Quinault et l'argent

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Voici quelques paragraphes très préliminaires sur les transactions et les investissements de Quinault, et des liens vers une liste des documents que j'ai pu consulter. Elles sont importées d'un fichier Excel, et Il manque les nombreux commentaires incorporés dans ce fichier ; le formattage est loin d'être parfait.

Rentes : les rentes que Quinault a achetées, rachetées ou vendues, y compris les augmentations de gages

Transports : le détail sur plusieurs rentes que Quinault a acquises grâce â des transports ou des échanges

Quittances : documents sur les rentes qu'il a touchées

Fichier Excel : Rentes.xlsx (mais sans les commentaires)

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Le monde de la finance est un monde que je connais mal, mais je pense que Quinault est un cas intéressant et qu’il est important de réunir les nombreux documents où il est question de ses revenus et de ses dépenses. D’origine modeste (son père était boulanger), il a pu marier richement deux de ses filles – Marie-Louise en 1685, avec une dot de 60.000 livres, et Marie en 1688, avec 80.000 livres. Ces deux dots ensemble feraient l’équivalent d’environ 1,5 millions d’euros aujourd’hui. (Selon G. Forestier, dans sa biographie de Molière de 2018, une livre des années 1650-1660 vaudrait environ 11 euros.) Par comparaison, dans 141 contrats de mariage étudiés par Dessert (Argent, pouvoir et société, p. 134), 60% des épouses de financiers apportèrent moins de 50.000 livres de dot.

J’essaierai plus tard de créer une liste des revenus qu'il aurait pu avoir en certaines années. Il faudrait prendre en compte plusieurs sources, comme ses droits d’auteur, les gages de ses charges, ses rentes et ses autres investissements, la valeur des jetons de présence de l’Académie Française et de la Petite Académie, les gratifications royales, et ce qu’il recevait de Lully et de l’imprimeur Ballard pour ses livrets. Mais commençons par ses transactions et ses investissements. Les premières dont il reste une trace datent de son mariage en 1660 avec Louise Goujon, veuve de Jacques Bouvet, mais il y en avait sans doute avant, surtout avec les comédiens pour qui il avait écrit à partir de 1653. Après tout, il était avocat, et selon certaines sources, il fut engagé par Bouvet pour l’aider à mettre de l’ordre dans ses comptes. Même si Quinault ne l’aidait pas avant sa mort, il dut s’occuper pendant plusieurs années de sa succession, au moins jusqu’en 1663 (voir la page sources, 1660-1662).

Quinault s’enrichit assez rapidement à partir des années 1660, grâce surtout à l’argent que Louise Goujon avait hérité de son premier mari. Dans le contrat de mariage de celle-ci avec Quinault, en 1660, elle apporte 40.000 livres « en communauté » (« le surplus demeurera propre à elle et aux siens »). Le futur époux promet 10.000 livres, à prendre sur ses biens « présens et advenir » ; ses biens présents étaient sans doute limités. Une partie de cet argent fut consacrée à l’achat d’une charge de valet de chambre du roi, quelques mois après le mariage. Je n’ai pas encore trouvé de document qui mentionne cet achat, mais en 1660 le prix d’une charge de valet de chambre était d’environ 15.000 ou 16.000 livres.

Quinault semble avoir utilisé les environ 25.000 livres qui restaient pour acquérir des rentes et des maisons, surtout par le moyen de transports et d’échanges. Il investira aussi, en association avec le comédien Floridor, dans une affaire de messageries entre Paris, Cahors et Sarlat (1663-1664). Nous verrons, cependant, qu’il dépensera bien davantage que 25.000 livres – 20.000 pour l’échange de 1664, qui lui permit d’acquérir une maison près de la Boucherie Saint-Honoré ; 14.000 pour une rente la même année ; 23.711 pour le transport de 1666.

Les rentes étaient essentielles pour un individu qui voulait avoir un certain statut social et des investissements sûrs. Cependant, la monarchie cherchait toujours à faire des économies, et on pouvait, par exemple, retrancher un des quatre quartiers et donc réduire une rente de 100 livres à 75 ; il arrivait aussi qu’on réduise le taux d’intérêt. Je n’ai pas trouvé assez de quittances (27 en tout – au moins une quittance pour presque toutes ces rentes, entre 1666 et 1680) pour savoir avec quelle régularité il touchait ces rentes, et on verra par la suite qu’il rachetait assez souvent une rente, pour en constituer une autre.

1660-1670

Quinault pense à se constituer des rentes peu de temps après son mariage. En juillet 1662, il échange une partie de deux maisons pour une rente de 300 livres et une autre de 66 livres 13 sols 4 deniers ; ces maisons proviennent de la succession de Jacques Bouvet. Il se constitue une autre rente, de 700 livres au denier 20 (5%), le premier janvier 1664, pour la revendre quelques mois plus tard, le 12 avril. L’année suivante, grâce à des transports, il commence à acquérir des rentes, constituées entre 1585 et 1638, à un taux plus intéressant. Celui du 18 janvier 1666 lui apporte 3.074 livres de rentes pour un prix de 23.711 livres ; il comprend sept rentes, de 50 à 1.076 livres. S’il avait acheté ces rentes au même taux que celle du premier janvier 1664, il lui aurait fallu payer plus de 60.000 livres.

Deux autres transports, en 1665 et 1669, ajoutent 700 livres de rente. Le premier était à un taux même plus intéressant que celui de 1666, mais le second au denier 18.

Il y avait sans doute un autre transport, au plus tard en 1672. En décembre de cette année, il signa deux quittances pour le premier quartier de 1673, « à cause de » deux rentes constituées le 13 juillet 1635, l’une de 200 et l’autre de 630 livres de rente. En tout, Quinault acquit 4.604 livres et 19 deniers de rente entre 1664 et 1669. S’il lui avait fallu les acheter toutes au taux courant du denier 20, cela aurait représenté un capital de plus de 90.000 livres, soit environ un million d’euros.

1670-1684

Le début des années 1670 marque un tournant dans la vie et la carrière de Quinault. Auteur couronné, il est élu à l’Académie Française en 1670 (après le 24 mars), mais quelques mois plus tard il écrit sa dernière pièce parlée, Bellérophon (créée avant le 19 janvier 1671). Le même mois paraît Psyché, dont il fit les paroles chantées, et l’année suivante il s’associe avec Lully pour créer les premiers opéras français. Il vend sa charge de valet de chambre en juillet 1671 et, presque en même temps (août) achète celle d’auditeur dans la Chambre des Comptes.

Il dut payer cette charge 41.500 livres, quatre mois après avoir remboursé une rente de 27.000, constituée en novembre 1670 pour financer l’achat d’une maison (voir plus loin pour ses transactions immobilières). On voit bien que ses ressources sont considérables, et elles vont augmenter. Je parlerai plus loin des augmentations de ses gages) comme Auditeur, qui sont une sort de rente, mais parlons d’abord de ses autres rentes.

Quinault continue à acheter des rentes dans les années 1670 et 1680, presque toutes en vue des dots de ses filles, Marie-Louise et Marie, qui se marieront en 1685 et 1688. Pour comprendre ces transactions il est plus facile de parler du principal de chaque rente, puisque ce sera le principal qui sera mentionné dans les contrats de mariage. Toutes les rentes constituées entre 1670 et 1684 seront rachetées, pour financer la constitution de plusieurs rentes en mai et juillet 1684. (Il conserve la plupart des rentes acquises dans les transports des années 1660, à un prix nettement inférieur.)

Par exemple, en mars 1682, Quinault rachète des rentes avec un principal de 5.600 et 16.000 livres, constituées en 1677 et en 1679. Un mois plus tard, en avril 1682, il se constitue des rentes avec un principal de 6.000 et 16.000 livres. Celle de 6.000 sera rachetée en avril 1684, trois semaines avant la dépense de 8.424 pour des augmentations de gages qui feront partie de la dot de 1685. Celle de 16.000 sera rachetée en juillet 1684, moins d’un mois avant la constitution d’une rente avec un principal de 30.600 livres, qui fera partie de la dot de 1688. La veille, le 6 juillet 1684, Quinault avait racheté une rente constituée en août 1681, avec un principal de 17.000 livres. L’argent pour la constitution d’août 1681 vient vraisemblablement d’une rente de 19.362 livres rachetée en mai de la même année ; je ne sais pas quand cette rente fut constituée.

Il semble évident que ces 33.000 livres (16.000 + 17.000) ont été utilisées pour financer la rente de 30.600 pour le mariage de 1688. Pour le reste de celui de 1685 (à part les augmentations de gages de 8.424 livres), deux rentes avec un principal de 10.800 et 7.920 sont constituées en mai 1684. Une partie du financement de ces 18.720 livres vient clairement du rachat en avril d’une rente avec un principal de 4.400 livres, constituée en 1682 ; le reste pourrait venir d’une transaction que j’ignore ou d’autres revenus du couple (gages, rentes, gratifications, paiements de Ballard et de Lully, etc.).

1684-1688

Après le mariage de sa fille ainée en 1685, Quinault acheta deux autres rentes, en 1686 et 1687, sans doute pour profiter du taux exceptionnel au denier 16 proposé par les États de Bretagne (un édit de 1665 avait établi un taux au denier 20 pour le royaume en général). Chaque rente était pour mille livres, avec un principal de 16.000 livres. Une d’elle, et probablement l’autre, fut partiellement rachetée par sa veuve en 1689, et ce qui restait des deux rentes fut remboursé en 1720.

En fait, ce taux était si exceptionnel qu’il semble y avoir eu une conversion obligatoire du denier 16 au denier 20. L’inventaire après décès de Louise Goujon (1710) donne le détail de cette conversion, détails qui figurent dans une quittance datée du 23 janvier 1689, que je n’ai pas encore vue. Les registres du notaire (Simon Mouffle) pour le début de l’année contiennent au moins une centaine d’actes similaires, où on trouve des noms comme Lambert de Thorigny et Madeleine Lambert, veuve de Lully.

Dans ce qui semble être la dernière transaction de cette sorte avant la mort de Quinault, il vend le 28 août 1687 à Madeleine Lambert, veuve de Lully, une rente de 400 livres au principal de 9.600 livres (denier 24). C’était peut-être pour lui permettre d’acheter la rente du 20 août précédent sur les États de Bretagne. La rente sera rachetée en deux parties, 250 livres le 10 mai 1688 et 150 le 5 janvier 1689. Quinault, probablement malade, n’a pas signé le contrat de mai 1688.

Maisons

On connaît six adresses pour Quinault et sa famille, mais peu de chose sur comment il a acheté ou loué ses logements. Dans les premières années après son mariage, il habite la maison héritée de Jacques Bouvet, rue de la Grande Truanderie, et il passera les dix dernières années de sa vie Île Saint-Louis. Entre 1664 et 1679, environ, il demeurera dans le Marais : rue de Moussy, rue Saint-Martin, rue Sainte-Croix de la Bretonnerie et rue Neuve St-Merri. Il acheta sans doute la maison Île Saint-Louis, puisque sa fille Marie y habitera après la mort de son père. Les autres étaient peut-être des locations.

On sait qu’il a acheté au moins deux maisons. La première était près de la Boucherie Saint-Honoré, acquise grâce à un échange contre mille livres de rente en 1664. Elle fit partie de la dot de Marie-Louise Quinault en 1685, et son mari Charles Le Brun s’en déclara propriétaire en 1701 (l’adresse est rue Saint-Honoré). Cependant, le couple demeurait près des Fossés Saint-Victor, dans une maison qui avait appartenu à Charles Le Brun le peintre, oncle de l’époux de Marie-Louise.

La seconde, rue Neuve-des-Bons-Enfants (actuelle rue Radziwill), fut achetée en novembre 1670 et louée pendant un certain temps. Elle fit partie de la dot de Marie Quinault en 1688, mais il n’est pas certain qu’elle y ait vécu, puisqu’on la trouve dans la maison de l’Île Saint-Louis en décembre 1688. Pour l’achat de 1670, Quinault et sa femme avaient vendu une rente de 27.000 livres, qu’ils ont pu racheter en avril 1671, quatre mois avant l’achat de la charge d’Auditeur des Comptes.

Augmentations de gages

On peut ajouter aux rentes les gages et augmentations de gages de Quinault comme auditeur de la Chambre des Comptes. Il recevaient des gages qui, comme dans le cas d’une rente, représentaient un pourcentage du prix payé pour la charge. Le roi « augmentait » les gages plusieurs fois pendant le siècle, ce qui voulait dire que l’officier devait augmenter son capital, ce qui revenait à acheter une rente ; selon Dessert, p. 23, cela « correspond purement et simplement à un accroissement légal du prix de leur office ». C’était le cas pour Quinault en 1674, en 1677 et en 1683.

Je n’ai pas trouvé de quittance pour ces gages, mais elles étaient sans doute supérieures au montant des augmentations. En 1679, il rachète les augmentations de 1674 et de 1677 ; une quittance du 27 juillet, en deux parties, est pour le remboursement (1) de la somme de 6.820 livres 2 sols 6 deniers pour jouir de trois quartiers de 648 livres 13 sols 6 deniers d'augmentations de Gages, et (2) de la somme de 4.200 livres pour jouir de trois quartiers de 400 livres d'augmentations de Gages. Ces quittances précisent que les augmentations font partie d'un million de livres créé par des édits de janvier et de décembre 1674.

Le contrat de mariage de Marie-Louise Quinault et Charles Le Brun, en 1685, comprend, comme partie de la dot de la future, 468 livres, faisant trois quartiers de 624 livres d’augmentations héréditaires créées par un édit d’octobre 1683, « ainsy qu’il est porté en la quittance de finance de la somme de 8.424 livres » datée du 30 avril 1684. Ces augmentations, créées par un édit d'octobre 1683, sont mentionnées dans l’acte du 17 décembre 1688 qui accorde à la veuve de Quinault la jouissance de ses biens.