez pas le redire.


Puisque le Ciel a voulu nous former

Avec un coeur qu'Amour peut enflamer,

Quelle rigueur impitoyable

Contre des traits si doux nous force à nous armer ?

Et pourquoy sans estre blâmable

Ne peut-on pas aimer

Ce que l'on trouve aimable ?

Helas ! petits oyseaux que vous estes heureux

De ne sentir nulle contrainte,

Et de pouvoir suivre sans crainte

Les doux emportements de vos coeurs amoureux !

Mais le sommeil sur ma paupiere

Verse de ses pavots l'agreable fraischeur,

Donnons-nous à luy toute entiere,

Nous n'avons point de loy severe

Qui défende à nos sens d'en goûter la douceur.


La Bergere Caliste s'endort sur un Gazon.


SCENE CINQUIESME.


Tircis.

Vers ma belle Ennemie

Portons sans bruit nos pas,

Et ne réveillons pas

Sa rigueur endormie.


Tous Trois [Ménandre, Licaste et Tircis].

Dormez, dormez beaux yeux adorables vainqueurs,

Et goûtez le repos que vous vous ostez aux coeurs.


Tircis.

Silence petits oyseaux,

Vents n'agitez nulle chose ;

Coulez doucement ruisseaux,

C'est Caliste qui repose.


Tous Trois.

Dormez, dormez beaux yeux &c.


Caliste s'éveillant.

Ah ! quelle peine extrême !

Suivre partout mes pas ?


Tircis.

Que voulez-vous qu'on suive, hélas !

Qu'est-ce [sic] qu'on aime.


Caliste.

Berger, que voulez-vous ?


Tircis.

Mourir belle Bergere,

Mourir à vos genoux,

Et finir ma misere,

Puisqu'en vain à vos pieds on me void soûpirer,

Il y faut expirer.


Caliste.

Ah ! Tircis, ostez-vous, j'ay peur que dans de jour

La pitié dans mon coeur n'introduise l'amour.


Licaste et Ménandre.

Soit amour, soit pitié,

Il sied bien d'estre tendre ;

C'est par trop vous défendre,

Bergere, il faut se rendre

A sa longue amitié.

Soit amour, soit pitié,

Il sied bien d'estre tendre.


Caliste.

C'est trop, c'est trop de rigueur

J'ay mal[traité vostre ardeur

Cherissant vostre personne,

Vangez-vous de mon coeur

Tircis, je vous le donne.


Tircis.

O ciel ! Bergers ! Caliste ! ah ! je suis hors de moy !

Si l'on meurt de plaisir je doy perdre la vie.


Licaste.

Digne prix de ta foy !


Ménandre.

O ! sort digne d'envie !


SCENE SIXIESME.


Forestan.

Quoy tu me fuis, Ingrate, & je te vois icy

De ce Berger à moy faire une preference ?


Silvandre.

Quoy, mes soins n'ont rien pû sur ton indifference,

Et pour ce Langoureux ton coeur s'est adoucy ?


Caliste.

Le destin le veut ainsi,

Prenez tous deux patience


Forestan.

Aux amants qu'on pousse à bout

L'amour fait verser des larmes ;

Mais ce n'est pas nostre goût,

Et la bouteille a des charmes

Qui nous consolent de tout.


Silvandre.

Nostre amour n'a pas toûjours.

Tout le bonheur qu'il désire :

Mais nous avons un secours,

Et le bon vin nous fait rire

Quand on rit de nos amours.


Tous.

Champestres Divinitez,

Faunes, Driades, sortez

De vos paisibles retraites ;

Meslez vos pas à nos sons.

Et tracez sur les herbettes

L'image de nos chansons.


Quatre Faunes sortent avec de petits Tambours, & quatre Driades avec des Festons de fleurs. Ils forment ensemble une Entrée qui finit le premier Acte.


TROISIÉME ENTRÉE.

Quatre Faunes, quatre Driades.


ACTE II.

Le Theatre change & represente un vieux Chasteau qui estoit autrefois la demeure des Seigneurs du prochain Village, & qui tombe entierement en ruïnes. On y void en plusieurs endroits des Arbres & des Ronces, & dans l'enfoncement au travers d'une Arcade à demy rompuë, on découvre les vestiges de trois grandes Allées de Cyprés à perte de veuë.


SCENE PREMIERE.


Forestan.

Je ne puis souffrir l'outrage

Que Caliste fait à ma foy :

Dans le fonds de mon coeur j'enrage

Qu'elle aime un Autre que moy.

Deux Enchanteurs m'ont fait entendre

Qu'ils ont le secret de me rendre

Tel qu'il faut estre pour charmer :

Caliste aura beau se défendre,

Je la contraindray de m'aymer.


SCENE DEUXIÉME.

C'est dans cette Scene que les Lutins déguisez font une Ceremonie magique pour feindre d'embellir Forestan, & pour se mocquer de luy. Deux magiciens paroissent chacun une baguette à la main, ils frappent la Terre en dançant, & font sortir six Demons qui se joignent avec eux. Trois Sorcieres sortent aussi de dessous terre, & faisant asseoir Forestan au milieu d'Elles, meslent leur chants aux dances des Magiciens & des Demons, pour former une maniere d'enchantement.


QUATRIÉME ENTRÉE.

Deux Magiciens, six Démons.


Les trois Sorcieres ensemble.

Deesse des appas

Ne nous refuse pas

La grace qu'implorent nos bouches ;

Nous t'en prions par tes rubans,

Par tes boucles de Diamans,

Ton rouge, ta poudre, tes mouches,

Ton masque, ta coëffe & tes gans.


Une Sorciere seule.

O toy ? qui peux rendre agreables

Les visages les plus mal-faits,

Répans, Vénus, de tes attraits

Deux ou trois dozes charitables

Sur ce muzeau tondu tout frais.


Les trois Sorcieres ensemble.

Deesse des appas, &c.


Les Demons habillent Forestan d’une manière bizare & ridicule, & tandis que les Magiciens & Demons dancent, les trois Sorcieres chantent.


Ah qu'il est beau

Le Jouvenceau,

Ah qu'il est beau.

Qu'il va faire mourir de belles :

Auprés de luy les plus cruelles

Ne pourront tenir dans leur peau.

Ah qu'il est beau

Le Jouvenceau,

Ah qu'il est beau.

Ho, ho, ho, ho, ho, ho,

Qu'il est joli !

Gentil, poli !

Qu'il est joli !

Est-il des yeux qu'il ne ravisse ?

Il passe en beauté feu Narcisse

Qui fut un Blondin accomply.

Qu'il est joli !

Gentil, poli !

Qu'il est joli !

Hi, hi, hi, hi, hi, hi.!


Les trois Sorcieres qui chantent s'enfoncent dans la Terre, les deux Maginciens & les six Demons qui dancent disparoissent, & dans le mesme temps quatre Demons partent de quatre costez differens, croisent dans l'air, & trois autres petits Demons qui sortent de terre, & qui tous trois ensemble s'élèvent en rond, apres avoir fait trois tours en volant, se vont perdre dans les Nuages au milieu du Theatre.


SCENE TROISIÉME.


Forestan

Qu'un beau visage

A d'avantage !

Tout luy rit, tout luy fait la cour.

Que l'on verra dans ce Boccage

De Bergeres mourir d'amour

Et de Bergers crever de rage !


SCENE QUATRIÉME.


Silvendre.

Forestan, est-tu [sic] là ?


Forestan.

Beau comme je dois estre

Il va me voir sans me connestre.


Silvandre.

O ! Forestan ? ah te voila.

Pourquoy t'amuser de la sorte ?


Forestan.

Qu'importe, qu'importe.


Silvandre.

Hé quoy ! ne veux-tu pas aller

Où nous devons nous assembler ?

Ton impatience est peu forte.


Forestan.

Qu'importe, qu'importe.


Silvandre.

Veux-tu souffrir en ce jour

Que le foible Dieu d'amour

Sur le Dieu du vin l'emporte ?


Forestan.

Qu'importe, qu'importe.


Silvandre.

Allons ; c'est trop railler.


Forestan.

A qui crois-tu parler ?


Silvandre.

Quel badinage !

Tu n'es pas sage ;

La Feste de Bacchus commencera bien-tost.

Allons, sans tarder davantage,

Allons-y boire comme il faut.


Forestan affecte de faire l’agreable, & quitte son ton naturel de basse pour chanter en fausset.


Forestan.

Il est bien doux de boire ;

On peut en faire gloire.

Quand on n'a pas dequoy charmer ;

Bacchus sçait consoler un Amant miserable ;

Mais quand on est aymable,

Il n'est rien si doux que d'aimer.


Silvandre.

Que veux-tu dire ?

D'où vient ce caprice nouveau ?


Forestan.

Regarder, considere, admire.

Ah qu'il est beau !

Ho, ho, ho, ho, ho, ho.

Ah qu'il est beau !


Silvandre.

Dy-moi donc je te prie

De quelle folle resverie

Ton cerveau s'est remply ?


Forestan.

Qu'il est joli !

Hi, hi, hi, hi, hi, hi.


Silvandre.

Consulte la Fontaine

La plus prochaine,

Mire-toy dans son eau.


Forestan s'approche d'une Fontaine qui paroist au milieu du Theatre, & dans le moment qu'il se baisse pour se regarder dans l'eau, il en sort deux Sirenes qui luy presentent un grand miroir. Forestan s'y void aussi laid qu'il estoit avant la ceremonie magique, & dans la rage qu'il a de la tromperie qu'on luy a faite, il veut frapper de sa Massuë les deux Sirenes qui se mocquent de luy, mais Elles évitent ses coups, en se plongeant & en se perdant dans la Fontaine, qui disparoist en un moment.


Silvandre.

Ah qu'il est beau ! ho, ho, ho. &c.


Forestan.

Je suis digne de raillerie ;

On m'a fait une fourberie,

Mais, si je la mets en oubly....

Non, non, les Imposteurs n'auront pas lieu de rire.


Deux Sorcieres affreuses paroissent aux deux costez du Theatre, & presentent chacune un miroir à Forestan.


Silvandre

Regarde, considere, admire.


Forestan.

Ah! je vais vous payer de m'avoir embelly.


Forestan s'avance vers une des Sorcieres, & la veut frapper de sa Massuë, mais la Sorciere évite le coup en s'envolant, le Satire ne frappe que l'air, & sa Massuë luy échappe des mains. Il court vers l'autre Sorciere, il l'attrappe, mais dans le moment qu'il se jette sur Elle, & qu'il la tient, il ne luy demeure entre les mains qu'une figure de Sorciere qui luy fait la grimace, & luy presente un miroir, tandis qu'un petit Lutin qui estoit enfermé dedans s'envole en se mocquant du Satire.


Silvandre.

Qu'il est joli ! Hi, hi, hi, &c.


Forestan.

C'est un tour des Lutins errants dans ce Bocage

Dont il faut que je sois vengé.


Silvandre.

Hé, hé, hé, hé, hé, hé.


Forestan.

Tu ris quand je suis outragé ?


Silvandre riant.

Hé, hé, hé, hé, hé, hé.


Forestan.

Ne m'insulte point davantage ;

Va rire ailleurs ;

Je fuis dans une rage

Qui pourroit bien tourner sur les méchants railleurs.


Silvandre.

Amy, me veux-tu croire,

Ne songeons plus qu'à boire ;

Fuyons l'Amour, & le chagrin,

Suivons Bachus, courons au vin.


Forestan.

Au vin, au vin, au vin, au vin.


Ensemble.

Fuyons l'Amour, & le chagrin,

Suivons Bachus, courons au vin.

Au vin, au vin, au vin, au vin


SCENE CINQUIÉME.


Damon.

Ma Bergere a changé, je veux changer comme Elle.


Silvandre.

Suy les loix de Bachus, tu t'en trouveras bien.


Damon.

Heureux qui peut aimer une Beauté fidele.


Forestan.

Plus heureux qui peut n'aimer rien.


Silvandre.

Viens avec nous goûter la vie ;

Quitte une volage Beauté

Comme elle t'a quitté :

Profite de sa perfidie,

Vien jouïr de la liberté.


Damon.

C'est pour servir Cloris que je quitte Climene,

Et mon coeur sans aymer ne sçauroit vivre un jour ;

Qui s'engage une fois peut bien changer de chaine,

Mais il est mal-aisé d'échapper à l'Amour.


Silvandre.

Sous l'amoureux Empire

On n'est point sans tourment ;

Je te plains pauvre Amant,

Languy, gemy, soûpire ;

Nous allons rire.


Silvandre et Forestan.

Fuyons l'Amour, & le chagrin, &c.


SCENE SIXIÉME.


Damon.

Ma volage s'avance.


Climène.

Voicy mon infidele amant.


Damon & Climene.

Vengeons-nous de son inconstance.

O ! la douce vengeance

Qu'un heureux changement !


Damon.

Quand je plaisois à tes yeux

J'estois content de ma vie,

Et ne voyois Roys ny Dieux

Dont le sort me fit envie.


Climene.

Lorsqu'à toute autre personne

Me preferoit ton ardeur,

J'aurois quitté la Couronne

Pour regner dessus ton coeur.


Damon.

Une autre a guery mon ame,

Des feux que j'avois pour toy.


Climene.

Une autre a vengé ma flamme

Des foiblesses de ta foy.


Damon.

Cloris qu'on vante si fort

M'ayme d'une ardeur fidele,

Si ses yeux vouloient ma mort

Je mourrois content pour elle.


Climene.

Mirtil si digne d'envie,

Me cherit plus que le jour,

Et moy je perdrois la vie

Pour luy montrer mon amour.


Damon.

Mais si d'une douce ardeur

Quelque renaissante trace

Chassoit Cloris de mon coeur

Pour te remettre en sa place ?


Climene.

Bien qu'avec pleine tendresse

Mirtil me puisse cherir,

Avec toy, je le confesse,

Je voudrois vivre & mourir.


Damon, et Climene.

Ah plus que jamais aymons-nous,

Et vivons & mourons en des lieux si doux.


SCENE SEPTIÉME.


Une Troupe de Bergers & de Bergeres qui voyent Damon & Climene raccommodez en témoignent leur joye.


Troupe de Bergers et de Bergeres.

Amants, que vos querelles

Sont aymables & belles ;

Qu'on y void succeder

De plaisirs, de tendresse !

Querellez-vous sans cesse

Pour vous racommoder.


SCENE HUITIÉME.


Arcas.

Venez, que rien ne vous arreste,

Ne perdez point d'heureux moments ;

Venez, venez tous voir la Feste

Que l'on appreste

A l'honneur du Dieu des Amants ;

Les plaisirs où l'Amour convie

Sont les plus charmants de la vie;

Il en faut joüir tant qu'on peut,

On ne les a pas quand on veut.


Tous ensemble.

Les plaisirs où l'Amour convie, &c.


Les Bergers & les Bergeres vont ensemble au lieu preparé pour la Feste de l’Amour.


ACTE III

Le Theatre se change, & represente une grande Allée d'arbres d'une extréme hauteur, lesquels mélent leurs branches les unes avec les autres, & forment une maniere de voûte de verdure, où plusieurs Pasteurs joüant de differents Instruments se trouvent placez ; Un grand nombre de Bergers & de Bergeres paroissent sous cette voûte qui commencent la Feste de l'Amour, par des Chansons où les Dances se mélent de temps en temps.


SCENE PREMIERE.

Caliste.

Icy l'ombre des ormeaux

Donne un teint frais aux herbettes,

Et les bords de ces Ruisseaux

Brillent de mille fleurettes

Qui se mirent dans les eaux.

Prenez, Bergers, vos Musettes,

Ajustez vos Chalumeaux,

Et meslons nos chansonnettes

Aux chants des petits Oiseaux.


CINQUIÉME ENTRÉE.

Quatre Bergers, quatre Bergeres.


Climène.

Le Zephir entre ces eaux

Fait mille courses secrettes,

Et les Rossignols nouveaux

De leur douces amourettes

Parlent aux tendres rameaux.

Prenez, Bergers, vos Musettes, &c.


Les Bergers & Bergeres continuënt de méler les Dances aux Chansons.


Cloris.

Ah ! qu'il est doux belle Silvie

Ah ! qu'il est doux de s'enflammer !

Il faut retrancher de la vie

Ce qu'on en passe sans aymer.

Ah ! qu'il est doux, &c.


Silvie.

Ah ! les beaux jours qu'Amour nous donne

Lors que sa flame unit les Coeurs !

Est-il ny gloire ny Couronne

Qui vaille ses moindres douceurs ?

Ah ! les beaux jours, &c.


Arcas.

Qu'avec peu de raison on se plaint d'un Martyre

Que suivent de si doux plaisirs !


Tircis et Arcas.

Un moment de bonheur dans l'amoureux Empire

Repare dix ans de soûpirs.


Tous Ensemble.

Chantons tous de l'Amour le pouvoir adorable,

Chantons tous dans ces lieux

Ses attraits glorieux ;

Il est le plus aymable

Et le plus grand des Dieux.


La Perspective s'ouvre, & laisse paroître dans le fond du Theatre une autre maniere de voûte de Treille, sous laquelle une multitude de Suivans de Bacchus sont placez, les uns sur des Tonneaux, & les autres sur une espece d'Amphitheatre couvert de pampres de vigne, qui tous joüent de differents Instruments, tandis que plusieurs autres Satires, & Silvains s'avancent au mileu du Theatre pour interrompre la Feste de l'Amour, & pour en célébrer une plus solennelle à la gloire de Bacchus.


SCENE DEUXIÉME.


Silvandre.

Arrestez, c'est trop entreprendre,

Un autre Dieu dont nous suivons les loix

S'oppose à cet honneur qu'à l'Amour osent rendre

Vos Musettes & vos voix ;

A des titres si beaux Bacchus seul peut pretendre,

Et nous sommes icy pour défendre ses droits.


Choeur de Bacchus.

Nous suivons de Bacchus le pouvoir adorable

Nous suivons en tous lieux

Ses attraits precieux ;

Il est le plus aimable

Et le plus grand des Dieux.


Les suivants de Bacchus qui dancent font un combat contre les Danceurs du party de l'Amour, tandis que les Bergers & les Satires disputent en chantant, en faveur du Dieu que chacun veut honorer.


SIXIÉME ENTRÉE.

Quatre Satires, quatre Bacchantes.


Aminte.

C'est le Printemps qui rend l'ame

A nos champs semez de fleurs ;

Et c'est l'Amour & sa flame

Qui font revivre nos coeurs.


Forestan.

Le soleil chasse les ombres,

Dont le Ciel est obscurcy,

Et des ames les plus sombres,

Bacchus chasse le soucy.


Choeur de Bacchus.

Bacchus est revéré sur la Terre & sur l'Onde.


Choeur de l'Amour.

Et l'Amour est un Dieu qu'on revere en tous lieux.


Choeur de Bacchus.

Bacchus à son pouvoir a soûmis tout le Monde.


Choeur de l'Amour.

Et l'Amour a dompté les Hommes & les Dieux.


Choeur de Bacchus.

Rien peut-il égaler sa douceur sans seconde ?


Choeur de l'Amour.

Rien peut-il égaler ses charmes precieux ?


Choeur de Bacchus.

Fy de l'Amour & de ses feux.


Le Party de l'Amour.

Ah! quel plaisir d'aimer !


Le Party de Bacchus.

                                    Ah! quel plaisir de boire !


Le Party de l'Amour.

A qui vit sans amour la vie est sans appas.


Le Party de Bacchus.

C'est mourir que de vivre & de ne boire pas.


Le Party de l'Amour.

Aymables fers !


Le Party de Bacchus.

                         Douce victoire !


Le Party de l'Amour.

Ah ! quel plaisir d'aymer !


Le Party de Bacchus.

                                         Ah ! quel plaisir de boire !


Les deux Partis ensemble.

Non, non, c'est un abus

Le plus grand Dieu de tous,


Le Party de l'Amour.

                                          C'est l'Amour.


Le Party de Bacchus.

                                                               C'est Bacchus.


SCENE DERNIERE [3].


Le Berger Licaste vient se jetter entre les deux Partis qui disputent, & les met d’accord.


Licaste.

C'est trop, c'est trop, Bergers, hé pourquoy ces débats ?

Souffrons qu'en un Party la Raison nous assemble :

L'Amour a des douceurs, Bacchus a des appas,

Ce sont deux Deïtez qui sont fort bien ensemble,

Ne les separons pas.


Les deux Choeurs ensemble.

Meslons donc leurs douceurs aymables,

Meslons nos voix dans ces lieux agreables,

Et faisons repeter aux Echos d'alentour,

Qu'il n'est rien de plus doux que Bacchus et l'Amour.


Tandis que les Voix & les Instruments des deux Chœurs s’unissent, tous les Danceurs des deux Partis forment ensemble la derniere Entrée. & terminent agreablement les Fêtes de l’Amour & de Bacchus.


[SEPTIEME ET] DERNIERE ENTRÉE

Quatre bergers, quatre Bergeres, quatre Satires, et quatre Bacchantes.


SOURCES LITTÉRAIRES

A. Paris, François Muguet, 1672

B. L'idylle et Les festes de l'Amour et de Bacchus. pastorale, representée par l'Academie royale de musique, Paris, Ballard, 1689 (avec l'Idylle sur la Paix de Racine)

C. Recueil général des opéra, Paris, Ballard, 1703, t. I, p. 101-142


ATTRIBUTION

A, B, C : Aucune

Même si la majorité des paroles est de Molière (voir le texte en face), Quinault est reconnu dans toutes les sources comme l'auteur de l'oeuvre, puisque c'est lui qui a cousu ensemble les différents textes de Molière. Les Fêtes de l'Amour et de Bacchus figurent dans toutes les éditions des oeuvres complètes de Quinault.


SOURCES MUSICALES

A. Les Festes de l'amour et de Bacchus, pastorale, imprimé pour la première fois partition générale, Paris, J.B.C. Ballard, 1717 ; Béziers, Société de Musicologie du Languedoc, 1992

B. Partition des Huit Divertissemens des Vieux Ballets, Atelier Philidor, 1703 (partition manuscrite, p. 47-72, extraits) , F-Pn/ Rés F 1710(2). Même contenu dans P-Pn/ Rés F 536

C. Les festes de l'Amour et de Bachus, Atelier Philidor, ca. 1705 (partition manuscrite), F-Pn/ Rés F 1703

D.Les Festes de l'Amour et de Baccus, de Monsieur de Lully ; et la naissance de Vénus, de monsieur Colasse, Atelier Philidor, 1705 (partition manuscrite), F-Pn/ Rés F 1705

E. Les Festes de l'Amour et de Bacchus, manuscrit, s.d., 73 p., F-Pn/ VM2 4

- Pour d'autres sources, surtout manuscrites, voir le catalogue de H. Schneider de l'oeuvre de Lully. Pour Le Grand Divertissement de Versailles, d'où est tiré l'acte III, voir Lully/Molière, Les Plaisirs de l’île enchantée (La Princesse d’Élide) et Le Grand divertissement royal de Versailles (George Dandin), édition de Catherine Cessac, dans les Œuvres complètes de Jean-Baptiste Lully, éd. J. de La Gorce et H. Schneider, Hildesheim, Georg Olms Verlag AG, 201, p. 269-273.


ATTRIBUTION

A, B, D : Jean-Baptiste Lully


DISCOGRAPHIE

Les Premiers Opéras Français : Les Fêtes de l'Amour et Baccus et Pomone, La Simphonie du Marais, dir. Hugo Reyne, 2 CD, Accord, 2004


NOTES

Les textes de Molière repris par Quinault présentent peu de variantes avec les premières éditions des pièces de Molière, en dehors de l'orthographe et de la ponctuation. Toutefois, on trouve à l'acte III, scène 2 des Fêtes "Ses attraits precieux", et dans Le Grand Divertissement de Versailles "Ses attraits glorieux".