La Gazette Littéraire

EXTRAIT d'une Lettre à M. le B.... d'H..... sur l'Opéra 

     L'article dans Le Mercure de juillet 1767 est une réponse à cette lettre, qui figure dans le numéro de la Gazette littéraire du 2 décembre 1764. Il s'agit d'un supplément au Tome Troisième, septembre-novembre 1764. "Le B... de H..." est sans doute Holbach, auteur d'une Lettre à une dame d’un certain âge sur l’état présent de l’opéra de 1752.

     Une note offre des informations sur l'auteur : "Cette Lettre est écrite par un Poëte Philosophe qui ne nous a pas permis de le nommer. Malgré les efforts qu'il a faits pour se dérober à la réputation que méritent ses grands talens, il est déjà connu par des Pieces de Vers pleines de grace, de sentiment & d'harmonie, & par des Essais en Prose fortement pensés & élégamment écrits. Nous espérons que le Public jouira bientôt d'un Poëme qu'il a composé sur les Saisons & où les détails philosophiques & champêtres sont relevés & embellis par la noblesse des idées, la richesse des images & le charme de l'harmonie". Il s'agit du marquis de Saint-Lambert, qui fit paraître son poème "Les Saisons" en 1769. Sa lettre parut sous son nom dans Variétés littéraires, ou Recueil de pièces, tant originales que traduites, concernant la Philosophie, la Littérature et les Arts, Volume 3, 1804, p. 805-818.

     Voici quelques extraits. Le passage sur l'usage de l'alexandrin par "nos lyriques" donne une idée fausse des livrets de Quinault, où les alexandrins ne représentent qu'environ le tiers du texte.

[...] Quinault traite souvent des sujets vraiment tragiques, mais il donne rarement à ses personnages des sentimens aussi forts, aussi touchans que pourroient leur en inspirer leur situation & leur caractere : il n'est presque jamais que tendre ; & cependant il avoit plus de raison que Metastaze d'être vif & fort.

  La Langue Italienne a toujours un accent marqué qui se sait sentir dans la conversation la moins animée : la déclamation musicale peut être vive & variée dans les scenes d'un intérêt médiocre : la Langue Françoise au contraire n'a point d'accent dans la conversation ordinaire, & fort peu dès qu'elle n'a pas à rendre le pathétique : pour qu'elle ait de l'accent, il faut qu'elle fasse entendre le cri de la passion, le cri de la nature. Je ne doute pas qu'elle n'ait eu autrefois des inflexions plus marquées & plus fortes avant que la politesse ait établi l'usage d'abaisser le ton & d'ôter par-là de son énergie à l'expression. Quoi qu'il en soit, les Poëtes Lyriques François ont rarement exprimé des sentimens forts, des mouvemens violens, des passions extrêmes. Le récitatif François auroit nécessairement été monotone si l'on n'avoit employé une multitude d'ornemens arbitraires qui le varient, mais qui ne lui donnent pas de caractere. J'ai souvent parodié des morceaux de Quinault dont on me vantoit le récitatif: il ne perdoit rien à la parodie, parce qu'il n'avoit rien à perdre & qu'il n'étoit pas une vraie déclamation.

  Je crois qu'une des causes qui a encore contribué à donner de la monotonie à notre chant & à notre récitatif, c'est l'asservissement de nos Poëtes Lyriques à un certain rithme qui, sur-tout dans Quinault, est très-agréable à l'oreille lorsqu'on ne fait que réciter les Vers de cet aimable Poëte, mais qui ne l'est pas autant, à beaucoup près, quand on les chante. Nos Lyriques n'écrivent qu'en Vers Alexandrins qu'ils entremêlent de Vers de huit syllabes : ce rithme a quelque chose de lent, de grave & de doux, mais jamais rien de vif & de léger. Il faut bien que le chant se prête au rithme poétique; & si le rithme est trop uniforme, le chant doit l'être. (p. 340-342)

[...] 


La finesse, la délicatesse, ces qualités si voisines du foible & du tendre, dominent beaucoup dans Quinault & ses successeurs : il est bien rare que la Musique puisse rendre le délicat & le fin. (p. 343)

 [...] 


Je trouve presque tous les récits insupportables ; ils sont quelquefois nécessaires dans l'exposition ; Quinault les a évités avec bien de l'art, & Metastaze avec plus d'art encore : leurs expositions sont presque toujours en action, & c'est ainsi qu'elles doivent être s'il faut absolument des récits, je veux qu'ils soient courts & si animés qu'ils soient une sorte d'action. (p. 345-346)