La Morinière

QUINAULT

PHILIPPES [sic] QUINAULT, Parisien, avoit étudié sous Tristan L’Hermite les régles de la Poësie Françoise. Après la mort de son Maître, il se mit chez un Procureur pour y apprendre la pratique, & se disposer à suivre un jour le barreau. Mais son goût décidé pour les Vers le détermina bien-tôt à fixer toutes ses vûës du côté du Théâtre. Il avoit à peine trente ans, que l’on comptoit déjà seize Piéces de sa façon. Elle furent toutes assez bien reçûës dans leur tems, & l’on revoit même encore aujourd’hui avec plaisir la Tragédie d’Astrate & la Mere Coquette, qui sera toujours une de nos bonnes Comédies. Ses Opera ont établi tout à la fois sa fortune & sa réputation. En effet il a si bien réussi dans le genre Lyrique, qu’il est toujours supérieur à ceux même qui l’ont le mieux imité. Son stile est pur, noble, juste, concis & naturel. Peut-on donner de plus belles louanges à un grand Prince, que celles qu’il donne à LOUIS XIV, dans quelques-uns de ses Prologues ? Sa Majesté l’honora d’une pension de deux mille livres, qui jointe au produit de ses Ouvrages & au mariage avantageux qu’il venoit de faire, le mit fort à son aise. Une chose bien à remarquer dans M. QUINAULT, c’est qu’il étoit sans fiel ; jamais les traits satyriques dont il fut cruellement percé, ne le porterent à écrire contre M. Despréaux, qui étoit l’agresseur. Il rechercha même son amitié. Homme de mœurs très-simples, n’ayant que des passions douces, régulier dans toute sa conduite, bon mari, bon pere de famille. M. QUINAULT, dans les dernieres années de sa vie, cessa de travailler pour le Théâtre, & témoigna même un regret sensible de la réputation brillante qu’il s’étoit acquise par ses Opera. Il est mort à Paris le 26. Novembre 1688, âgé de cinquante-quatre ans, laissant à sa Veuve cinq filles, 1 & plus de cent mille écus de bien. Il étoit Auditeur de la Chambre des Comptes, & Membre de l’Académie Françoise, où il avoit été reçu en 1670. Son corps est inhumé en l’Eglise Saint Louis, dans l’Isle.

Note 1. Trois ont été Religieuses, & deux furent mariées, l’une à M. le Brun, Auditeur des Comptes ; & l’autre à M. Gaillard, Conseiller dela Cour des Aydes.

Vol. 1, p. 291-293.

Source : Adrien-Claude Le Fort de La Morinière, Nouveau choix de poésies morales et chrétiennes depuis Malherbe jusqu'à nos jours, dédié à la reine, Paris, C.-F. Simon, fils, 1747, 3 vols.

   La notice de La Morinière est accompagnée de la gravure de Quinault par Sornique, entre les pages 290 et 291.

   Elle est suivie de deux extraits d'Astrate (III, 5, Astrate et Sichée, « OU courez-vous, mon fils ? / Où mon bonheur m’appelle […] Ou du moins de périr d’un trépas glorieux. », et IV, 2, Astrate et Sichée, « Rassurez-vous, mon pere, & cessez de vous plaindre […] Donnez-lui sur votre ame un absolu pouvoir. »), p. 293-302. Enfin, La Mornière propose un choix de « poésies morales et chrétiennes » extrait de plusieurs livrets, p. 302-304. Antidote bienvenu contre la  « morale lubrique » de Boileau.

La Cour d’un Roi malheureux, devient bien-tôt déserte.

A quoi sert la foule importune

Dont les Rois sont embarrassés ?

Un coup fatal de la Fortune

Ecarte les plus empressés. [Alceste, III.1, 500-503]

L’Amour ainsi que la Mer a ses orages.

    HEUREUX, qui peut voir du rivage

Le terrible Océan par les vents agité !

Heureux, qui dans le port peut plaindre en sûreté

Ceux qui sont dans l’horreur d’un dangereux orage !

    Plaignons les malheureux amants ;

    Evitons leurs cruels tourmens.

Gardons-nous de souffrir que l’Amour nous engage

    Dans ses trompeurs enchantements :

    Gardons-nous des embarquements

Où le repos du cœur fait un fatal naufrage. [Phaéton, I.5, 147-156]

Valeur, puissance & sagesse de LOUIS XIV.

L’EFFORT des ennemis, les glaces des hyvers,

    Les rochers, les fleuves, les mers,

Rien n’arrête l’ardeur de sa valeur extrême.

Il sçait l’art de tenir tous les monstres aux fers ;

Il est Maître absolu de cent Peuples divers,

    Et plus maître encor de lui-même. [Armide, prologue, 3-5, 8-10]

Il n’est point de vrai bonheur sans la vertu.

Sans la Vertu, sans son secours,

On n’a point de bien véritable :

    Elle est toujours aimable,

Il faut l’aimer toujours.

Elle éternise la mémoire

    D’un Héros qui la suit,

La gloire où la vertu conduit

    Est la parfaite gloire.

Suivons partout ses pas ;

On ne peut la connoître

Sans aimer ses appas ;

Le bonheur ne peut être

Où la Vertu n’est pas. [Persée, prologue, 5-17]