Les filles de Quinault
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LES FILLES DE QUINAULT
Le fameux madrigal, publié pour la première fois dans le Mercure de février 1683, nous apprend que Quinault avait cinq filles à marier. Nous savons qu’il maria très bien deux filles : Marie-Louise à Charles Le Brun (le neveu du peintre) en 1685, et Marie à Pierre Gaillard en 1688. Nous savons aussi qu’il créa, avec son épouse Louise Goujon, une pension pour Geneviève en décembre 1683 et une pension pour Geneviève, Marguerite et Charlotte, religieuses à Montargis, en juillet 1684. Cette dernière date laisse penser que Quinault voulait situer ses autres filles avant le mariage de Marie-Louise l’année suivante.
Voici les informations biographiques dont nous disposons (actes notariaux, lettres circulaires) :
Marie-Louise Quinault fut baptisée le 23 mars 1661 et mariée avec Charles Lebrun (le neveu du peintre) le 9 septembre 1685. Elle mourut le 13 novembre 1727.
Geneviève Quinault naquit en 1662 et mourut le 3 ou le 6 mai 1735. Éduquée chez les dames de la Congrégation Notre-Dame à Coulommiers, elle prit le voile dans cet ordre, à Paris, avec "éclat", vers 1682 mais dut le quitter pour des raisons de santé, au grand chagrin de ses parents. Elle prit ensuite le voile chez les Visitandines de Montargis, en 1682 ou 1683, en même temps que Charlotte. Elle reçut une pension de ses parents le 26 décembre 1683. Il est possible que Quinault écrivît le madrigal "L'Opéra difficile" comme une sorte de réaction à la sortie de Geneviève de la Congrégation.
Marguerite-Geneviève Quinault, qu'on appelait Marguerite, fut baptisée le 16 novembre 1665 ; elle mourut le 20 février 1703. Elle était pensionnaire chez les Visitandines de Montargis en 1675, où elle prit le voile vers la fin de 1682 ou au début de 1683.
Marie Quinault, née probablement après 1665, fut mariée avec Pierre Gaillard le 13 janvier 1688. Elle mourut en 1723.
Charlotte Quinault, née avant 1675, morte après 1723. Elle était pensionnaire chez les Visitandines de Montargis en 1675 et novice en même temps que Geneviève et Marguerite, probablement en 1683.
Geneviève (soeur Marie Augustine), Marguerite (soeur Louise Marguerite) et Charlotte (soeur Charlotte Angélique) reçurent une pension de leurs parents le 15 juillet 1684. À cette date, les trois soeurs sont religieuses chez les Visitadines à Montargis. Le testament de Marie Quinault, décédée en 1723, mentionne une pension pour deux soeurs religieuses à Montargis, sans donner leurs prénoms ; il s'agit évidemment de Geneviève et de Charlotte.
Plusieurs biographes de Quinault ont supposé que, même si l’acte de baptème de Marie, n’a pas été trouvé, c’est la deuxième fille de Quinault et de Louise Goujon, née vers 1663. Autrement, comment expliquer qu’elle a été si bien mariée ? Cependant, la vie de Geneviève dans la Lettre Circulaire de 1736 dit qu'elle est morte en 1735 à l'âge de 73 ans, donc née vers 1662. Leur frère Philippe, mort en bas âge en avril 1666, fut évidemment né avant Marguerite (novembre 1665). Si Marie naquit avant Marguerite, cela ferait cinq enfants en quatre ans et demi. Elle naquit donc au plus tôt vers la fin de 1666. Selon un site généalogique qui ne cite pas ses sources, c'était en 1668.
Geneviève porte le prénom d’une sœur de Louise Goujon, ce qui est le cas aussi de Marie-Louise et de Marie ; Louise est le prénom de leur mère, Marie celui d’une autre des sœurs de sa mère.
Marguerite est la Marguerite-Geneviève baptisée en 1665. La marraine de Marguerite-Geneviève s'appellait Marguerite, et celle de notre poète aussi.
Il faut expliquer aussi pourquoi les trois sœurs sont entrées en religion. Avaient-elles une véritable vocation ? Cela semble être le cas au moins pour Geneviève, peut-être pour Marguerite aussi. (On ne sait rien de Charlotte.) Ou, comme le suggère le madrigal, leurs parents n’avaient-ils pas assez d’argent pour les marier ? Marguerite et Charlotte étaient déjà en pension à Montargis en 1675.
Enfin, il faut expliquer pourquoi Geneviève reçut une première pension ; si les deux autres en reçurent, l’acte du 15 juillet 1684 n’en fait pas mention. (Je n'ai pas encore trouvé l'acte du 26 décembre 1683 ; il est décrit dans celui de 1684.) Est-ce parce que Geneviève est plus âgée ? Elle est la première mentionnée dans l'acte de 1684.
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Plusieurs biographes, comme É. Gros (Quinault, p. 146-147, n. 7) et J. Buijtendorp (Quinault, p. 30), ont proposé que Geneviève, Marguerite et Charlotte étaient nées du mariage de Louise Goujon avec Jacques Bouvet, ce qui pourrait expliquer un traitement moins favorable. Cependant, dans l'acte de pension fait par Quinault et Louise Goujon en juillet 1684, on lit plusieurs fois que les trois soeurs sont "leurs filles". Qui plus est, le testament de Bouvet (à ma connaissance, aucun autre biographe de Quinault ne l'a consulté) est clair : il lègue tous ses biens à ses neveux et nièces, "arrivant le deceds dudit Sieur Testateur sans aucun enffant nay ou a naistre en loyal mariage". Le 31 juillet 1659, alors, environ six mois avant le décès de Bouvet, le couple n'a pas d'enfant vivant. Enfin, selon Buijtendorp, Beffara a dépouillé les registres de différentes paroisses de Paris sans trouver de traces des filles du couple Bouvet-Goujon. Il n’a trouvé que l’acte de décès d’un fils aux registres de Saint-Eustache, mort le 31 mars 1659, trois mois avant le testament.
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Si le testament de Jacques Bouvet exclut clairement l'existence d'enfants vivants en 1659, les arguments pour des enfants Bouvet-Goujon ne sont pas sans intérêt. Gros et Buijtendorp s’appuient surtout sur le fait que le contrat de mariage de Quinault et Louise Goujon stipule que la veuve apporte 40.000 livres en communauté de biens et que « le surplus demeurera propre à elle et aux siens » ; les « siens » pourraient bien être ses enfants.
La Vie manuscrite de Boscheron abonde dans le même sens. Dans la narration romancée des amours de Quinault avec Mariane, sa future épouse, le biographe dit qu’après le décès du premier mari de Mariane, il restait des « sommes considérables […] entre les mains de celle-ci, pour la part de ses enfants encore en bas âge, et de qui on la laissait maîtresse de la garde noble » (p. 45). (La garde noble est un droit qu'avait le survivant de deux époux nobles, de jouir du bien des enfants, venant de la succession du prédécédé, jusqu'à un certain âge des enfants, à la charge de les nourrir, entretenir et élever, sans rendre aucun compte.) On aurait pu croire que c'est de cette garde noble qu’il s’agit dans l’acte créant la pension en 1684, où on lit que la pension est « pour leurs menus besoins particuliers par l’advis de ladite dame Quinault leur mere ». Quinault n’est pas mentionné dans ce contexte, bien qu’il le soit chaque fois qu’il s’agit de la constitution et du paiement des pensions.