Dédicace - Fantôme

Le Fantôme amoureux

 Paris, Claude Barbin, 1656 et 1657 (même édition sauf la page de titre).

Au comte de Saint-Aignan

   François Honorat de Beauvilliers, comte de Saint-Aignan (1607-1687), protégeait de nombreux écrivains (« un grand nombre de liberalitez que vous avez faites »), dont Tristan l’Hermite, le « maître » de Quinault. Il fut élu à l’Académie Française en 1663. Il est parfois question de Quinault dans sa correspondance volumineuse, avec Bussy-Rabutin, par exemple, à qui Quinault dédia l'Osman de Tristan la même année.

   Premier gentilhomme du roi, il organisait ses fêtes et ses plaisirs, comme Les Plaisirs de l’Île enchantée en 1664. Il participa au « tournoi poétique » ouvert par Mme Deshoulières peu de temps avant la création d’Amadis en 1687. 

A MONSEIGNEUR,

MONSEIGNEUR

LE COMTE

DE SAINT AIGNAN,

CONSEILLER DU ROY

EN SES CONSEILS D’ESTAT,

Lieutenant General en ses

Armées, & premier Gentil-

homme de la Chambre.

 

Monseigneur,

   C’est avec beaucoup de crainte et & de trouble que j’ose prendre la liberté de vous offrir cette Tragi-Comedie ; Je n’ay pas assez tiré de vanité du bon-heur qu’elle a eu de ne pas déplaire sur le Theatre, pour m’assurer qu’elle soit autant heureuse en se presentant à vous sur le papier ; Je suis persuadé que vous avez des lumieres peu communes pour la connoissance des belles choses : Je sçay que vous en sçavez parfaitement discerner les beautez, les artifices & les deffauts ; & que cet Ouvrage n’a rien qui ait esté treuvé juste, que vous ne puissiez treuver deffectueux avec justice, si vous l’examinez avec rigueur : Mais quand je serois assuré qu’il ne recevroit de vous que du mépris, je ne changerois pas le dessein que j’ay fait de vous l’offrir ; & n’aurais pas de honte de vous faire connoistre ma foiblesse, pourveu que j’eusse au moins l’honneur de vous faire paroistre mon zele. La passion, MONSEIGNEUR, qui m’oblige à vous honorer, n’est pas une passion nouvelle : Aussi-tost que j’ay commencé d’avoir quelque connoissance de ce que l’on appelle Merite, j’ay commencay d’avoir des sentimens de veneration pour vous : J’ay ensuite appris tout ce que je sçay de la belle Poësie, en vous entendant loüer : je suis mesme obligé d’avoir des ressentimens eternels, d’un grand nombre de liberalitez que vous avez faites, & j’estime que vous n’en douterez pas, quand vous sçaurez que j’ay eu le bon-heur d’avoir feu l’illustre Monsieur Tristan pour Maistre dans un Art où il estoit sans doute admirable, puis qu’il y a merité vostre estime. Encore que cét Homme excellent vous ait consacré ses veilles les plus laborieuses, & qu’il ait rendu son nom immortel en voulant eterniser le vostre, il n’a pas laissé de reconnoistre en mourant que les loüanges n’estoient pas encore en si grand nombre que vos bienfaits : Je suis tesmoin que dans ses derniers moments, il a tesmoigné moins de regret de voir sa vie achevée, que de laisser sa reconnoissance imparfaite ; & je croirois commettre une espece de larcin, si je ne vous offrois, pour l’acquitter, toutes les lumieres dont je luy suis redevable. Quelque juste défiance que j’aye de mon peu d’artifice, j’ose toutesfois m’assurer de ne dire que des choses extraordinaires, pourvu que vous ayez la bonté de me permettre de parler de vous ; & je croy n’avoir pas besoin d’estre fort ingenieux pour reüssir dans ce dessein, puisque pour n’escrire rien de vous que de merveilleux, il suffit de n’escrire rien que de veritable. Mais ce n’est pas en cét endroit que je pretends commencer à former quelques traits à votre gloire, c’est dans un Ouvrage beaucoup plus fort & plus estendu qu’une Lettre, que je me propose de faire une peinture esclattante de toutes vos admirables qualitez, & de vos actions toutes heroïques. Je me contenteray seulement de vous oser icy demander avec respect la permission de me dire,

   MONSEIGNEUR,

Vostre tres-humble & tres-

obeïssant serviteur,

QUINAULT.