Dédicace - Stratonice
Paris, Guillaume de Luyne, 1660
À Jeannin de Castille
Nicolas Jeannin de Castille, marquis de Montjeu (?-1691) était Maître des Requêtes et Trésorier de l’Épargne. Fils de Pierre et Castille et de Charlotte Jeannin, il était le cousin de Marie-Madeleine de Castille, épouse de Fouquet. C’est sans doute elle, « une des plus illustres & des plus aimables Personnes du Monde », dédicataire de la pièce précédente de Quinault (La Mort de Cyrus, 1659), qui encouragea son cousin à accepter cette dédicace. Il fut arrêté après la disgrâce de Fouquet, un an après cette dédicace.
Quinault avait dédié Le Feint Alcibiade à Fouquet en 1658.
A MONSIEUR
MONSIEUR
JEANNIN
DE CASTILLE,
TRESORIER
DE L’ESPARGNE.
MONSIEUR,
Vous n’avez pas songé sans doute à quoy vous vous estes engagé, alors qu’en faveur d’une des plus illustres & des plus aimables Personnes du Monde, vous m’avez fait l’honneur de consentir que je vous offre STRATONICE. Vous avez peut-estre fait vostre compte d’en estre quitte pour m’accorder une protection que je n’ay pas méritée ; Mais, MONSIEUR, de l’humeur dont je vous connoy, cette permission vous a exposé à quelque chose de bien plus difficile que vous n’avez pretendu. Vous estes d’une Famille où l’on fuit les loüanges avec la mesme ardeur que l’on y cherche à les meriter ; & cependant, sans y penser, en
permettant que je vous dédie un Ouvrage, vous avez permis que je vous louë. C’est une coûtume indispensable parmy ceux qui se meslent d’escrire ; & quelque forte aversion que vous y puissiez avoir, je vous laisse juger vous-mesme, si vous n’estes pas obligé d’endurer cette espece de violence, & si ces sortes de Dedicaces peuvent jamais estre faites sans y mesler un peu d’encens. J’essayeray toutesfois de vous en donner le plus legerement que je pourray, pour m’accommoder à vostre delicatesse, & je tâcheray de parler à vostre avantage beaucoup moins que je ne devrois, afin que vous ayez moins à souffrir. Vous ne vous offencerez donc pas, s’il vous plaist, MONSIEUR, que je die que vous exercez une Charge où l’on a montré rarement autant de vertu que vous y en faites voir, & dans laquelle jusques à Vous on ne s’est guere avisé de ne vouloir pas tant amasser du bien que de la gloire. Ce n’est pas un mediocre sujet d’admiration que toutes les richesses du Royaume ayent coulé si long-temps par vos mains sans les salir, & que vostre ame ait une pureté qui ne se soit point alterée, au milieu de ce qui fait presque aujourd’hui la corruption de toutes choses ; mais il est encore plus merveilleux qu’il n’y ait personne qui ne tombe d’accord de cette verité, & que vous ayez acquis une estime universelle dans un Employ où l’envie semble estre inseparablement attachée. Toute la Cour vous considere ou par inclination, ou par reconnoissance, les plus honnestes Gens se réjouïssent de vos prosperitez comme s’ils y avaient part ; Enfin, MONSIEUR, tout le Monde, qui n’est pas toûjours équitable, rend justice à vostre merite, & vous sçavez en conscience, qu’il y en a du moins la plus belle Moitié dont vous auriez grand tort de vous plaindre. Je m’assure que je vous obligerois fort si je me pouvois resoudre à retenir icy ma plume, & à me passer au peu de bien que je viens de dire de vous. Cependant, MONSIEUR, si vous voulez en parler avec sincerité, vous m’avouërez qu’il est absolument de mon devoir de representer encore tout au moins en cette occasion, vostre juste discernement pour les belles choses, vostre fermeté pour vos Amis, vostre generosité pour toute la Terre, & mille autres qualitez admirables que toute la France sçait que vous possedez : mais si je m’allois amuser à vous faire ce déplaisir, vous n’acheveriez jamais de lire cette lettre, & j’ay trop d’interest que vous en voyiez principalement la fin, puisqu’elle doit contenir la protestation tres-passionnée & tres-respectueuse que je vous fais d’estre toute ma vie,
MONSIEUR
Vostre tres-humble & tres-
obeïssant serviteur,
QUINAULT.