Odu au duc de Guise

   Cette ode figure, à la suite de la dédicace,  dans l'édition de 1655 des Coups de l'Amour et de la Fortune, chez Guillaume de Luyne, mais pas dans celle de 1660. On trouve la même combinaison d'une dédicace et d'une ode dans l'édition de La Généreuse ingratitude de 1656.

   Le père du duc de Guise, mentionné à la troisième strophe, est Charles Ier, quatrième duc de Guise. "Jusques sur le front de Neptune" est sans doute une référence à ses exploits comme Amiral du Levant. Il commanda la flotte dans la bataille de Saint-Martin-de-Ré en 1622, contre la flotte huguenote, et pendant une partie du siège de La Rochelle en 1627-1628.

   Le mot "fatal" au premier vers de la strophe six est à comprendre dans le sens de "ce qui doit arriver nécessairement" (Furetière).                                                                                                                                                                                                                 

A

SON ALTESSE

DE GUISE.

ODE.

   JE pretens loüer dans mes Vers

Un PRINCE, à qui les Destinées

Doivent un rang dans l'Univers

Entre les Testes couronnées.

MUSES, mes divines Amours,

De qui j'implore le secours

Pour une Personne si chere,

Quittez le liquide cristal

Qui sort de vostre Mont natal,

Et me conduisez à portraire

D'un Art qui ne soit point vulgaire,

Un HEROS qui n'a point d'égal.

 

   Mais vostre secours n'est pas loin,

Je vous voy, Nymphes immortelles,

Et pour m'assister au besoin

Vous ne fustes jamais si belles.

Parlons d'un Style relevé

Du PRINCE le plus achevé

Qui parut jamais sur la Terre,

Qui des Peuples, & de la Cour,

Est l'Espoir, l'Honneur, & l'Amour,

Qui peut passer pour un Tonnerre,

Et n'est pas moins Dieu de la Guerre

Que le Soleil est Dieu du Jour.

 

   Ce HEROS brave & glorieux,

Dont les charmes sont sans mesure,

Receut mille presens des Cieux,

Et mille dons de la Nature.

Son Cœur ne se peut comparer,

Son Esprit se fait admirer

Des plus Eclairez de la France :

Bien qu'il ait la valeur de Mars,

Des belles Lettres, & des Arts,

Il possede la connoissance,

Et la grandeur de sa Naissance

Brille jusques dans ses regards.

 

   Il descend de mille Guerriers,

Dont la gloire n'est pas commune ;

Son Pere a cueilli des Lauriers

Jusques sur le front de Neptune.

La Renommée à haute voix,

Du bruit de ses fameux explois

A souvent frappé nos oreilles ;

Mais ce Demy-Dieu sans pareil,

Pour le Combat & le Conseil

Apres ses travaux & ses veilles,

Effaça toutes les merveilles

Lors qu'il produisit ce SOLEIL.

 

   La Fortune au Cerveau leger,

Qui sans raison flatte, ou s'irrite

En l'affligeant, creut affliger

La Vertu meme, & le Merite.

Mais il a bravé son couroux

D'un air qui doit aprendre à tous.

Que sa gloire ne peut s'accraistre.

Cesar fit voir moins de valeur,

D'esprit, de force & de chaleur,

Quand de Rome il devint le Maistre,

Que ce PRINCE en a fait paraitre

Dans le plus fort de son malheur.

 

   LA SEINE, à son retour fatal,

Le Corps nud jusqu'à la ceinture,

Lui fit de ses mains de cristal

Une Couronne de verdure.

Et comme elle la luy tendit,

Sur ses Rives on entendit

Qu'elle prononça des Oracles :

La Nymphe en élevant sa voix

Nous asseura qu'en miile endroits.

Triomphant des plus grands obstacles,

Il fera dans peu des Miracles,

Qui feront soûpirer des Roys.

 

   Crois en espoir comme en vigueur,

(Dit-elle, à ce PRINCE admirable)

La fermeté de ton grand Cœur

Fait trembler le Sort qui t'accable.

J’ay feüilleté tout ce matin,

Le Livre secret du Destin

Où j'ay trouvé tes adventures ;

Les Astres de tes maux lassez,

Doivent estre bien tost forcez

A rouler apres tant d'injures,

Pour tes prosperitez futures.

Plus que pour tes malheurs passez.

 

   Tu dois si hautement porter

La gloire de tes Destinées,

Qu'en ta Vie on pourra conter

Plus de Victoires que d'années.

Je voy des Aigles couronnez,

Je voy des Lyons déchainez,

Que d'abord ta Valeur étonne :

Et qui d'épouvante surpris,

Par la menace & le mépris,

Que tu leur dois faire en personne ;

De plus d'une illustre Couronne

Te laissent les riches débris.

 

   La Nymphe en achevant ces mots

R'entra dedans son Lit tranquille,

Et par ces merveilleux propos

Anima ce nouvel Achille.

Cét Oracle fut écouté,

Par l'inconstante Deité,

Qui promit d'estre favorable,

Mais, PRINCE, suivant les clartez,

Et les brillantes qualitez

Qui vous rendent Incomparable,

La Fortune n'est pas solvable

Pour les biens que vous meritez.

QUINAULT