"Marsias allégorie", manuscrit

Bibliothèque de Genève, Arch. Tronchin 355, pièce 44, Source A

   Il y a des variantes de deux autres sources après le texte du poème.

 

[f. 1r]

Manuscrit trouvé dans les Papiers de feu

M

Lully jouissoit de toute sa reputation lorsqu’un certain Cariselly vint d’Italie pour insulter au bon gout, et pour dementir les applaudissemens de toute la France ; sa musique etoit aussy barbare que celle de Lully etoit naturelle ; cet extravagant debita un sistême Baroque et tel que ses Chants ; aussy fut-il payé selon ses Merites. Il fut condamné de tous les honnestes gens, mais ce n’etoit pas assez. Le Public alors trouvoit bon [lettres rayées] que les auteurs justifiassent eux-mêmes ses Decisions. Cariselly fut donc joué sous son propre nom, il fut immolé à la Risée sur le Theatre de l’opera dans un Divertissement de M Lully, qui subsiste encore. Quinault plus moderé et habile à manier la fable se contenta de l’allegorie suivante qu’on a depuis peu recouvrée.

Marsias Allegorie

        Le temeraire Violon

        Qui s’escrima contre Apollon

        Et qui paya son équipée

        De sa Peau par Lambeaux coupée

  5 Fut un echapé des forets,

        Un composé d’homme et de brute,

        Un de ces Êtres Imparfaits,

        Que même en y voyant leur traits

        L’une et l’autre espece rebute.

   10   Un Colosse sec rembruni

        Fut l’Etuy du plus dur genie

        Du Lion les Rugissemens

        Et du serpent les Sifflemens

        Etoient l’ecole d’harmonie

[f. 1v]

   15 Qu’enfant il se plut d’ecouter

        Et que vieux il sut imiter.

        L’etude augmenta son delire,

        Son cerveau vint a s’echaufer

        Jusqu’au point de croire etouffer

   20 Les Sons de la divine Lire

        Phoebus vengea l’honneur des chants

        Doux, harmonieux, touchans,

        Il vengea la tendre musique

        Present des Dieux qui dans nos sens

   25 Repand un baume simpatique

        Heureux si le sang du brutal

        Eut tari la source du mal.

        Megere du monstre nourrice

        En ayant prevu le suplice

   30 Avoit de tout tems arreté

        Qu’il laisseroit posterité.

        Megere de ses sœurs suivie,

        En hyver par un jour affreux,

        Par un brouillard sale, nitreux,

   35 Guida Marsias chez l’envie

        Femelle qui ronge l’ennuy,

        Que maigrit l’embonpoint d’autruy,

        Au regard louche, au teint livide

        Telle qu’on la voit dans Ovide

[f. 2r]

   40 On dit qu’à leur premier aspect

        Effrayez, tous deux reculerent,

        Puis leurs carcasses accouplerent

        L’un et l’autre heurlant bec à bec.

        Un vaste monceau de couleuvres

   45 Fut le lit dressé pour leurs œuvres.

        Tandis qu’il filtroient leur poison,

        Courage ! s’ecria Megere,

        Il naitra de vous un garçon ;

        Il vivra pour venger son Père

   50 Pour contrequarrer la raison,

        Pour faire aux Muses double outrage

        Car outre sa roque chanson,

        D’ecrire il luy prendra la rage

        J’entens, je vois l’antropophage

   55 Col d’autruche, sourcil froncé,

        Cuir jaune et de poil herissé,

        Nez creux, vray masque de Sabire,

        Bouche pour mordre et non pour rire,

        Tete pointue et court menton

   60 Jambes seches comme Ericton :

        Le frenetique s’associe

        Tous les ignares impudens

        Par qui le clinquant s’aprecie,

[f. 2v]

        Jeunes rimailleurs, vieux Pedans,

   65 Turbulente Démocratie

        Du faux gout sectateurs ardens,

        C’est du bruit seul qu’il se soucie ;

        Toute musique radoucie

        A ce fol fait grincer les dents

   70 Plus que la lime ni la scie.

        Si dans ses concers discordans

        Il reclame en vain l’Ausonie

        Qui le condamne ou le renie,

        Je vois venir à son secours

   75 Les compatriotes des ours.

        Vive le Marsias moderne

        Et les Iroquois qu’il gouverne !

        Tremblez Quinault tremblez Lully,

        Il va vous plonger dans l’oubli :

   80 Et si son merite aprocrife [sic]

        Tombe par un juste revers

        Nous l’occuperons aux Enfers,

        La lire jurant sous sa grife

        L’aigreur de ses barbares airs

   85 Comblera les tourmens divers

        D’Ixion, Tantale et Sisyphe


VARIANTES

Source B : Bibliothèque Historique de la Ville de Paris, MS 617, ff. 265-266v 

   Transcription de Graham Sadler, Patrons and Pasquinades: Rameau in the 1730s 

Source C : Lettre philosophique par Mr. de V** avec plusieurs piéces galantes et nouvelles de differens auteurs. nouvelle edition augmentée de plusieurs piéces, Londres, Aux dépens de la Compagnie, 1757, p. 36-40 

Introduction

l. 3 ; B, C : "traitté selon"

l. 6 ; B : "M" manque

l. 6 ; C : "de M Lully" manque

l. 7 ; C : "contente"

l. 7 ; B : "depuis recouvrée"

Texte

v. 8 ; B, C : "meslant leurs traits"

v. 10 ; B : "Collosse sec"

          C : "Une carcasse rembrunie"

v. 11 ; B : "d'un plus dur"

          C : "de son dur"

v. 22 ; C : le vers manque

v. 27 ; B, C : "éteint la source"

v. 34 ; C : "sale et nitreux"

v. 36 ; B : "que ronge"

v. 37 ; B, C : "qu'amaigrit"

v. 42 ; B, C : "s'accouplerent"

v. 50 ; B : le vers manque

v. 51 ; C : "Et faire aux Muses"

v. 56 ; C : "Air jaune"

v. 57 ; B, C : "masque de Satyre"

v. 71 ; C : "les concers"

v. 74 ; B, C : "il voit"

v. 86 ; C : "Et de Tantale et de Sysiphe."