Express de l'Est
Cet article curieux parut dans L’Express de l’Est le 26 novembre (anniversaire de la mort de Quinault) 1933. Les cours pour enfants pauvres à Saint-Eustache et l'avarice de Quinault sont probablement de pures inventions (deux de ses filles se sont mariées bien dotées, en 1685 et 1688). Sans parler du "riche industriel".
(26 novembre 1688)
LES MIETTES DE L’HISTOIRE
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Mort de Quinault
On ne connaît guère aujourd’hui Quinault que par ces deux vers, assez mauvais d’ailleurs, de Boileau :
Si je veux exprimer un auteur sans défaut,
La raison dit Virgile et la rime Quinault.
L’œuvre considérable de Quinault est bien au-dessus de cette méchanceté. Auteur de plusieurs comédies, de tragédies, dont quelques-uns eurent un grand succès, et auteur surtout des livrets des opéras de Lulli qui ne voulait pas d’autre auteur.
Philippe Quinault naquit à Paris en 1635. Il était le fils d’un simple boulanger et ses confrères le lui reprochèrent amèrement : leur jalousie ne trouvait pas d’autre moyen de se venger d’un talent précoce qui leur portait ombrage. Il apprit à lire dans les cours que donnaient à quelques enfants pauvres les prêtres de Saint-Eustache, sa paroisse. En suivant le catéchisme, il fit la connaissance du fils du poète alors fort estimé Tristan Lermite et allant jouer avec ce jeune camarade, il conquit l’estime du père qui lui fit partager les leçons de son fils dont il profita merveilleusement.
A 15 ans, il commençait à faire des vers et à 20 ans, il fait sa première pièce, Les Rivales.
Persuadé que s’il présentait lui-même sa pièce au Théâtre-Français, on la refuserait à cause de son jeune âge, il pria Tristan Lermite de la donner comme s’il en était l’auteur. Les Rivales, reçues d’emblée, furent jouées avec succès ; mais Tristan dévoila alors quel était le véritable auteur. Les comédiens, qui avaient promis 100 écus à Tristan, ne voulurent en donner que 50 à Quinault. L’usage était alors d’acheter les pièces qui étaient payées un prix déterminé et demeuraient la propriété des comédiens. Pour faire cesser toute discussion au sujet du paiement de la pièce Les Rivales, il fut convenu qu’on donnerait au jeune Quinault un tiers de la recette. Ce fut là l’origine de ce qu’on a appelé depuis « les droits d’auteur ».
A partir de ce moment, Quinault fit jouer en moyenne deux pièces par an ; une, La Mort de Cyrus, tragédie en cinq actes, obtint un énorme succès. Cependant, Quinault voulait avoir un métier ; il étudia le droit et se fit recevoir avocat au parlement. Il réussit aussi bien à la barre qu’au théâtre. Pendant quelque temps, il ne s’occupa que du Palais. Il eut pour client un riche industriel dont il gagna plusieurs procès et quand ce client mourut, il épousa sa veuve qui lui apporta 100.000 écus de dot, ce qui correspond[r]ait aujourd’hui à trois millions de notre monnaie.
Riche désormais, il abandonna le barreau, se remit à écrire des pièces, rencontra le musicien Lulli et gagna beaucoup d’argent.
En 1670 il fut élu de l’Académie française et se réconcilia avec Boileau. Quand il mourut en 1688, à 53 ans, il laissa une fortune considérable qui permit à ses cinq filles de se marier avantageusement, ce qu’elles n’avaient pu faire du vivant de leur père qui, très avare, refusait de les doter.
JEAN-BERNARD