Poème sur l’hérésie

Tableau de la chute

de l'heresie poeme par mr

Quinaut


Je n’ay que trop chanté les jeux, et les Amours.

Sur un ton plus sublime il faut me faire entendre ;

Je vous dis a Dieu Muse tendre

Je vous dis a Dieu pour toujours.

5 C’est à des actions d’eternelle Memoire

Que je dois consacrer mes vers

Je ne veux desormais celebrer que la gloire

Du plus grand Roy de l’univers.

Quelle Multitude innombrable,

10 D’heroiques vertus, et d’etonnants exploits !

Est-ce la Valeur indomptable ?

Ou la Sagesse impenétrable

Pour qui je dois d’abord faire Eclater ma Voix ?

Chanterais-je la guerre ou ce Roy redoutable

15 De tant de Rois liguez, a triomphé cent fois ?

Chanterais-je la paix encor plus Memorable

Dont en maistre du Monde il imposa les loix ?

Mais un nouveau triomphe à qui tout autre cede

M’engage à l’anoncer sur les tons les plus forts :

20 Loin de moy profanes transports

Un transport divin me posede.

Avec estonnement j’observe un si grand roy ;

J’ay peine a soutenir tout l’eclat de sa gloire ;

Pour exprimer ce que je voy ?

25 L’avenir pourra-t-il m’en croire ?

Un Monstre longtemps redouté

Tombe enfin, sans espoir que l’enfer le releve.

L’invincible Louis acheve

Ce que tant d’autres rois ont vainement tenté

30 De l’heresie affreuse, inflexible, cruelle

L’eglise triomphe par luy

Entre ses vrays enfans cette Mere immortelle

N’a point un plus solide apuy,

Où peut-elle icy-bas faire choix aujourdhuy

35 D’un deffenseur plus digne d’elle ?

L’eglise est sur son char avec tranquillité,

Elle Brille d’une Beauté

Qui jamais par le temps ne peut estre ternie,

Jamais avec la Majesté

40 La Douceur ne fut mieux unie.

Trois vertus qu’elle fait Regner

L’humble foy, l’esperance au vray bien attentive,

La charité, qu’embrasse une ardeur pure et vive,

S’empressent pour l’accompagner.

45 Son front est revestu d’une triple Couronne,

Quatre animaux divers tirent son char pompeux,

L’Esprit Saint luy fait part du plus pur de ses feux,

C’est a luy qu’elle doit l’eclat qui l’environne ;

Du livre ou sont escrits les oracles des Cieux,

50 Seule, elle peut lever les sceaux mystérieux.

Seule elle ouvre ou ferme l’entrée

Du royaume estably sur la vouste azurée,

Elle en a les clefs en ses mains

Elle est seule depositaire

55 De la victime volontaire

Dont le sang est le prix du salut des humains.

L’esglise sainte se fait suivre

Par les peuples qu’elle delivre [elles delivrent]

D’un long aveuglement et d’un piege fatal,

60 Elle sent une douce joye

De voir la prestieuse proye

Qu’elle vient d’arracher a l’empire infernal ;

Les ennemis de sa puissance,

Ne la peuvent voir qu’en tremblant

65 Elle oppose à leur Rage un Bouclier brillant

Qui peut seul luy servir d’invincible deffense ;

Du maistre le plus glorieux

Que la France ait receu des cieux

Ce puissant bouclier porte l’image emprinte,

70 C’est assez pour fraper d’une Mortelle Crainte

Les Monstres les plus furieux.

La verité paroist le Ciel la favorise,

Un feu pur et divin allume son flambeau,

Au char lumineux de l’eglise

75 Elle ajouste un éclat nouveau ;

Elle dissipe un reste d’ombre

Qui se melle aux splendeurs des Cieux,

Elle a levé le voile sombre

Dont cent peuples seduits laissaient couvrir leurs yeux ;

80 Elle fait le bonheur des Climats qu’elle éclaire.

Du couchant a l’aurore elle étend sa clarté,

Elle ne cherche point d’artifice pour plaire

Son plus grand ornement est sa propre beauté.

La sage justice s’avance,

85 Avec l’eglise sainte, elle est d’intelligence

Un genie exact et discret

Détourne un fer tranchant qu’il ne tient qu’a regret,

Il attend avec patience

Qu’un heureux repentir le luy vienne arracher

90 Et n’est attentif qu’a chercher

L’equilibre parfait d’une juste balance.

La Justice a la foudre a la Main,

Mais ces yeux ne font voir ny haine ny colere

On connoist à son front serain

95 Que jamais de son cœur le calme ne s’altere,

Toute preste a lancer les funestes éclats

De sa foudroyante vengeance

Elle souffre sans ressistance

Qu’un indulgent Amour luy retienne le bras.

100 La noire et farouche Heresie

D’un furieux transport saisie

Par des l’armes de rage et des regards affreux

Appelle a son secours l’Empire tenebreux ;

L’enfer seconde en vain la rage envenimée

105 Dont l’heresie est Animée,

Tout l’enfer est frapé d’effroy,

Tout cede a la puissance, à vaincre accoutumée,

Que l’auguste aspect d’un grand Roy

Imprime au bouclier dont l’eglize est Armée.

110 L’inflexible heresie avec etonnement

Sent enfin qu’elle touche a son dernier moment

Et voit avec horreur son noir tombeau qui s’ouvre.

Un penetrant rayon qui partout la poursuit

Se fait jour au travers du voile qui la couvre

115 Et la force a tomber dans l’éternelle nuit.

D’un Mortel desespoir pressée

En tombant mesme elle entreprend

De renverser le char où l’eglize est placée ;

Elle le heurte en vain d’un pied foible et Mourant,

120 Le despit de laisser son heureuse ennemie

Dans un doux repos affermie

Est son suplice le plus grand.

Sa Compagne la plus mutine

La folle opiniatreté

125 D’une ardeur indiscrette à l’embrasser s’obstine

Et fait hautement vanité

D’une aveugle témerité ;

L’heresie en tombant d’une chute soudaine

Dans ce fatal secours trouve un poids qui l’entraine

130 Avec plus de rapidité.

La splendeur que respand la verité brillante

Chasse le Mensonge odieux

Il fuit et d’une main tremblante

Repousse la clarté qui vient fraper ses yeux ;

135 Avec l’heresie il sucombe,

Son artifice est sans pouvoir,

Il se trouble, son Masque tombe,

Son visage affreux se fait voir,

Saisi d’une fureur extreme

140 Il se precipite luy mesme,

Et s’abandonne au desespoir,

Pour cacher a son gré sa honte

Il n’est point de chute assez promte,

Il n’est point de gouffe assez noir.

145 La rebellion enchainée

Voit son pouvoir destruit, et son orgueil a bas

Et gemit d’estre condannée,

A n’ozer plus former de nouveaux attentats ;

Elle veut destourner sa veüe,

150 De l’eclatant aspect du Roy qui l’a vaincüe

Ses yeux accoutumés a des objets d’horreur

Ne souffrent qu’avec peine une Splendeur si vive ;

Plustost que de laisser sa barbarie oisive

Elle a contre elle mesme acharné sa fureur ;

155 Elle ronge son bras livide,

Et venge par son sang, le sang dont tant de fois

Sa rage de Meurtres avide

Inonda l’Empire francois.

Mille Monstres divers que l’héresie appelle

160 En vain pour son secours s’efforcent de s’unir,

Trop foibles pour la soutenir

Ils trebuchent tous avec elle,

Et frapez d’un éclat de lumiere immortelle

Vont pesle mesle estre engloutis

165 Dans la nuit des enfers, dont ils estoient sortis.

Semblables aux oiseaux [funestes] funebres

Noirs amis de l’obscurité

Qui blessez par le jour, vont chercher les tenebres

Dans le fond d’un reduit triste affreux écarté

170 Ou ne décend jamais la Celeste Clarté.

Desja pour figurer cette grande Aventure

Le Brun trace un dessein nouveau

Il faut joindre ma plume a son noble pinceau

Et faire parler sa peinture.

175 Heureux si nous laissons a la race future

Un fidele portrait d’un triomphe si beau !

Heureux s’il nous estoit posible

De former d’assez nobles traits

Pour marquer la vertu du heros invincible

180 Par qui l’églize dompte un Monstre si terrible

Et goute une si douce paix !

Mais quelles mains assez scavantes ?

Quelles couleurs assez brillantes

Peindront ce Roy victorieux

185 Tel qu’il se fait voir a nos yeux ?

Le charme secret qui luy donne

Plus d’empire que sa Couronne

Peut-il estre representé ?

Ce Heros est trop grand, sa gloire est trop brillante,

190 On ne pourra jamais quelque effort que l’on tente

Le montrer tout entier à la postérité.

SOURCES

A. Recueil de pièces choisies, manuscrit, Bnf, NAF 18.220, f. 82v-87r

B. Frédéric Lachèvre, Bibliographie des recueils collectifs de poésies publiés de 1597 à 1700, 1e éd. 1901-1905, Genève, Slatkine Reprints, 1967, t. III, p. 490-494.


ATTRIBUTION

La source A (voir le titre ci-contre) attribue ces vers à Quinault. Ch. Perrault, dans ses Hommes illustres, p. 82, attribue à Quinault "un Poëme sur la destruction de l’Heresie" et il en donne les quatre premiers vers. La Vie de Boscheron, qui précède l'édition du Théâtre de Quinault de 1715, p. 59, cite Perrault et donne les mêmes vers.

Dans la même Vie, Boscheron mentionne un manuscrit du poème – il faut présumer qu'il s'agit du même poème, bien qu'il l'intitule « Le poème de l'Hérésie détruite » – qui serait parmi ceux que Quinault avait laissés inédits. Selon lui, le poème serait inachevé, et on se demande quel manuscrit il connaissait. Plus tard, dans la Vie manuscrite de 1722 (p. 91), il le mentionne de nouveau, et sous le même titre qu'en 1715, mais cette fois sans laisser entendre qu'il est incomplet.

Lachèvre attribue le poème à Quinault. Il reproduit "le texte d’une curieuse ode de Quinault d’après un Ms. en notre possession qui est d’une écriture du commencement du XVIIIe siècle». C'est sans doute le NAF 18.220, qui porte son ex libris.


NOTE

Le poème est une description du tableau de Charles Le Brun, L'église victorieuse de l'hérésie ou le Triomphe de la religion. On peut proposer la date de la fin de 1686 ou du début de 1687 pour ce poème, évidemment postérieur au dernier livret de Quinault (Armide, février 1686) et au tableau de Le Brun (juin 1686). Quinault utilisa plusieurs vers de ce poème dans sa description d'une peinture avec un sujet similaire, qui fit partie du décor de l'Eglise des Prêtres de l'Oratoire de la rue St. Honoré, pour l'action de grâces du 8 février 1687, pour la célébration de la guérison de Louis XIV.


VARIANTES

Le texte ci-contre est celui de la source A, la seule source connue. Il n'y a donc pas de véritables variantes, mais il y a plusieurs corrections intéressantes, dans une main très similaire à celle du reste du texte ; en particulier, les similarités entre le "fraper" au vers 70 et les "frapé", "fraper" et "frapez" aux vers 106, 134 et 163 sont ... frappantes.

v. 14, Chanterais je la gloire guerre

v. 15, De tant de Rois divers ligues

v. 16, Chanterais je la paix encore plus redoutable Memorable

v. 19, Mengage a lhonnorer l’anoncer

v. 31, L eglise triomphe aujourduy par luy

v. 32, Entre ses trois vrays enfans

v. 51, Seule elle ouvre et ou ferme l’entrée

v. 70, C est assez pour porter une fraper d’une Mortelle Crainte

v. 79, Dont cent peuples seduits s allaient couv??? les laissoient couvrir leurs yeux

v. 89, [« le » ajouté au-dessus[

v. 102, Par des l’armes [sic] de Rage, et des Regrets regards affreux

v. 111, Sent enfin quelle touche [?] touche a son dernier fatal dernier moment

[« dernier » rayé, remplacé par « fatal » au-dessus,

puis « fatal » rayé et remplacé par « dernier en dessous]

v. 129, Dans ce fatal moment secours trouve

v. 166, Semblables a ces aux oisaux funestbres

La présence de ces corrections s'explique d'au moins deux façons :

- 1, le copiste a travaillé à partir d'une unique copie et, en relisant son travail, s'est rendu compte qu'il avait mal copié certains mots

- 2, le copiste a corrigé son travail après l'avoir comparé à un autre manuscrit.

Le manuscrit présente quelques erreurs manifestes, que j'ai corrigées :

v. 16, "encore" crée un vers faux

v. 49, Du livre ou sont escrit

v. 58, Par les peuples qu’elles delivrent

v. 116, D'un Mortel desespoir pressé

v. 123, Sa Compagne la plus muttinée

v. 102, Par des l’armes de Rage [...]

v. 123, Sa Compagne la plus muttinée

v. 134, Repouse la clarté [...]

v. 151, Ses yeux accoustumée [...]

v. 175, Hureux [...]

v. 177, Hureux [...]

Lachèvre a modifié quelques vers (et souvent modernisé l'orthographe et la ponctuation) :

v. 92, La Justice a la foudre en main

[sans doute pour éviter un vers à 9 syllabes, qui serait surprenant]

v. 93, Mais ses yeux ne font voir ny haine, ny colere

v. 172, Le Brun trace un dessin nouveau

[Le dictionnaire de Furetière donne "projet" et "image" comme définitions de "dessein" ; "dessin" n'y figure pas]