Moréri

Louis MORÉRI, 1643-1680

Le Grand dictionnaire historique, ou le Mélange curieux de l'histoire sacrée et profane : qui contient en abrégé l'histoire fabuleuse des dieux & des héros de l'Antiquité payenne : les vies et les actions remarquables des Patriarches ; des Juges ; [...] des Empereurs ; des Rois ; des Princes illustres ; & des grands Capitaines : Des Auteurs anciens & modernes ; […] les Genealogies ; […] la Description des Empires […] le tout enrichi de remarques [...] tirées de differens Auteurs, & sur-tout du Dictionnaire critique de M. BAYLE

[titre de l'édition de 1732, Paris, Le Mercier]

    Le Grand dictionnaire historique de Moréri connut une quinzaine d’éditions de 1674 à 1759. Conçu d’un point de vue catholique, il connut bientôt un rival dans le Dictionnaire historique et critique de Pierre Bayle, qui fournit plus tard des « remarques » aux continuateurs de Moréri. C’est une source très riche pour l’histoire et la biographie, même si l’article sur Quinault répète – souvent textuellement – des informations déjà publiées par Perrault et par Ménage.

    Je ne sais pas dans quelle édition l’article sur Quinault parut pour la première fois. Il est absent de la troisième édition (1683) et date sans doute de quelques années après sa mort ; certaines informations, tirées des Hommes illustres de Perrault, seraient postérieures à la publication de cet ouvrage en 1696. Je donne d’abord la version de la dernière édition (1759), suivie de celle de 1732, moins complète mais qui ajoute le détail de Quinault domestique de Mondori, ce qui est sans doute une erreur.

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QUlNAULT (Philippe) poëte François, étoit d'une bonne famille. C'est ainsi qu’en parlent ses contemporains, qui devoient en être plus instruits que Furetiere, qui dans son factum contre l'académie, insinue qu'il étoit fils d'un boulanger de Paris. Plusieurs prétendent qu’il avoit été domestique de Tristan L’Hermite : il est du moins certain que ce fut sous ce maitre qu'il apprit à faire des vers. Quand tout ce qu'on a dit sur la prétendue bassesse de son extraction seroit vrai, Quinault n'en seroit que plus louable d'avoir su si bien réparer le tort de sa naissance, & acquérir par l'usage du monde une très-grande politesse, que ceux qui l'ont connu remarquerent toujours en lui. Il se fit connoitre avant l'âge de vingt ans par quelques piéces de théatre qui eurent assez de succès. Mêlant l'étude du droit à l'ardeur de rimer, il eut occasion de rendre service à un riche marchand de Paris qui mourut peu de temps après, & dont il épousa la veuve. Alors il acheta une charge d'auditeur en la chambre des comptes en 1671. ll avoit été reçu l'un des quarante de l'académie françoise l'année précédente. Il fut employé à faire des opéra, & excella en ce genre de poësie. Ses opéra sont, les Fêtes de l'Amour & de Bacchus, Cadmus & Hermione, Alceste, Thesée, Athis, Isis, Proserpine, le Triomphe de l'Amour, Persée, Phaèsiton, Amadis, Rolland, le Temple de la Paix, & Armide. Il eut l'honneur de haranguer le roi au nom de l'Académie françoise, au retour de ses campagnes de 1675 & de 1677. Lulli préféra Quinault à tous les autres poétes, parcequ'il trouvoit en lui seul réunies toutes les qualités qu'il cherchoit ; une oreille délicate pour ne choisir que des paroles harmonieuses, un gout tourné à la tendresse, pour varier en cent manieres les sentimens consacrés à cette espece de tragédie ; une grande facilité à rimer, pour être toujours prêt à servir le roi dans le besoin, & une docilité très-rare pour se conformer toujours aux idées du musicien. Sur la fin de sa vie il eut regret d'avoir donné son temps à faire des opéra, & prit la résolution de ne plus composer de vers qu'à la gloire de Dieu & du roi de France. ll commença par un poeme sur l'extinction de la religion réformée dans le royaume, dont voici les quatre premiers vers :


Je n'ai que trop chanté les jeux & les amours ;

Sur un ton plus sùhlime il me faut faire entendre.

Je vous dis adieu, Muse tendre,

Je vous dis adieu pour toujours.

ll mourut le 26 novembre 1688, âgé de 53 ans. Il avoit composé pour lui-même l'épitaphe suivante, pour être mise sur son tombeau après sa mort :


Passant, arrête ici pour prier un moment ;

C 'est ce que des vivans les morts peuvent attendre.

Quand tu seras au monument,

On aura soin de te le rendre.

Outre ses opéra, il a fait encore seize piéces de théatre qu'il donna avant l'âge de trente ans, savoir : les Rivales, comédié en 1653. L'amour indiscret ou le maître indtscret, comédie, en 1654. La comédie sans comédie, en 1654. La généreuse ingratitude, tragicomédie, en 1654. La mort de Cyrus, tragédie, en 1656. Le mariage de Cambyse, tragi-comédie, en 1656. Stratonice, trqgi-comédie, en 1657. Les coups de l’amour & de la fortune, tragi-comédie, en 1657. Amalasonte, tragédie, en 1658. Le feint Alcibiade, tragi-comédie, en 1658. Le fantôme amoureux, tragi-comédie, en 1659. Agrippa, ou le faux Tiberinus, tragi-comédie, en 1660. Astrate, roi de Tyr, tragédie, en 1663. La mere coquette, ou les amans brouillés, comédie, en 1664. Bellérophon, tragédie, en 1665. Pausanias, tragédie, en 1666. Toutes ces piéces sont en vers & en cinq actes. M. Quinault est encore auteur de quelques poësies d'un autre genre, entr’autres de quelques épigrammes, où l'on voit qu'il badinoit agréablement, & de la description de la maison de Sceaux de M. Colbert, petit poëme écrit avec beaucoup d’esprit & de délicatesse. Il avoit composé aussi une pastorale sous les noms de Lysis & d'Hespérie, au sujet de la négociation de la paix & du mariage du roi Louis XIV. Cette piéce fut composée de concert avec M. de Lyonne, ministre & secrétaire d'état pour les affaires étrangeres, sur les mémoires que fournit le cardinal Mazarin. On la représenta au Louvre devant leurs majestés le 9 de décembre 1660 ; mais elle n’a pas été imprimée. Pendant que Quinault travailloit à un opéra, dont le roi lui avoit prescrit le sujet, il fit ces jolis vers, où il dit que l'opéra le plus difficile à son gré, ce n'est pas celui que le roi lui demande, mais d’avoir cinq filles à marier :


C'est avec peu de bien un terrible devoir

De se sentir pressé d être cinq fois beau-pere.

Quoi ! cinq actes devant Notaire,

Pour cinq filles qu'il faut pourvoir !

O ciel ! Peut on jamais avoir

Opéra plus fâcheux à faire ?

Plaisanterie toute pure : car M. Quinault étoit riche. Sa femme lui avoit apporté plus de cent mille écus ; le roi lui donnoit deux mille livres de pension, & Lulli, pour chaque opéra, quatre mille livres. Trois de ses filles ont été religieuses, & deux avantageusement mariées. Il n'avoit point de fils.

* Mém. histor. Journal des savans du 23 Mars 1665. Voyez ce qu’en dit Baillet dans les jugemens des savans sur les poëtes modernes. Boileau Despreaux, dans la préface de ses œuvres satyr. 2. & 3. Bocheron, vie de Quinault.

Grand dictionnaire historique, Paris, Les Libraires Associés, 1759, t. VIII, p. 695

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QUlNAULT (Philippe) poëte François, étoit d'une bonne famille. C'est ainsi qu’en parlent ses contemporains, qui devoient en être plus instruits que Furetiere, qui dans son factum contre l'académie, insinue qu'il étoit fils d'un boulanger de Paris ; & que Bayle, dans son dictionnaire critique, à l’article de Tristan l’Hermite, écrit que l’on dit que Quinault avoit été domestique de Mondori, fameux comédien ; et que c’étoit sous ce maître qu’il avoit appris à faire des vers. Quand cela seroit, Quinault n'en seroit que plus louable d'avoir su si bien réparer le tort de sa naissance, & acquérir par l'usage du monde une très-grande politesse, que ceux qui l'ont connu remarquerent toujours en lui. Il se fit connoitre avant l'âge de vingt ans par quelques piéces de théatre qui eurent assez de succès, mêlant l'étude du droit à l'ardeur de rimer, il eut occasion de rendre service à un riche marchand de Paris qui mourut peu de temps après, & dont il épousa la veuve. Alors il acheta une charge d'auditeur en la chambre des comptes en 1671. ll avoit été reçu l'un des quarante de l'académie françoise l'année précédente. Il fut employé à faire des opéra, & excella en ce genre de poësie. Ses opéra sont, les Fêtes de l'Amour & de Bacchus, Cadmus & Hermione, Alceste, Thesée, Athis, Isis, Proserpine, le Triomphe de l'Amour, Persée, Phaèsiton, Amadis, Rolland, le Temple de la Paix, & Armide. On a encore de lui seize piéces, tant tragédies que comédies. Il avoit composé pour lui-même l'épitaphe suivante, pour être mise sur son tombeau après sa mort :

Passant, arrête ici pour prier un moment ;

C'est ce que des vivans les morts peuvent attendre.

Quand tu seras au monument,

On aura soin de te le rendre.

Il eut l'honneur de haranguer le roi au nom de l'Académie françoise, au retour de ses campagnes de 1675 & de 1677. Sur la fin de sa vie il eut regret d'avoir donné son temps à faire des opéra, & prit la résolution de ne plus composer de vers qu'à la gloire de Dieu & du roi de France. ll commença par un poeme sur l'extinction de la religion réformée dans le royaume, dont voici les quatre premiers vers :

Je n'ai que trop chanté les jeux & les amours ;

Sur un ton plus sublime il me faut faire entendre.

Je vous dis adieu, Muse tendre,

Je vous dis adieu pour toujours.

ll mourut le 26 novembre 1688, âgé de 53 ans.

* Mém. histor. Journal des savans du 23 Mars 1665. Voyez ce qu’en dit Baillet dans les jugemens des savans sur les poëtes modernes. Boileau Despreaux, dans la préface de ses œuvres satyr. 2. & 3.

Grand dictionnaire historique, Paris, Le Mercier, 1732, t. V, p. 415