Dédicace - Agrippa

Agrippa, roy d’Albe, ou le faux Tibérinus

Paris, Guillaume de Luyne, 1663

Au Roi  

La « stratégie » des dédicaces de Quinault semble claire. Après Mazarin, ministre du Roi, et le duc d’Anjou, frère du Roi, il y aura le Roi et à la Reine, avec entre ces deux paires de dédicaces royales trois œuvres dédiées au surintendant Fouquet, à son épouse et au cousin de son épouse. Quinault avait le « bonheur d’approcher la Personne Auguste du plus accompli de tous les Monarques » depuis son acquisition de la position de Valet de Chambre du Roy, charge qu’il exerçait depuis le dernier quartier de 1660.

  La « fin de la guerre » est sans doute le Traité des Pyrénées de la fin de 1659, qui mit fin à la guerre contre l’Espagne. Les nouvelles conquêtes seraient les villes de Dunkerque et de Mardyck, achetées à l’Angleterre en octobre 1662.

  Le « Vainqueur de l’Asie » est Alexandre le Grand. En ce qui concerne Térence, Quinault confond Scipion le Jeune, patron du poète, et son fils Scipion l’Africain, vainqueur d’Annibal.

AU ROY.

 SIRE,

     Il y avoit lieu de croire que mon Ambition devoit estre entierement satisfaite, de l’agréement avec lequel cette piece a esté receuë de VOSTRE MAJESTÉ. Aprés une grace si considerable, je Luy pouvois en effet espargner la fatigue d’une Epistre ; & l’avantage d’avoir su Luy plaire estoit un honneur assez grand, sans chercher encore un nouveau moyen de l’accroistre. Cét emportement est une foiblesse naturelle aux habitants du Parnasse ; & comme la gloire est souvent l’unique fruict qu’ils recueillent de ce pays sterile, il leur est pardonnable d’en desirer quelquesfois avec un peu trop d’ardeur. On s’imaginera, peut-estre, que je devois estre exempt de ce defaut, parce que j’ay le bon-heur d’approcher la Personne Auguste du plus accomply de tous les Monarques, & d’y voir briller de prés ces Vertus éclatantes qui sont aujourd’huy l’admiration de toute la terre ; mais qui ne sçait point, SIRE, que lorsqu’il s’agit de gloire, ce n’est pas en VOSTRE MAJESTÉ que l’on peut trouver des exemples de Moderation ? Cét excés n’est pas de ceux dont Elle se veut deffendre, & c’est proprement là dessus qu’Elle est la plus difficile du monde à contenter. La fin de la guerre n’a pû devenir la fin de ses Conquestes. La paix n’a sçeu L’empescher d’en faire de nouvelles, & qui Luy sont d’autant plus glorieuses, qu’elles n’ont pas cousté une seule goutte de sang à ses Subjets, & qu’Elle n’en doit rien qu’à Elle-mesme. A dire vrai, SIRE, à moins que d’estre comme nous sommes, les tesmoins de tant de merveilles, y auroit-il apparence de les pouvoir croire ? Ne pourrions-nous pas avoir bien de la peine à nous persuader, qu’à vingt-quatre ans VOSTRE MAJESTÉ n’ait pas esté moins redoutable dans son Cabinet, qu’à la Teste de ses Armées ? Qu’Elle ait sçeu joindre des choses aussi peu compatibles que la Jeunesse florissante, & la Prudence consommée ? Qu’Elle ait eu des Qualitez que l’on n’acquiert que par la perte des plus belles années, dans un âge qui n’est fait d’ordinaire que pour les plaisirs ? En fin qu’Elle ait trouvé l’Art de rassembler en Elle seule tous les avantages que le Ciel a accoustumé de separer dans le reste des hommes ? Il n’y a pas, SIRE, jusques aux secrets des belles Lettres, où les Lumières de VOSTRE MAJESTÉ ne s’estendent ; Elles n’ont pas desdaigné de m’esclairer dans la conduite de cét Ouvrage, & je suis obligé de confesser qu’Elles sont la source de ce que l’on y a trouvé de plus brillant. Cette inclination que VOSTRE MAJESTÉ témoigne pour les muses, n’avoit garde de Luy manquer, puis que c’est de tout temps la passion des Heros. Les Vers d’Homere furent autrefois les Delices du Vainqueur de l’Asie au milieu de ses Triomphes ; & les comedies de Terence receurent leurs derniers traits des mesmes mains qui venoient de terrasser Annibal, & d’abattre la grandeur de Carthage. Ceux qui sont attachez particulierement à ce genre d’écrire, n’ont plus, SIRE, qu’une seule chose à craindre avec toute l’Europe ; C’est que la haute valeur de VOSTRE MAJESTÉ, qui s’est fait tant de violence pour donner le repos à ses peuples, ne trouve quelque juste occasion de l’interrompre. S’il faut qu’une fois elle reprenne les Armes, le bruit que nous prévoyons bien qu’elles feront, ne nous permettra plus de songer aux Roys les plus Illustres des Siecles passez, & pour nous laisser le loisir de representer leurs actions, Celles de VOSTRE MAJESTÉ nous donneront asseurément trop d’affaires. Je n’ai pas la hardiesse de promettre de travailler sur de si grands sujets, avec autant d’Esprit qu’une infinité de Gens plus habiles que moi, & qui ne laisseront pas eschaper une si riche matiere. J’ose respondre seulement que je puis défier qui que ce soit au monde, de surpasser le zele ardent qui animera toûjours,

SIRE

DE VOTRE MAJESTÉ,

Le tres-humble, tres-obéïssant, &

tres-fidelle serviteur & subjet

QUINAULT.