Nécrologe des hommes célèbres

Le Nécrologe des hommes célebres de France, par une société de gens de lettres, t. III, année 1770, Maestricht, Dufour, 1775.


Si Rameau, qui a pu mettre son nom à côté de celui d’un rival si célebre [Lully], eut cependant quelque chose à lui envier, c’est le bonheur d’avoir eu pour second un poëte tel que Quinault.(*) [...]

     * Boileau, qui ne concevait pas qu’il y eût une poésie presque dénuée de métaphores hardies et d’images, ne regardait pas Quinault comme un grand Poëte ; & en cela il était conséquent. Il faut convenir que, lorsque l'on vient de lire ses vers, & ceux de l’admirable Racine, on est tenté de devenir, comme lui, un peu trop sévere pour Quinault. Mais il a excellé dans l’art d’exprimer des sentiments naturels avec grace ; & c’est être Poëte aussi.

Article Rameau, p. 54-55


Il [Montdorge] eut le bonheur de rencontrer pour musicien le grand Rameau ; & quoique ses paroles n’eussent, ni toutes les graces de Quinault, ni toute la finesse de la Mothe, elle fournissaient un assez beau cannevas au génie du Musicien.

[…]

L’acte de Tyrthée ne roule point sur ces lieux communs de morale lubrique réchauffés par les sons de Lully, & censurés par le sage Despréaux. La harangue de ce Libérateur des Spartiates est du ton le plus noble ; c’est vraiment une harangue militaire. Il vaudrait bien mieux transporter de pareils sujets sur la scene lyrique, que d’aller, comme dit le grand Rousseau :

Développer, en des scenes dolentes,

Du doux Quinault les pandectes galantes.

On doit savoir gré à M. de Montdorge de s’être affranchi l’un des premiers de cet usage ridicule, qui avait si fort retréci les idées des faiseurs d’Opéra, & qui bornait leur Dictionnaire à une douzaine de mots postiches, combinés & ressassés jusqu’au dégoût en cent manieres différentes. Ce que c’est que l’imbécille troupeau des imitateurs ! Parce que Quinault, le modele de ce genre, (si pourtant on peut regarder l’Opéra comme un genre) parce que Quinault, dis-je, avait épuisé tous les madrigaux de la galanterie, ceux qui sont venus après lui se sont fait scrupuleusement un devoir de se traîner sur ses traces. C’était chercher des fleurs dans un /p. 272/ parterre, où déjà il n’en restait plus à cueillir. M. de Montdorge s’écarta avec succès de la route commune ; mais il aurait fallu, pour accréditer cette innovation, plus de verve & de chaleur poétique. Osons le dire, c’est un peu ce qui manque à Quinault. Ses vers sont doux, simples, & souvent aussi humbles que la prose, & rarement animés par ces images & par ces hardiesses, qui constituent la poésie. Ses vers sont enchaînés avec mollesse plutôt qu’avec harmonie ; & il faut convenir que, même à considérer l’Opéra indépendamment des absurdités qui en font la base, le sévere Despréaux avait bien ses raisons pour condamner les pieces que l’on regarde comme les chefs-d’œuvres du théâtre : toutes ces doucereuses bagatelles ne devaient pas plaire à un homme nourri de l’étude des anciens, & juge presqu’irrécusable en fait de poésie. Si Quinault eût écrit ses Opéra du style de Racine, certainement Boileau aurait été le premier à lui applaudir. Ceux qui diraient que ce n’était pas-là le style du genre, se tromperaient : car toutes les fois que des vers peindront bien le sentiment, & qu’ils seront, comme ceux de l’auteur de Phedre, pleine de passion et d’une mélodie variée, si l’on ne peut y joindre de beaux chants, c’est la faute du Musicien ou de la musique. […]

Article Montdorge, p. 269-273.

Antoine Gautier de Montdorge (1707-1758) fit le livret des Festes d'Hébé de Rameau (1739).

NOTE : Jean-Baptiste Rousseau, Épitres, livre II, numéro 2, "Au R.P. Brumoy, auteur du Théâtre des Grecs": "[...] cette foule incommode / D'auteurs glacés qui [...] Semblent vouloir, par d'immuables lois, / Borner tout l'art du théâtre françois / A commenter dans leurs scenes dolentes / Du doux Quinault les pandectes galantes". Selon Littré, une pandecte est un "recueil de décisions des anciens jurisconsultes que Justinien convertit en lois.