Serré de Rieux

Jean Serré de Rieux, 1688-1747,  était un grand amateur de la musique italienne.  La Musique, poëme divisé en quatre chants, par Monsieur D…, parut à Lyon chez André Laurens en 1714, une dizaine d'années après La Comparaison de la musique italienne et de la musique française de Lecerf de la Viéville. Le poème fut repris dans Les Dons des enfants de Latone : La Musique et La Chasse du cerf. Poëmes dédiés au Roy, Paris, Prault/Desaint/Guerin, 1734, p. 74-75, et plusieurs autres fois aux XVIIIe et XIXe siècles.

 

Le poème s’adresse à Damis, qui n’aime que la musique de Lully, trouvant la musique italienne extrême et manquant de bon sens. Serré de Rieux passe en revue l’histoire de la musique, à partir de Lassus ; il trouve beaux les airs de Boësset, de Camus et de Lambert, mais pour lui, c’était « le goût français dans son adolescence ». Enfin Lully vint, et après les ballets d’une « insipide action », créa « un pompeux opéra ». « Modèle achevé … Les Muses à jamais ont consacré sa gloire », mais il doit la partager avec Quinault.

Mais à quelque degré que son Art l'ait porté,

QUINAULT doit partager son immortalité.

Ces mouvemens secrets d'horreur, de jalousie,

Dont l'image épouvante, & dont l'ame est saisie,

Ne se doivent pas moins à la force des vers,

Aux situations, aux spectacles offerts.

Du stile Ingenieux, de la sage conduite,

Du jeu de qui la scêne emprunte son mérite,

Naissent les doux transports, dont le beau sexe épris

Aux plus vulgaires sons donnent souvent le prix.


L'OPERA de deux soeurs est le sçavant ouvrage,

Où l'effort de leur Art à l'envi se partage ;

MELPOMENE d'un stile & libre & peu chargé

Y doit peindre un sujet sagement menagé.

A bien rendre le sens POLIMNIE attachée

Doit moduler des sons dont l'ame soit touchée.

Quand on peut allier leurs differens appas,

Quels charmes cet accord ne rassemble-t'il pas ?

Mais comment MELPOMENE, à des chants asservie,

Peut-elle soûtenir une intrigue suivie ?

L'OPERA n'est au fond qu'un Poëme imparfait,

Ce n'est que par lambeaux qu'on saisit le sujet.

Les divertissemens dont chaque acte se pare ;

Harmonieux détours où nôtre esprit s'égare,

Par leurs jeux imprévûs coupent l'évenement,

Avec peine on le suit ; le plus beau dénouement

Où souvent l'action brusquement se termine,

Ne se doit qu'au secours d'un Dieu dans sa machine.


QUINAULT seul de cet Art pénétra les secrets,

Tous les mots pour les sons semblent s'offrir exprès,

Sa diction toûjours facile & naturelle,

Trace de sa pensée une image fidelle.

Ce qu'il conçoit s'explique avec fécondité,

Son tour est doux, lyrique, & n'est point emprunté.

Son DIALOGUE est plein de justes reparties :

Enfin c'est par QUINAULT qu'animé, soûtenu,

Au comble de son Art BATISTE est parvenu;

Sans BATISTE, QUINAULT n'eût point atteint la Place

Qu'avoüé des neuf soeurs il ocupe au Parnasse ;

Mais leurs rares talens l'un par l'autre embellis

Du Théatre harmonique éternisent le prix.

Édition de 1714, p. 9-10

Un peu plus loin, au Chant II, p. 12, on lit :

Imitez de QUINAULT le stile gracieux,

La vive netteté, le tour ingénieux.

Empruntez, s'il se peut, le feu de ses repliques ;

Que vos vers soient formez de mots doux, & lyriques.


Le reste du Chant II est consacré à des compositeurs comme Desmarest et Marin Marais, qui s'écartent peu de la voie tracée par Lully.  Serré de Rieu aurait préféré un style plus proche de celui de la musique italienne, qu'il décrit au Chant III. Au Chant IV, il insiste sur l'importance de l'harmonie et loue des musiciens comme Charpentier et Leclair.