Gaston Bizos

  Cet article parut dans la Revue d’Art Dramatique, t. XXII, avril-juin 1891, p. 129-154. Une note à la première page le présente comme « Leçon d’ouverture du cours de littérature française, qui devait être professé en 1891 aux facultés d’Aix et de Marseille ». Bizos (1848-1994) était chargé de cours, puis professeur et doyen à Aix-en-Provence à partir de 1878.

  Il est vrai, comme le dit William Brooks dans sa Bibliographie critique, que « le lecteur moderne n’y trouvera rien d’essentiel » (p. 68), que les commentaires sur les œuvres de Quinault sont peu profonds et que la plupart des anecdotes sont tirées de la Vie imprimée de Boscheron. Bizos parle éloquemment de « la tournure élégante et la cadence harmonieuse » des vers de Quinault, mais il donne peu d’exemples. Il suggère, vers la fin, que Lully a beaucoup appris de Quinault, que le librettiste a pu lui « imposer » certaines caractéristiques de sa musique, mais il ne va pas plus loin.

  Cependant, il est intéressant de voir comment Bizos utilise ses sources, aussi bien que celles plus tardives, comme Voltaire, Parfaict, La Harpe et Marmontel, en y ajoutant des citations de plusieurs études du dix-neuvième siècle : Deltour, Crapelet, Géruzez, Magnin, Chouquet, Godefroy, pour intégrer la tragédie en musique dans l'histoire de la musique et du théâtre. Le résultat est une bonne vue d’ensemble des études quinaldiennes avant Étienne Gros. (Pour ces oeuvres, voir la Bibliographie).

  Certaines remarques de Bizos peuvent nous surprendre. Il a raison de souligner le succès de Quinault, sa place prééminente entre Corneille et Racine, mais « considéré par ses rivaux comme un chef d’école » ? Bizos est un des premiers à insister – avec raison – sur l’influence de Quinault (pièces parlées et livrets) sur Racine, mais il est étonnant de lire que « La Thébaïde, représentée en 1664, n’est qu’un essai de jeunesse visiblement imité de l’Astrate », surtout puisque la pièce de Quinault ne fut créée qu’en janvier 1665.

     Les notes entre parenthèses sont de Bizos ; c'est moi qui ai ajouté celles entre crochets.


PHILIPPE QUINAULT


  Messieurs, Jean-Baptiste Lully et Philippe Quinault, dont l’heureuse collaboration a créé l’opéra français et doté notre littérature de belles tragédies lyriques, sont nés, à quelques mois de distance, l’un à Florence en 1633, l’autre à Paris en 1635. Ils étaient tous les deux d’une humble origine. Lully, venu d’Italie en France à l’âge de treize ans, sans doute dans quelque troupe de musiciens ambulants, entra chez Mlle de Montpensier en qualité de marmiton et passa ensuite parmi les violons de cette princesse. Quinault, comme il appert des registres de la paroisse Saint-Eustache, où il fut baptisé, était fils de Thomas Quinault et de Perrine Riquier, qui tenaient une boulangerie dans la rue de Grenelle. Lorsque le musicien et le poète devinrent des personnages, ils ne manquèrent pas d’envieux, qui se plaisaient à leur reprocher la bassesse de leur extraction. On comprend qu’il ait été malicieux et piquant d’objecter le vieux dicton populaire, la caque sent toujours le hareng, à Lully, fourbe et cupide, fanfaron et débauché, mauvais ami, courtisan souple et flatteur, habile à établir sa fortune sur la ruine de ses concurrents. Mais aux yeux des gens équitables quelle valeur pouvait avoir le reproche d’être sorti d’une famille obscure adressé à Quinault, doux et modeste, honnête homme, d’une bienveillance charitable et d’une vertu sincère ? Aussi, quand Furetière, exclu du sein de l’Académie et recueillant toutes les particularités qui pouvaient déconsidérer ses anciens confrères, appelait dédaigneusement Quinault le fils du boulanger, Ménage lui répliquait avec beaucoup de raison : « Depuis que Plaute a été valet d’un boulanger, comme on le sait, ce n’est plus un grand déshonneur ni une tache essentielle à un poète d’en être descendu. Les poètes ne tirent leur extraction que de la beauté de leurs ouvrages, et c’est là qu’il faut aller chercher leur noblesse. »

     Le futur auteur d’Armide se fit remarquer, dès l’âge le plus tendre, par une vive intelligence, par le goût du travail, par l’amour des lettres et de la poésie. Mais la pauvreté de ses parents menaçait de rendre inutiles ces belles qualités, lorsque le jeune Quinault eut le bonheur d’attirer l’attention de Tristan l’Hermite, qui le prit en amitié et voulut bien l’associer à l’éducation qu’il donnait lui-même à son fils unique. C’était une originale et bizarre figure que celle de ce poète, qui ne ressemble guère au fameux prévôt de Louis XI, dont il prétendait être le descendant. Il avait le cœur bon, la tête légère, l’esprit élégant et facile. Son père, gentilhomme campagnard chargé de famille et ruiné par les procès, l’avait envoyé de bonne heure à Paris chez sa marraine qui l’avait placé comme page auprès du petit marquis de Verneuil, fils naturel de Henri IV. Tristan a raconté dans des mémoires intitulés le Page disgracié les aventures désordonnées de son enfance et de sa première jeunesse. Il avait publié quelques recueils de vers, lorsqu’à l’âge de trente-quatre ans il débuta d’une manière éclatante au théâtre par sa tragédie de Marianne dont la vogue balança le succès du Cid. La Marianne était l’œuvre spontanée d’une facile nature, qui malheureusement fut rebelle au travail. Tristan avait reçu d’heureux dons, une inspiration élevée, un souffle vraiment tragique, des audaces inconscientes pleines de grandeur. Si l’art est absent de son style, si la souplesse et les nuances, que la patience et la réflexion produisent seules, y sont rares, le poète, par un précieux instinct, rencontre des expressions saisissantes, des images vigoureuses, des traits brillants, des vers francs et concis, qui rompent la monotonie d’une trame trop souvent lâche et molle. Le désordre d’une vie inconstante et libertine brisa ces belles espérances. Comment Tristan aurait-il pu acquérir l’expérience et former sa langue dramatique au milieu des excès de tout genre auxquels il se livrait. Panthée, la Mort de Sénèque, la Chute de Phaéton, la Mort de Crispe, et la comédie du Parasite marquent qu’au lieu d’avancer il rétrograda. Ce n’est pas qu’on ne trouve encore dans ces pièces quelques personnages heureusement esquissés et des vers bien frappés. Tristan parle ainsi d’un héros succombant au sein de la victoire :

Et, lorsqu’il est tombé sanglant sur la poussière,

Les mains de la Victoire ont fermé sa paupière.

Dans la Mort de Sénèque le rôle du philosophe est tracé avec énergie. Son langage rappelle plus d’une fois la forte Vérité de Tacite. Fallait-il, dit Sénèque à son disciple Néron,

Que tes rares bienfaits

M’élevassent ainsi plus haut que mes souhaits,

Et que ton amitié donnât à ma fortune

Tant de lustre et d’éclat qu’elle m’en importune ?

Mon jugement s’égare en ces biens superflus :

Je m’y cherche moi-même et ne m’y trouve plus.

Sénèque mourant salue l’aurore du Christianisme et invoque le Dieu nouveau :

Alors, levant les yeux,

Il a dit, en poussant sa voix faible et tremblante,

Dans le creux de sa main prenant de l’eau sanglante,

Qu’à peine il a jetée en l’air à sa hauteur :

Voici ce que je t’offre, ô Dieu libérateur,

Dieu, dont le nouveau bruit a mon âme ravie,

Dieu, qui n’es rien qu’amour, esprit, lumière et vie,

Dieu de l’Homme de Tarse, où je mets mon espoir :

Mon âme vient de toi, veuille la recevoir.

     Dans la même pièce Epicharis est menacée par Néron du supplice, si elle ne révèle pas la conspiration. Elle s’écrie :

Je le dédaigne !

Menace-moi plutôt de vivre sous ton règne !

Mais ce sont là des beautés isolées. Nul ne fut plus que Tristan coupable envers lui-même. Les contemporains le représentent vivant au jour le jour, mal logé et mal nourri, se hâtant d’aller jouer l’argent qu’il tirait des odes et des sonnets écrits à la louange du premier venu capable de les payer. Il a peint sa misère dans une épigramme pleine d’une mélancolique franchise :

Ebloui de l’éclat de la splendeur mondaine,

Je me flattai toujours de l’espérance vaine,

Faisant le chien couchant auprès d’un grand seigneur.

Je me vis toujours pauvre et tâchai de paraître.

Je vécus dans la peine attendant le bonheur,

Et mourus sur un coffre en attendant mon maître.

     Cette vie misérable usa le talent et la santé de Tristan, mais n’entama pas la bonté de son cœur. Ce coureur de tripots et de brelans, ce joueur incorrigible, ce poète famélique, fut le plus tendre des pères et le plus dévoué des amis. Il ne tarde pas à considérer Quinault comme son propre enfant, il l’instruit, il le guide dans ses lectures, il lui apprend à faire des vers, il encourage ses dispositions naturelles pour la poésie, il le voit avec joie recueillir le fruit de ses leçons, et, quand à l’âge de seize [sic] ans, en 1653, Quinault écrit sa première pièce, la comédie des Rivales, Tristan ne veut pas que son élève présente lui-même son ouvrage, de peur que l’extrême jeunesse de l’auteur n’excite la raillerie et ne devienne le prétexte d’un refus : il l’offre donc sous son nom aux comédiens, qui le reçoivent immédiatement et en fixent le prix à cent écus. « Alors, lisons-nous, dans l’Histoire du Théâtre-Français [Parfaict], Tristan leur apprit que cette comédie n’était point de lui, mais d’un jeune homme appelé Quinault, qui avait beaucoup de talents. Cet aveu fit rétracter les comédiens du prix qu’ils avaient offert. Ils dirent à Tristan que la comédie, dont il avait fait lecture, n’étant point de sa composition, ils ne pourraient hasarder plus de cinquante écus sur sa réussite. Tristan insiste en vain pour faire revenir les comédiens à leur première proposition ; enfin il s’avisa d’un expédient pour concilier les intérêts de ces derniers et de Quinault ; il proposa d’accorder à l’auteur de la comédie le neuvième de la recette de chaque représentation pendant le temps que cette pièce serait représentée dans sa nouveauté et qu’ensuite elle appartiendrait aux comédiens. Ce moyen fut accepté de part et d’autre et parut si judicieux qu’à commencer à la comédie des Rivales les comédiens et les auteurs ont suivi cette règle pour toutes les pièces tragiques et comiques. »

Ce premier ouvrage de Quinault fut favorablement accueilli du public. Ce n’était qu’un médiocre imbroglio déjà mis à la scène par Rotrou. On pardonna volontiers au jeune auteur la banalité du sujet et la faiblesse de l’intrigue à cause d’un dialogue vif, de quelques traits spirituels, et surtout de la versification, dont on goûta la tournure élégante et la cadence harmonieuse. L’année suivante Quinault fit jouer, sous le titre de la Généreuse Ingratitude, une tragi-comédie pastorale, dont la scène se passe dans une forêt près de la ville d’Alger. Cette pièce plut aux spectateurs par ses défauts mêmes, la fadeur italienne mêlée au romanesque espagnol, la galanterie maniérée, les pointes précieuses. Dans un troisième ouvrage, l’Amant indiscret ou le Maitre étourdi, comédie en cinq actes et en vers représentée en 1654, on loua les progrès sensibles que ne cessait de faire le style de Quinault : on le trouva d’une voix unanime plus gai, plus comique, plus alerte que précédemment.

     Cependant les meilleurs amis du poète et Tristan lui-même l’exhortaient à ne pas se laisser enivrer par les applaudissements. Ils lui objectaient la mobilité d’un public volage et capricieux, l’avarice des comédiens, la situation périlleuse des auteurs, qui n’avaient que leur plume pour gagne-pain. Quinault, âme candide et cœur docile, prêta l’oreille à leurs avertissements, et, suivant leur conseil, entra chez un avocat, pour y étudier « quelque chose de plus solide que le théâtre. » Comme il joignait à une rare facilité une grande application, il put, sans cesser d’écrire pour la scène, acquérir rapidement de sérieuses connaissances juridiques : c’est du moins ce que tend à prouver une anecdote, que Charles Perrault, dans le premier volume des Hommes illustres de la France, raconte en ces termes : « Un jour, l’avocat chargea Quinault de mener une de ses parties, gentilhomme d’esprit et de mérite, chez son rapporteur pour l’instruire de son affaire ; le rapporteur ne s’étant pas trouvé chez lui et ne devant revenir que fort tard, Quinault proposa au gentilhomme de le mener à la comédie en attendant, et lui promit de le bien placer sur le théâtre. A peine y furent-ils que tout ce qu’il y avait de gens de la plus haute qualité vinrent embrasser M. Quinault et le féliciter sur la beauté de sa pièce, l’Amant Indiscret, qu’ils venaient voir représenter, à ce qu’ils disaient, pour la troisième ou la quatrième fois. Le gentilhomme, étonné de ce qu’il entendait, le fut encore bien davantage, quand on joua la comédie, où le parterre et les loges retentissaient sans cesse des applaudissements qu’on lui donnait. Quelque grande que fût sa surprise, elle fut encore tout autre, lorsqu’étant chez son rapporteur il entendit Quinault lui expliquer son affaire avec une netteté incroyable, mais avec des raisons si solides qu’il ne douta presque plus du gain de la cause. »

     Quinault venait de faire jouer en 1655 la Comédie sans Comédie, sorte de poème dramatique hybride, dans lequel se trouvent réunies une pastorale, une comédie, une tragédie, une tragicomédie ornée de machines et de chants, lorsqu’il eut la douleur de perdre Tristan. La reconnaissance de Quinault avait tout fait pour rendre moins amers les derniers jours de son maître désespéré de la mort de son fils unique, accablé par la maladie, pressé par la pauvreté au point qu’il n’aurait peut-être pas eu un toit pour mourir s’il n’eût été recueilli à l’hôtel de Guise. C’est là que Quinault vint s’établir auprès de lui, cherchant à lui tenir lieu du fils qu’il pleurait et lui prodiguant les soins les plus tendres jusqu’au jour où il rendit le dernier soupir dans les bras de son fidèle disciple. « Tristan, disait le duc de Montausier, a laissé son esprit à Quinault ; il aurait bien voulu lui léguer son manteau, mais il n’en avait pas. » Il faut, ce semble, ne pas prendre cette réflexion à la lettre : car nous savons que Tristan avait laissé par testament à Quinault une somme d’argent, qu’il ne voulut pas accepter et qu’avec sa délicatesse et son désintéressement ordinaires il fit transmettre aux parents de son bienfaiteur, quoiqu’ils l’eussent depuis longtemps délaissé et comme oublié.

   Le grand chagrin que Quinault éprouva de la mort de Tristan, ne le détourna pas d’écrire pour le théâtre. En 1656 il aborda la tragédie avec la Mort de Cyrus, qui avait été précédée, dans la même année, d’une pièce toute espagnole par le sujet et par les personnages, les Coups de l’Amour et de la Fortune. De 1656, où parut la première tragédie de Quinault, jusqu’en 1667, où Racine par l’éclatant succès d’Andromaque prendra possession du sceptre tragique, s’écoule une période de dix ans pendant lesquels l’affaiblissement et le silence de Corneille permettent à Quinault de régner presque sans partage sur notre scène et d’y faire applaudir ces tragédies romanesques et galantes, qui sont l’image de la société et comme le miroir où les salons à la mode se reconnaissent et s’admirent. « Sans doute, dit un critique, les beaux jours de l’Hôtel de Rambouillet étaient passés ; mais l’esprit précieux vivait toujours, et chez les nobles dames qui avaient fréquenté l’illustre cercle et chez les écrivains qui y avaient puisé leurs inspirations. D’ailleurs, à Paris et dans les provinces, d’autres cercles s’étaient formés qui avaient conservé, en les outrant, les traditions du fameux Hôtel ; c’est à ceux-là que Molière, dans ses Précieuses ridicules, affectait de restreindre ses critiques. Depuis vingt ans, le bel esprit régnait dans la poésie ce n’étaient que madrigaux, stances, sonnets, rondeaux, pièces fades et prétentieuses, dont le sujet éternel était la galanterie. Les longs poèmes épiques de Chapelain, de Scudéry, de Saint-Sorlin étaient encore dans leur nouveauté ; enfin on dévorait les interminables romans de la Calprenède et ceux de Me de Scudéry ; le Pharamond, la Cléopâtre, le Cyrus, la Clélie étaient les délices de Paris et des provinces, l’école de la galanterie et de l’amour, le code du bon ton, des beaux sentiments, et du langage » [Deltour, p. 6].

Corneille, que l’échec de Pertharite en 1653 avait chassé du théâtre où il ne devait reparaître que six ans plus tard, avait, même dans sa décadence, trop de grandeur originale et n’avait pas assez de souplesse obéissante pour se charger d’imposer à la tragédie le goût de l’époque et la domination des romans. Ce rôle échut à Quinault. Il emprunte les sujets de ses tragédies aux ouvrages de Mlle de Scudéry et de la Calprenède ; il prend, comme les modèles qu’il imite, à l’antiquité ou aux premiers âges de l’invasion des Barbares les noms de ses personnages, mais il leur donne le langage et les sentiments des ruelles. Dans la Mort de Cyrus la reine sauvage des Massagètes compose des madrigaux pour le charmant ennemi qu’elle aime et le héros renchérit sur le ton dameret et sur les passions doucereuses, que Mademoiselle de Scudéry lui attribue. La reine des Ostrogoths, Amalasonte, qui donne son nom à une tragédie représentée en 1657, est une précieuse plus raffinée que les habituées du salon bleu d’Arthénice, et Théodat, le prince cruel et lâche, est transformé en amant délicat et discret, qui vient en droite ligne du pays du Tendre. Dans le Mariage de Cambyse et dans le Feint Alcibiade tout, à l’exception des noms des principaux acteurs, est de l’invention du poète, qui, disposant en maître des événements, des lieux et des dates, continue à changer selon son caprice les caractères et semble vouloir les ramener de plus en plus à un type unique, celui des bergers de l’Astrée et des beaux esprits du Grand Cyrus. Qu’on lise la tragi-comédie de Stratonice : c’est vraiment là que

Jusqu’à je vous hais tout se dit tendrement.

Agrippa, roi d’Albe ou le faux Tibérinus, qui parut en 1661, obtint un grand succès et devait se maintenir longtemps au théâtre, « Le sujet, dit la Harpe, est dans le goût romanesque. Il est vrai que la pièce est intitulée tragi-comédie ; mais il n’en est pas moins extraordinaire que l’intrigue d’un drame sérieux ait le même ressort que celle des Ménechmes. Rien ne fait mieux voir combien on fait de chemin dans tous les arts avant de trouver le naturel et le vrai beau et combien la contagion du goût espagnol et cet amour du merveilleux, cette mode des romans mis en action luttèrent longtemps contre les vrais principes de l’art et les leçons des grands hommes. » Enfin l’année 1663 marque l’apogée de la vogue dont Quinault a joui sur la scène tragique. Les spectateurs, dont l’affluence fut telle que les comédiens doublèrent les prix des places, accueillirent avec enthousiasme cette fameuse tragédie d’Astrate, que les traits de Boileau n’empêchent pas d’être une œuvre intéressante et pathétique. La reine de Tyr, éprise du fils du roi légitime qu’elle a détrôné et fait périr, paraît trop souvent un personnage sans caractère, « dont la bonté va jusqu’à la faiblesse, dont la conduite est indécise, et dont la tendresse forme une disparate trop forte avec les crimes qu’elle a commis » [La Harpe]. D’autre part Astrate est un héros infiniment plus élégiaque que tragique ; tout, quand il est question de vengeance, se passe en conversations langoureuses ; les acteurs se lamentent et n’agissent point ; l’intrigue se noue sans vigueur et se développe sans vraisemblance ; rien ne paraît sérieux dans les périls, auxquels le héros est exposé, et le dénouement, que le poète s’imaginait être très émouvant, n’excite ni la terreur ni la pitié : car, comme on l’a dit à juste titre, la reine qui s’empoisonne a l’air de mourir uniquement pour tirer d’embarras le jeune prince qu’elle adore et qu’elle ne peut plus, après la révélation de ses crimes, couronner en l’épousant. Mais des scènes, dont le fond est théâtral, des ressorts heureusement inventés et spirituellement arrangés, un ton noble, une versification harmonieuse, de la grâce et de la mélancolie, un combat touchant de la nature et de l’amour, une galanterie élégante et chevaleresque, une langueur pénétrante et plaintive, des accents passionnés et des sentiments délicats expliquent l’éclatante réussite de cette tragédie.

     Après Polyeucte et la Mort de Pompée, Corneille avait écrit le Menteur, après Astrate, Quinault écrivit, en 1665, la Mère Coquette ou les Amants brouillés, comédie aimable, bien conduite, dont les caractères et le style sont d’une touche assez naturelle, et dans laquelle Molière et Regnard ne se gêneront point pour reprendre leur bien. On y voit en effet un père sottement rival de son fils, comme dans l’Avare, un marquis ridicule, avantageux et poltron, sur qui celui du Joueur semble avoir été modelé, particulièrement dans la scène où il refuse de se battre, deux jeunes et charmants amoureux, qui font songer au bouillant Valère et à la gracieuse Isabelle de l’École des Maris. L’Agnès et l’Isabelle de Molière n’ont jamais rien dit de plus joli à Horace et à Valère que ce billet écrit par Acaste pour la jeune fille de Quinault :

Je voudrais vous parler et nous voir seuls tous deux.

Je ne conçois pas bien pourquoi je le désire.

Je ne sais ce que je vous veux :

Mais n’auriez-vous rien à me dire ?

Si le caractère de la mère coquette n’est pas développé aussi largement que le titre de la pièce semble l’annoncer, il s’exprime par des traits spirituels et vifs, comme celui-ci, qui résume toute la comédie :

Une fille à seize ans défait bien une mère.

Le rôle du valet Champagne, cupide et fripon, contient quelques plaisanteries excellentes. On lui donne un diamant pour affirmer que le mari de la mère coquette est mort dans les Indes, quoiqu’il n’en soit rien. Il doute de la qualité du diamant, il demande s’il n’est pas faux ; on le lui garantit ; il s’écrie plaisamment.

Enfin, s’il n’est pas bon, le défunt n’est pas mort !

L’Astrate avait tiré des larmes de tous les yeux ; la Mère coquette fit rire tout le monde, excepté le futur rédacteur du Mercure Galant, où il sera le Zoïle de Molière et de Racine, Donneau de Visé, pour le moment petit rimeur à peine échappé du séminaire, mauvais auteur de fades pastorales et de froides comédies. Il se mit à faire grand bruit à propos de la Mère coquette, dont il prétendait que Quinault lui avait dérobé la conduite et le plan, les meilleurs incidents et les principaux personnages. Il voulut de son côté présenter sa pièce au public : sa Mère coquette n’eut pas la chance pour elle : car elle eut l’air d’être tout simplement le canevas de celle de Quinault. Les spectateurs et les critiques furent d’accord pour déclarer que, quand même on accorderait à de Visé l’invention du sujet de la Mère coquette il n’en mériterait guère de gloire, n’en ayant fait usage que pour composer une comédie triste, mal versifiée, peu intéressante. L’œuvre de Quinault fut jugée être d’un maître, celle de son prétentieux antagoniste d’un écolier.

A trente et un ans Quinault était un poète heureux. Auteur favori des loges et du parterre, recherché et flatté par les comédiens qu’il enrichissait au point que depuis les représentations de l’Astrate on les appelait de petits Crésus, il était considéré par ses rivaux comme un chef d’école. Tous les écrivains, qui se hasardaient au théâtre, suivaient son exemple ; la Clotilde et le Frédéric de l’abbé Boyer, le Thrasybule de Montfleury, l’Ostorius de l’abbé de Pure, les nombreuses tragédies de Thomas Corneille, la Bérénice, le Darius, le Stilicon, le Gamma, sont, par le choix des sujets et des personnages, par les intrigues romanesques, par les fadeurs amoureuses et galantes, calqués sur les pièces de Quinault. Le grand Corneille lui-même n’échappa point à la contagion. « Quoiqu’il se fasse illusion et qu’il se plaigne du goût de ces délicats qui veulent de l’amour partout, il est certain que toutes ses dernières tragédies, depuis Oedipe jusqu’à Suréna, sont remplies de petites intrigues amoureuses. Il a défiguré par les scènes de la plus froide galanterie le terrible sujet d’Oedipe ; il est de règle dans ses pièces que même un vieux soldat comme Sertorius, même un ambitieux comme Othon, même le farouche Attila portent les chaînes de quelque noble dame et qu’aux calculs de leur politique se mêlent les intérêts de leur amour » (Deltour, les Ennemis de Racine).

Si les succès de Quinault, conformes au goût du temps, affadissent le génie encore vigoureux de Corneille et le condamnent à la décadence en lui imposant des conditions contraires à sa nature, ils exercent leur influence sur les débuts de Racine. La Thébaïde, représentée en 1664, n’est qu’un essai de jeunesse visiblement imité de l’Astrate. La passion d’Antigone et d’Hémon et l’insupportable rivalité de Créon et de son fils amènent un langage clair et coulant, souvent recherché, qui a la douceur de celui de Quinault sans avoir plus de force et d’expression (ibid.).

     Cependant il arriva fatalement à Quinault ce qui était arrivé à Corneille et ce qui arrivera bientôt à Racine. Les auteurs dramatiques se lassèrent de voir toute la faveur du public s’attacher aux ouvrages de l’heureux poète ; on fut jaloux de sa renommée et de sa fortune ; on forma contre lui des cabales, on répandit d’abord en secret, puis ouvertement, des critiques dont les effets ne tardèrent pas à se faire sentir. Les uns, comme de Visé, s’efforcèrent d’accréditer cette opinion que Quinault manquait d’originalité et ne vivait que de plagiats ; les autres lui reprochaient de n’avoir ni lu l’histoire, ni étudié le génie des nations ; les admirateurs de Corneille firent, avant Boileau, campagne contre les héros damerets et contre ces tragédies, où, selon Saint-Evremond, on désirait souvent de la douleur et on ne trouvait qu’une tendresse langoureuse. Somaize, dans son Dictionnaire des Précieuses, traçait de Quinault ce portrait railleur : « C’est un jeune auteur dont je ne dirai pas grand’chose, parce que je ne crois pas qu’il y en ait beaucoup à dire de lui, tout le monde commençant assez à savoir quel il est, que les Précieuses l’ont mis au monde, et que, tant qu’il a trouvé jour à débiter la bagatelle il a eu une approbation plus générale qu’elle n’a été de longue durée. Il pille si adroitement les vers et les incidents de ceux qui l’ont devancé qu’on l’a souvent cru l’auteur de ce qu’il s’était adapté. Ce n’est pas qu’il n’ait de l’esprit, qu’il n’invente quelquefois, mais il lui faut pardonner, cela n’arrive pas souvent.... Il est plus grand que petit, et, si l’on ne savait parfaitement la mort du roi d’Ethiopie, on le prendrait aisément pour lui : car il est noir de visage. Il a la main fort grande et fort maigre, la bouche extraordinairement fendue, les lèvres grosses et de côté, la tête fort belle, grâce au secours du perruquier, qui lui en fournit la plus belle partie. Sa conversation est douce, et il ne rompt jamais la tête à personne, parce qu’il ne parle presque point que lorsqu’il récite quelques vers. Ses yeux sont noirs et enfoncés, pétillant et sans arrêt. Au reste il est d’une fort belle encolure et, dans son déshabillé on le prendrait presque pour Adonis l’aîné. » Le biographe de Quinault [Boscheron, 1715]s’indigne de cette peinture d’une injurieuse infidélité et à la caricature maligne il oppose le portrait du poète « Il était grand et bien fait, il avait les yeux bleus, languissants et à fleur de tête, les sourcils clairs, le front élevé, large et uni, le visage long, l’air mâle, le nez bien fait, et la bouche agréable. A l’égard de son esprit, il l’avait adroit et insinuant, tendre et passionné. Il parlait et écrivait fort juste et fort peu de gens pouvaient atteindre la délicatesse de ses expressions dans les conversations particulières. Il savait comme doit savoir un honnête homme. Il était complaisant sans bassesse, disait du bien de tout le monde, ce qui lui avait fait beaucoup d’amis. La passion qui le dominait le plus était l’amour, mais il l’a toujours conduite avec tant d’adresse qu’il se pouvait vanter avec justice qu’elle ne lui avait jamais fait faire un faux pas, malgré les emportements qu’elle inspire d’ordinaire aux autres. »

L’année 1666 fut mauvaise pour Quinault. Elle fut marquée par la chute de sa tragédie de Pausanias. Les spectateurs, qui avaient applaudi tant de personnages historiques transformés en bergers de d’Urfé ou en héros de Mlle de Scudéry, se fâchèrent de voir le fameux capitaine lacédémonien ne s’occuper que de l’amour qu’il ressent pour une jeune captive et se laisser dépouiller du commandement sans donner aucune preuve de son courage. Que s’était-il donc passé pour qu’on brulât ainsi ce qu’on avait adoré ? Molière et Boileau avaient directement engagé la guerre contre la littérature romanesque et précieuse, et une grande révolution était en train de s’accomplir dans le goût public, « L’arme puissante du ridicule combat l’influence de ces écrivains, forts de leur nombre, de leurs illustres amitiés, de l’habitude même qui avait consacré leur empire ; le bel esprit, produit de l’imitation et des salons, est vaincu par ce bon sens bourgeois auquel en avait déjà appelé Malherbe, et la supériorité des nouveaux poètes est bientôt reconnue et populaire. Nul n’aida plus à cette révolution que le jeune roi Louis XIV et c’est un de ses titres de gloire d’avoir sur ce point devancé l’opinion publique » [Deltour, p. 13-14].

 

     Boileau, dès la seconde satire, exerça ses rigueurs contre Quinault : c’est là qu’il lui lança le trait célèbre :

Si je pense exprimer un auteur sans défaut,

La raison dit Virgile, et la rime Quinault.

     Ces deux vers, devenus proverbe en naissant, portèrent le plus grand trouble dans l’esprit du poète attaqué et soulevèrent les protestations de ses amis. Les uns s’efforcèrent de démontrer que l’auteur sans défaut n’est opposé à Quinault que pour la rime ; ils soutinrent que rien n’est plus aisé que de rapporter simplement des noms, selon que la rime les présente, et que l’on pourrait dire par la même méthode :

Si je pense exprimer une Muse divine,

La raison dit Corneille, et la rime Racine.

     Les autres ne craignirent pas d’aller jusqu’à réclamer contre le satirique le secours du bras séculier, et il paraît certain que Quinault se laissa entraîner par ces maladroits amis dans une démarche inconsidérée, en demandant aux tribunaux justice d’une épigramme. Boileau n’en fit que rire, et, dans le Repas ridicule, il cribla de railleries le plan, les incidents, et les personnages de la tragédie d’Astrate, dont il met l’éloge dans la bouche d’un campagnard ignorant et arriéré, qui, après avoir blâmé l’Alexandre de Racine, s’écrie :

Les Héros chez Quinault parlent bien autrement,

Et jusqu’à je vous hais tout s’y dit tendrement,

On dit qu’on l’a drapé dans certaine satire,

Qu’un jeune homme... Ah ! je sais ce que vous voulez dire,

A répondu notre hôte, un auteur sans défaut,

La raison dit Virgile et la rime Quinault ;

Justement, à mon gré, la pièce est assez plate !

Et puis blâmer Quinault ! Avez-vous vu l’Astrate ?

C’est là ce qu’on appelle un ouvrage achevé.

Surtout l’anneau royal me semble bien trouvé.

Son sujet est conduit d’une belle manière,

Et chaque acte en sa pièce est une pièce entière.

     Boileau revint très malicieusement à la charge dans son Dialogue des Héros de romans, où les personnages de Quinault, de La Calprenède, de Mlle de Scudéry, de Gomberville, de l’abbé de Pure défilent devant Pluton et parlent, chacun dans son jargon, au Dieu des enfers stupéfait et indigné.

La plupart des critiques du XVIIIe siècle ont reproché à Boileau ses attaques contre l’auteur d’Astrate, et Voltaire dans ses efforts pour élever Quinault à la hauteur des plus grands maîtres, non seulement l’a placé dans le Temple du Goût, mais encore, soit par une crise de mauvaise humeur, soit par un caprice de mondain et par « un accès de cette fièvre d’enivrement que lui donnait toujours le souvenir des fêtes galantes et littéraires des premières années de Louis XIV » [Géruzez, p. 376] a écrit ce vers doublement inique :

Zoïle de Quinault et flatteur de Louis.

Comment Boileau, qui combattait pour que la vérité et la nature fussent substituées dans les œuvres poétiques au romanesque et à la préciosité, la raison aux faux brillant, la sincérité du sentiment aux recherches du bel esprit, aurait-il pu épargner Quinault, qui représentait au théâtre le goût à la mode ? Le censeur du Parnasse ne faisait-il pas son office en raillant les héros doucereux des tragédies de Quinault, la noblesse voluptueuse de leurs passions, les raffinements de leur langage ? Comment n’auraient-elles pas excité la bile du Satirique, ces pièces, « qui inquiétaient la vieillesse chagrine de Corneille par la vogue qui les accueillait et tenaient en échec la gloire naissante de Racine ? » [Géruzez, p. 375]. N’applaudissait-on pas l’Astrate plus vivement que l’Alexandre, et, même après le triomphe d’Andromaque, les admirateurs de Quinault ne réclamaient-ils pas encore pour lui la prééminence ? La Harpe, désireux de ne pas faire les torts de Boileau plus grands qu’ils ne sont, observe qu’il convient de ne pas oublier que, quand il se moqua de Quinault dans ses premières satires, le jeune poète n’était que l’auteur du Faux Tibérinus et d’Astrate et qu’il n’était pas encore l’écrivain élégant et pur qui a créé le drame lyrique et donné à la scène ces chefs-d’œuvre d’harmonie et d’imagination brillante, Alceste, Proserpine, Isis, Persée, Armide, grâce auxquels il restera hors de comparaison dans ce genre, comme Molière, comme La Fontaine, comme Despréaux, chacun dans le sien. La vérité est que, si Boileau n’est pas resté insensible à l’élégance aisée et au tour nombreux du style de Quinault dans ses opéras, il en réprouvait la douceur amollissante et la morale facile. Chrétien austère, il incriminait.

Ces discours sur l’amour seul roulants

Et tous ces lieux-communs de morale lubrique.

Que Lulli réchauffa des sons de sa musique. [La Harpe, "Discours sur les préjugés"]

Comme Bossuet, qui fulminait contre la corruption réduite en maximes dans les opéras de Quinault, Boileau ne voyait en lui que le poète du plaisir, des fausses tendresses, des sollicitations voluptueuses ; il fermait les yeux aux beautés nobles et viriles, qui ne manquent pas dans Alceste ou dans Armide ; il avait tort de n’y pas reconnaître l’amour présenté comme une passion terrible et funeste, un remarquable mélange de force et de sensibilité, un dialogue plein de chaleur et de véhémence, de beaux accents tragiques. L’opéra ne blessait pas moins ses principes littéraires que son austérité janséniste. Ne considérait-il pas la séparation des genres comme une loi absolue ? Aussi ne voyait-il dans l’opéra que la lutte confuse et monstrueuse de tous les arts, qu’un spectacle parlant aux yeux ou aux oreilles, rarement à l’âme. Il blâmait un vrai poète de s’abaisser à n’être que le serviteur d’un musicien, d’un machiniste, d’un maître de ballet. Il lui échappa que les drames lyriques de Quinault valent, par le talent de la composition, par la simplicité des sujets exposés avec aisance, noués et dénoués avec art, par un parfait accord d’idées entre le poète et le musicien. On l’eût profondément étonné, si l’on eût pu lui dire que les vers de Quinault survivraient à la musique de Lulli et que dans quelques années, par une exagération contraire à la sienne, on retournerait ainsi sa pensée contre lui-même :

Aux dépens du poète on n’entend plus vanter

Ces accords languissants, cette faible harmonie,

Que réchauffa Quinault du feu de son génie.

Boileau se réconcilia avec Quinault ; il goûta en lui le parfait honnête homme ; il ménagea l’influent écrivain, dont les œuvres charmaient la cour ; mais au fond il ne changea jamais d’avis ni sur les tragédies de sa jeunesse ni sur les opéras de son âge mûr. Quinault était mort, les inimitiés d’autrefois s’étaient d’ailleurs depuis longtemps changées en de bonnes relations, lorsque, dans ses Réflexions sur le rhéteur Longin, Boileau, qui ne pouvait plus être soupçonné d’aucune passion, s’exprimait ainsi : « Je ne veux point ici offenser la mémoire de M. Quinault, qui, malgré tous nos démêlés poétiques, est mort mon ami. Il avait, je l’avoue, beaucoup d’esprit et un talent particulier pour faire des vers bons à mettre en chant, mais ses vers n’étaient pas d’une grande force ni d’une grande élévation. C’était leur faiblesse même qui les rendait d’autant plus propres pour le musicien, auquel ils doivent leur principale gloire. Pour les autres pièces de théâtre qu’il a faites en fort grand nombre ; il y a longtemps qu’on ne les joue plus, et, on ne se souvient pas même qu’elles aient été faites. »

     Alarmé par le succès d’Alexandre, Quinault, plus sage que ses partisans, n’avait pas essayé de lutter contre le triomphe d’Andromaque, qui fit autant de bruit que le Cid, et il avait pris la résolution de renoncer à écrire pour le théâtre. Il abandonna donc la scène comique à Molière, la scène tragique à Racine. Tout l’avait porté à prendre cette décision. Il n’était ni ambitieux ni enclin à la jalousie : il détestait la lutte et souffrait des railleries de Boileau ; il sentait que Molière et Racine avaient pour eux à la fois la faveur populaire, la protection de Louis XIV et d’Henriette d’Orléans, les suffrages de la cour. Enfin sa famille l’exhortait à ne plus exposer son nom à la sévérité du public, son repos à la rage des cabales.

     Quinault avait épousé une jeune veuve, qui lui avait apporté en dot plus de quarante mille écus et qui lui donna cinq filles, dont il se plut à diriger lui-même l’éducation, il acheta, selon son désir, d’abord une charge de valet de chambre du roi, puis une charge d’auditeur à la chambre des comptes. En 1670 l’Académie française lui ouvrit ses portes. « Il eut, dit l’un de ses biographes, comme Regnard, le rare avantage d’être un des heureux de son siècle : mais il le fut plus encore que le poète comique il était époux et père » [Crapelet, Notice].

De 1666 à 1671 Quinault tint, pendant cinq ans, la promesse qu’il avait faite de consacrer aux soins et aux devoirs de la vie domestique le temps qu’il cessait de donner au théâtre, lorsque très-heureusement pour les lettres et pour la gloire de son nom il ne résista pas à une prière de Molière. Le roman de Psyché de La Fontaine, avait obtenu un grand succès. Molière eut la pensée d’en tirer une tragédie-ballet. Pressé par le temps, il engagea Quinault et Corneille à l’aider : car il n’avait pu faire que le premier acte, la première scène du second et la première scène du troisième. Corneille écrivit le reste du dialogue, et Quinault toutes les parties destinées à être mises en musique par Lully. Le musicien fut enchanté de son poète, et il ne voulut plus d’autre collaborateur. « Parmi tout ce qu’il y avait de poètes en ce temps-là, dit l’abbé d’Olivet [Histoire de l'Académie Française], Lully préféra Quinault dans qui se trouvaient réunies diverses qualités, dont chacune en particulier avait son prix, et dont l’assemblage faisait un homme unique en son genre : une oreille délicate pour ne choisir que des paroles harmonieuses, un goût formé à la tendresse pour varier en cent et cent manières les sentiments consacrés à cette espèce de tragédie, une grande facilité à rimer pour être toujours prêt à servir le Roi au besoin ; une docilité encore plus rare pour se conformer toujours aux idées et même au caprice du musicien. »

Il est difficile de dire quelles sont au juste les origines de l’opéra. On peut remonter jusqu’à la tragédie grecque, où le chant du chœur était accompagné d’une marche cadencée et religieuse faite pour imiter celle qu’on avait coutume d’exécuter autour des autels. La critique contemporaine a démontré que le théâtre grec contient les éléments d’arts qui peu à peu se sont développés séparément, elle a soutenu que « le drame d’Eschyle réunissait non seulement les principes de la tragédie et de la comédie proprement dites, mais encore les germes « de la comédie et de la tragédie lyriques, et même ceux de la danse exprimée et de la pantomime, c’est-à-dire, de nos ballets » (Ch. Magnin, Origines du Théâtre, p. 330). Après la chute du Monde romain, quand l’Église, qui avait contribué à détruire le théâtre antique, donna naissance au théâtre nouveau, n’est-on pas en droit de voir comme une ébauche de l’opéra futur dans le drame liturgique, qui est, à certaines fêtes, une partie même de l’office, alors que les prêtres en sont les acteurs, à une époque où le clergé, plus nombreux qu’aujourd’hui, se déploie en un ordre pompeux, et où les galeries du jubé permettent plus d’espace et de relief aux mouvements des officiants. Au douzième siècle tout un orchestre accompagne certains mystères ou drames semi-liturgiques, véritables opéras religieux, dans lesquels « le musicien et le poète semblent « s’être concertés pour aviver l’intérêt et pour atteindre à la vérité dramatique au moyen d’une musique expressive et d’une mise en scène ingénieuse » (Gustave Chouquet, Histoire de la Musique dramatique). Cependant la sécularisation du théâtre s’accomplit peu à peu, et, dès la fin du treizième siècle, il faut citer les essais de Rutebœuf et de Jean Bodel. Bientôt le trouvère artésien, Jean de la Halle, écrit le Jeu de Robin et de Marion ou le Jeu du Berger et de la Bergère, pastorale piquante, aimable mélange de dialogues en vers et de morceaux de chants, sorte de comédie à ariettes, dont on a pu dire qu’elle est le premier modèle de l’opéra comique. Le trouvère d’Arras, qui est un poète à la verve mordante, est un musicien à la mélodie naïve et franche, facile et gracieuse. Malheureusement son exemple n’est pas suivi. A mesure que les associations d’acteurs laïques, Confrères de la Passion, Clercs de la Basoche, Enfants sans Souci, se développent et s’affranchissent du joug ecclésiastique, le drame satirique se substitue au drame chanté. Alors la musique sacrée rentre dans l’Église et dans les Maîtrises des cathédrales, la musique profane se contente, sur les instruments des ménestrels, d’accompagner les romances et les chansons, de fournir aux grands comme au peuple des airs de danses, de figurer avec éclat dans les entrées royales et princières, dans les cortèges officiels, dans les solennités publiques.

     C’est en Italie, à la cour des Médicis, que le sensualisme passionné de la Renaissance s’enivre de ces représentations luxueuses, où machines, pompe théâtrale, drame et comédie, tournois et combats, vers et musique, chants et danses, tout se trouve combiné pour enchanter la cour d’un Laurent le Magnifique. Dès le quinzième siècle, papes et princes de l’Église, rois et grands seigneurs, tous aiment la comédie, les chants suaves, les concerts d’instruments, les ballets somptueux, les pantomimes réjouissantes et les brillants carrousels, font édifier des théâtres à machines, appellent de l’étranger les chanteurs et les musiciens les plus habiles. D’autre part, les poètes dramatiques italiens, admirateurs enthousiastes et exclusifs de l’antiquité, imitent la tragédie grecque et implantent sur la scène les chœurs et les sujets empruntés à la mythologie ; c’est à l’Olympe, et aux héros de la Fable qu’ils demandent les personnages de leurs allégories et de leurs intermèdes, représentations superbes, où les Dieux et les Déesses dansent et chantent au son d’instruments sonores et joyeux. Ils inventent la pastorale dramatique, dont l’Aminta du Tasse et le Pastor Fido de Guarini sont les chefs-d’œuvre. A Naples fleurit la Villanelle ; à Rome d’illustres maîtres de chapelle créent l’oratorio ; en Toscane, puis à Venise et à Mantoue, les compositeurs florentins, Rinuccini et Monteverde, en croyant retrouver la déclamation chantée des anciennes tragédies grecques, inventent le récitatif : avec eux naît vraiment le drame lyrique, et dans les grandes villes s’ouvrent les théâtres réguliers d’opéra italien.

En France depuis longtemps on goûtait les Carrousels, où les nobles luttaient d’adresse et d’esprit, et les momeries ou mascarades, qui donnaient libre carrière aux déguisements ingénieux, aux propos malins, aux danses animées et vives. Mais ces plaisirs avaient quelque chose de trop gaulois et de trop rude, lorsque l’influence et les modes italiennes, à partir des règnes de Louis XII et de Charles VIII, les transformèrent en fêtes chorégraphiques, musicales et poétiques, qui, sous les Valois, rivalisèrent d’élégance et de somptuosité avec les grands ballets aristocratiques de Florence et de Ferrare. François Ier, Henri II, Charles IX qui cultivait lui-même la poésie et la musique, se passionnaient pour le ballet et pour la mascarade Mellin de Saint-Gelais, Ronsard, Joachim du Bellay, Étienne Jodelle, Jean-Antoine de Baïf en étaient les poètes, Thibaut de Courville, qui fonda, dès 1570, à Paris, une Académie de musique, le sieur de Beaulieu, maître Simon, et divers autres artistes de la chambre du Roi en étaient les musiciens ; les meilleurs peintres et les plus habiles architectes en étaient les costumiers et les décorateurs. Lorsque Catherine de Médicis assistait au fameux ballet dansé en présence des ambassadeurs polonais, avant le départ du duc d’Anjou, et plus tard, sous Henri III, au ballet comique de la Reine ordonné par son premier valet de chambre, l’italien Baltasarini, plus connu sous le nom de Beaujoyeux, elle pouvait dire avec orgueil que tout ce qu’elle avait vu en ce genre dans le palais paternel était dépassé.

Les ballets continuent à jouir d’une faveur extrême sous Henri IV et sous Louis XIII ; Richelieu et Mazarin leur consacrent des sommes importantes ; le jeune Louis XIV en raffole, et, sous sa minorité, ces divertissements sont innombrables. Le Roi a déjà très grand air et figure avec infiniment de grâce à la tête des danseurs qu’il conduit. Benserade est chargé de composer les vers de ces ballets où se déploie un luxe inouï. « Benserade confondait presque toujours, par une allusion délicate et dont aucun poète avant lui n’avait donné l’exemple, la personne et le rôle, le caractère des personnes qui dansaient avec le caractère des personnages qu’elles représentaient. Le roi représentait-il Jupiter, les vers s’entendaient également de Jupiter et de Louis XIV, et ce dernier recevait indirectement les louanges les plus fines, les mieux appropriées » [Godefroy, Histoire, XVIIe, Les Poètes, p. 353]. Pendant vingt ans cet ingénieux rimeur, doublé d’un parfait courtisan, dirige sans rival les ballets royaux, dont Michel Lambert, Desbrosses, Cambert et Lully se disputent l’honneur de composer la musique, jusqu’au jour où l’esprit est éclipsé par le génie et où Molière remplace Benserade dans la faveur du maître.

     La première conséquence de cette vogue des ballets royaux fut d’obliger le théâtre à se régler sur le goût de la Cour et à faire une grande place aux pièces en partie déclamées, en partie chantées, embellies de machines et de décors variés. Mazarin appelle à Paris une troupe de chanteurs italiens, qui, au mois de février 1647, représentent la tragi-comédie d’Orfeo, véritable opéra, avec récitatifs et ballets. La mise en scène ne coûte pas moins de cinq cent mille livres. Pour utiliser les machines dispendieuses, qui ont servi à ce spectacle, Corneille est engagé à composer une de ces pièces, où l’on veut réunir tous les prestiges de la poésie, de la musique, de la peinture, et de la mécanique. Andromène [sic] est jouée en 1650. Quelques années plus tard, l’abbé Perrin, successeur de Voiture dans la charge d’introducteur des ambassadeurs auprès de Gaston d’Orléans, s’associe avec l’organiste Cambert et fait jouer, à Issy, chez M. de la Haye, une pièce, qui est intitulée la Pastorale et qui peut être regardée comme la première comédie française en musique. En 1660, pour les fêtes du mariage de Louis XIV, on entend au Louvre l’opéra italien de Xerxès du maître vénitien Cavalli, dont l’Hercule amoureux inaugure, le 7 février 1662, la magnifique salle des Tuileries. C’est alors que le marquis de Sourdéac se met en tête de naturaliser définitivement l’opéra chez les Français. Il vient de faire représenter dans son château de Neubourg, en Normandie, la Toison d’or, dont Corneille a écrit les vers et dont il a lui-même inventé les machines, et cette pièce, transportée sur le théâtre du Marais, a obtenu auprès des Parisiens un succès éclatant. L’excentrique marquis s’entend donc avec Perrin et Cambert, qui ont obtenu des lettres patentes les autorisant à établir à Paris une Académie, « pour y représenter et chanter en public des opéras ». Le 19 mars 1671 s’ouvre le théâtre, dont Sourdéac est le machiniste et le décorateur, Perrin le poète, Cambert le musicien et le chef d’orchestre ; on y joue la pastorale de Pomone, bientôt suivie des Peines et des Plaisirs de l’amour. « Chef d’orchestre patient et ferme, musicien dont les harmonies se rapprochent plus peut-être de l’art actuel que celles de Lully sous le rapport de l’enchaînement, compositeur fécond, Robert Cambert grandissait en talent ainsi qu’en influence. Il se disposait à faire représenter son Ariane, lorsque Lully, profitant des dissentiments qui avaient éclaté entre les divers associés-directeurs de l’Académie Royale de musique, obtint, au mois de mars 1672, et par le crédit de Mme de Montespan, le privilège accordé à l’abbé Perrin. Devenu maître absolu de ce théâtre lyrique, Lulli s’empressa d’écarter un compétiteur redoutable, et Cambert se vit réduit à passer en Angleterre, où il devint surintendant de la musique de Charles II » [Chouquet, p. 102].

   Lully propose à Quinault de passer un écrit par lequel il s’oblige de lui faire un opéra tous les ans au prix de quatre mille livres. Le poète accepte l’offre du musicien, et dès 1673, commence par Cadmus et Hermione cette collaboration incomparable qui va créer d’une manière originale et féconde un genre, qui va devenir une des gloires les plus brillantes de l’art français. Qu’est-ce donc que l’opéra, tel que le conçoit Quinault ! Ce n’est plus, comme chez les Italiens ses prédécesseurs, une œuvre hétérogène assez insignifiante au point de vue poétique et littéraire, mélange souvent confus de tous les arts qui savent imiter par les sons, par les couleurs, par les pas cadencés, par les machines, assemblages coûteux des impressions les plus agréables qui puissent flatter les sens. L’opéra de Quinault est un drame, qui commence par un prologue, sorte de cantate allégorique destinée à louer Louis XIV, une tragédie lyrique mêlée de divertissements. Le sujet est emprunté le plus souvent à la mythologie, quelquefois au merveilleux du Tasse ou de l’Arioste, comme dans Amadis, Roland, Armide. Quinault laisse la dignité de l’histoire et des héros véritables à la tragédie, il regarde l’opéra comme le pays des fictions, non seulement parce qu’il peut ainsi déployer la féerie des machines et la pompe des ballets introduits dans chaque acte, mais encore parce que le merveilleux lui permet de peindre, sous des noms fabuleux, une société qui s’admire elle-même et de faire de l’opéra le miroir où le roi et les personnages de la cour contemplent leur image idéalisée. Comme Racine, Quinault sait qu’il charmera les esprits et touchera les cœurs de son aristocratique auditoire en donnant la première place à la peinture des faiblesses du cœur excusées et anoblies ; sauf l’auteur d’Andromaque, nul au XVIIe siècle n’a mieux que l’auteur d’Armide rendu le langage de l’amour ardent ou tendre, timide ou violent. « Une intrigue nette et facile à nouer et à dénouer, dit Marmontel, des caractères simples, des incidents qui naissent d’eux-mêmes, des tableaux sans cesse variés par le moyen du clair obscur, des passions douces, quelquefois violentes, mais dont l’accès est passager, un intérêt vif et touchant, mais qui par intervalles laisse reposer l’âme, voilà les sujets que chérit la poésie lyrique et dont Quinault a fait un si beau choix. »

     Quinault a été forcé de ne pas astreindre l’opéra à la règle des trois unités ; il l’a soumis du moins à un enchaînement naturel et logique des idées, à une unité d’action rigoureuse, mais tempérée par la richesse des détails et par la variété des incidents. Après avoir commencé par imiter les Italiens en combinant l’élément comique avec l’élément tragique, il a reconnu que le goût de son époque repoussait ce mélange et il y a renoncé dès 1674, quand il donna son Alceste. Enfin il a voulu que l’opéra, comme la tragédie des poètes classiques, se proposât d’exciter la terreur, la pitié, toutes les passions de l’âme humaine, au lieu de se borner à distraire les yeux, comme une féerie, et à caresser l’oreille, comme un voluptueux concert. Bien loin d’avoir été, comme on l’a cru et comme l’orgueil égoïste de Lully le fit accroire, l’humble esclave de son collaborateur, Quinault, adroit et insinuant, sut amener le musicien à modérer sa fougue, à brider son indépendance, et à bien comprendre quel doit être le caractère de la musique scénique. Sans doute Quinault se pliait avec une patience inaltérable aux exigences de Lully : il changeait cent fois, selon la tyrannie de ses tours et ses cadences en musique, les mesures et les rimes de sa poésie ; il remettait sans cesse sur le métier ses vers, que le Florentin ne trouvait jamais assez coulants, il déployait des prodiges de persévérance et de docilité pour rendre ses phrases arrondies, mélodieuses et limpides ; on prétend qu’il poussait la complaisance jusqu’à s’interdire les terminaisons en éé et en ue que Lully ne pouvait souffrir. Mais, en échange de ces concessions, Quinault sut obtenir de Lully qu’il s’imposât la loi d’exprimer fidèlement les situations du drame, les sentiments des héros, de respecter le sens des paroles, de ne pas arrêter la marche de l’action. C’est grâce au poète que le musicien prit l’habitude de mettre en récitatifs tout ce qui se rapportait à l’action et de réserver le chant proprement dit à l’expression des sentiments.

Quinault, dit la Harpe, eut, comme Racine, ce bonheur assez rare que le dernier de ses ouvrages fût aussi le plus beau. C’est en effet après l’éclatant triomphe, que lui valut son Armide, qu’il prit la résolution de renoncer à écrire pour la scène. « Quelques auteurs, dit l’un de ses biographes, (Crapelet, notice sur Quinault) ont pensé qu’il prit cette résolution dans la crainte de rester inférieur à lui-même. Un tel excès de prudence n’est guère le propre du génie ; il faut des causes plus puissantes pour en comprimer tout-à-coup les ressorts. Il paraît plus vraisemblable que, pressé de plus en plus par les sollicitations de sa femme, qui lui avait communiqué ses sentiments religieux, il ne voulut plus composer de vers que pour chanter les louanges de Dieu ; ce qui donna occasion à Perrault de rappeler les quatre premiers vers d’un poème que Quinault avait commencé sur la destruction de l’Hérésie :

Je n’ai que trop chanté les Jeux et les Amours ;

Sur un ton plus sublime il faut nous faire entendre.

Je vous dis adieu, Muse tendre,

Je vous dis adieu pour toujours.

« Lorsque Lully connut la détermination de Quinault, il prit tous les moyens imaginables pour le faire changer de dessin, mais inutilement. Lully fit encore la musique de l’opéra d’Acis et Galatée, de la composition de Campistron, et, une année après, en 1687, il mourut, âgé seulement de cinquante-deux ans. Quinault devait bientôt le suivre et parut frappé d’une mort si prompte. Les insomnies, le dégoût, et une langueur générale précédèrent la maladie qui le mit au tombeau, le 26 novembre 1688, à l’âge de cinquante-trois ans. Il fut enterré dans l’église de Saint-Louis-en-l’île, sa paroisse. Il laissa une fortune de plus de cinq cent mille écus, et cinq filles, dont trois entrèrent au couvent. Des deux autres l’une a été mariée à M. Le Brun, auditeur à la cour des comptes, neveu du fameux peintre, et la seconde à M. Gaillard, conseiller à la cour des aides. »

On a conservé de Quinault, outre le recueil complet de ses œuvres dramatiques, des poésies diverses, dont la plus remarquable est la description de la Maison de Colbert à Sceaux. Ce petit poème, en deux chants, est rimé avec l’aisance et le tour délicat et la douce harmonie, qui sont les principales qualités de l’auteur d’Armide.

GASTON BIZOS.