Dédicace - Amalasonte
Amalasonte
Paris, Guillaume de Luyne, 1658
Au cardinal Mazarin
Mazarin a dû apprécier Amalasonte, qu’il a vu au moins une fois. Theudion, conseiller fidèle et désintéressé de « la plus grande des Reines », aide son fils à épouser « une Reine […] la merveille de son siècle », ce qui fait penser bien sûr à Anne d’Autriche, mais aussi à l’amour de Louis XIV pour Marie Mancini, nièce du puissant ministre.
Deux autres nièces du Cardinal avant mêlé son sang avec « le Sang Auguste de nos Rois » : Anne Marie Martinozzi en 1654 avec Armand de Bourbon, prince de Conti (1629-1666), dédicataire de La Généreuse ingratitude, et Laure Mancini en 1656 avec le duc de Modène, fils du duc de Vendôme.
Mazarin inspira même plus de « terreur à l’Espagne » un mois après l’achevé d’imprimer de cette tragi-comédie, en gagnant la bataille des Dunes le 14 juin ; les négociations pour le Traité des Pyrénées commenceraient bientôt.
On ne sait pas si Quinault reçut une gratification de Mazarin, mais celui-ci lui commanda la pastorale Lysis et Hespérie en 1660, pour fêter le mariage entre Louis XIV et Marie-Thérèse.
A
MONSEIGNEUR
MONSEIGNEUR
LE CARDINAL
MAZARIN
MONSEIGNEUR,
Je suis persuadé que c'est une espece de crime, que d'interrompre par une offrande si peu considerable que cette Piece de Theatre, les soins importans que VOSTRE EMINENCE prend continuellement pour le bon-heur de cét Estat ; mais vous sçavez qu'il n'est rien de plus naturel que d'aimer aveuglément tout ce que l'on produit : & j'espere que vous pardonnerez à cette inclination si commune à tous les hommes, le desir que j'ay de rendre mon Ouvrage le plus glorieux qu'il puisse estre, en vous le consacrant. J'ay tâché de faire paroistre devant une Cour, que vos travaux rendent aujourd’huy la plus florissante de la Terre, une Reine, qui fut autrefois la merveille de son Siecle, & je ne doute point qu'en la faisant sortir du tombeau, je ne luy aye desrobé beaucoup de son ancien éclat ; mais il est certain que je ne luy ay pû faire aucun tort, que je ne repare avantageusement, en luy procurant la protection de VOSTRE EMINENCE. Ce n'est pas d'aujourd'huy, MONSEIGNEUR, que des Testes Couronnées reçoivent de vous leurs avantages plus éclatans. Si l'Auguste MERE de nostre incomparable ROY s'est renduë la plus grande des Reines par la grandeur de cette Monarchie, & si dans sa Regence admirable elle a fait compter beaucoup moins d'années que de Victoires, ces évenemens favorables sont autant d'effets merveilleux de vos veilles laborieuses. Si nostre invincible MONARQUE dés le Printemps de sa vie a des-ja moissonné tant de Palmes, & s'il n'a pas moins inspiré de terreur à l'Espagne, qu'il a donné d'admiration à tout le reste du Monde ce sont d'heureux succez, qu'il doit autant à la force de vostre Esprit qu'à la puissance de ses Armes. Mais l'ardeur que vous avez témoignée pour les interests de ce grand PRINCE, est d'autant plus loüable, qu'il vous estoit libre de vous en dispenser, & que n'ayant pas esté ne parmi ses Sujets, le devoir de la naissance ne pouvoit avoir aucune part dans les soins que vostre seule inclination vous a fait prendre pour sa gloire. Aussi, MONSEIGNEUR, on voit éclater la justice du Ciel dans le bon-heur qui suit continuellement tous vos desseins, & l'on peut dire avec verité que le rang illustre que vous avez acquis dans ce Royaume, est plûtost un ouvrage de vostre Merite, qu'une faveur de la Fortune. Cette aveugle Divinité, qui n'a rien de certain que son inconstance, ne vous auroit pas si long-temps exempté de ses changemens, si vous n'aviez point eu d'autres biens que ceux qui relevent de son Empire, & il n'est pas mal-aisé de connoistre que le cours immuable de vos heureux destins, ne peut avoir sa source que dans la solidité de vostre Vertu. Le Sang Auguste de nos Rois est maintenant si bien meslé avec celuy de VOSTRE EMINENCE, qu'il ne vous sçauroit plus arriver de disgrace, où toute la Maison Royale ne fut interessee. L'Envie elle-mesme, malgré l'habitude qu'elle a de faire son propre mal-heur de la prosperité d'autruy, n'ouvre plus aujourd'huy la bouche, que pour accroistre le bruit que la Renommée fait en vostre faveur. Il y a peu d'hommes considerables pour les belles Lettres dans nostre Nation, qui ne soient obligez par reconnoissance de vous donner des marques de leur estime : tous ceux dont les Escrits ont eu quelque agréement, ont esté honorez de vostre approbation, & tous ceux, qui ont eu vostre approbation ont esté gratifiez de vos bien-faits. Ce n'est pas, MONSEIGNEUR, que vous attendiez des louanges pour les graces que vous prodiguez : toutes nos Histoires laisseront à la Posterité le nom celebre de VOSTRE EMINENCE avec assez d'éclat, pour n'avoir pas besoin que nos Inventions se mêlent d'y rien ajoûter ; mais quand vous prenez du plaisir à faire du bien à ceux que vous en connoissez dignes, c'est parce que la Liberalité convient particulierement aux grandes Ames, & qu'il vous est impossible de souffrir qu'il y ait une seule des Vertus qui vous eschape. Enfin, MONSEIGNEUR, si vous avez la bonté de vouloir estre le Protecteur d'Amalasonte, elle sera plus glorieuse qu'elle ne fut jamais, & j'auray beaucoup de part à sa gloire, puisque j'auray l'honneur de m'offrir à vous avec elle, & que je treuveray l'occasion de vous protester avec respect que je suis,
MONSEIGNEUR,
De Vostre Eminence,
Le tres-humble, tres-obeyssan
& tres-passionné serviteur,
QUINAUT.