Victor Fournel

Dans ses Contemporains de Molière (Paris, 1863-1875, 3 vol.), Victor Fournel parle souvent de Quinault, qu'il connaissait bien. Il édita son Théâtre choisi en 1882, avec une bonne présentation de la vie et de l'oeuvre de notre poète. Une notice plus courte parut en 1856 dans la Nouvelle biographie générale.

Le premier volume est consacré aux comédies jouées sur le théâtre de l'Hôtel de Bourgogne. Il commence par des extraits assez fournis de L'Amant indiscret (1654), précédés par quelques paragraphes sur les comédies de Quinault, par une analyse brève de la pièce et par une comparaison avec L'Étourdi de Molière (p. 1-58).

La plupart du volume deux (p. 171-666) est consacrée au ballet de cour. Fournel était un des rares au dix-neuvième siècle à comprendre que le ballet « fait partie essentielle de l’histoire du théâtre et de l’histoire des mœurs à cette époque » (p. 173). Il ajoute plus loin que les ballets « forment à eux seuls une branche importante de la littérature dramatique au temps de Molière, un genre spécial, très-en vogue et très-en vue, qu’il a d’ailleurs souvent abordé lui-même » (p. 218). Il parle peu de Quinault, même dans la notice du Triomphe de l'Amour ; il ne le mentionne même pas dans sa présentation du Ballet des Muses ni dans celle du Carnaval Mascarade.

Le troisième volume, consacré au Théâtre du Marais, comprend le prologue (acte I) et la comédie Le Docteur de verre de La Comédie sans comédie (1665 ; p. 71-103). L'introduction au volume cite la lettre où Pierre Corneille mentionne Quinault comme un des deux dramaturges qui pourraient porter secours au Marais.


VOLUME I

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   Quinault est plus connu par les sarcasmes de Boileau que par ses propres écrits. On ne le lit plus guère, et pourtant il a gardé la place qu'il mérite dans notre histoire littéraire ; sa réputation a fini par triompher des attaques redoutables qu'elle avait eues à subir. Il serait superflu d'entreprendre aujourd'hui sa réhabilitation, et de plaider méthodiquement sa cause contre ses détracteurs : Quinault nous offre un exemple de la force victorieuse du vrai talent, auquel appartient toujours le succès définitif, et de l'inutilité des critiques les plus spirituelles et les plus persistantes, dirigées par les plumes les mieux autorisées, contre les écrivains d'une réelle valeur. Sans admettre le mot de Voltaire, qui appelle Boileau « Zoïle de Quinault », — car c'est la jalousie qui fait les Zoïles, et nous ne voyons pas trop comment Boileau eût pu être jaloux de Quinault, qui n'a d'ailleurs rien de commun avec Homère, — nous croyons que ce dénigrement excessif fut l'une des principales erreurs du satirique, et il l'a implicitement confessé lui-même dans une lettre à Racine (1687) et dans la préface des dernières éditions de ses œuvres. Remarquons du moins, eu guise de circonstance très atténuante, que, lorsqu'il l'attaqua pour la première fois, dans sa deuxième satire (1664), Quinault n'avait encore donné aucun de ses opéras, ni même sa comédie de la Mère coquette, et qu'il était connu seulement par une douzaine de pièces sur la plupart desquelles les sarcasmes de Boileau pouvaient tomber sans trop d'injustice. Plus tard, l'habitude, et aussi, il nous sera bien permis de le dire, en nous appuyant de plusieurs témoignages contemporains, les exigences de la rime, cette quinteuse dont il n'était pas toujours maître, contribuèrent à le faire poursuivre comme il avait commencé. Mais il serait injuste d'en rechercher la cause dans ce seul motif : elle est encore plus sans doute, sinon dans les raisons purement littéraires par lesquelles La Harpe a cherché à expliquer cette opiniâtre hostilité, au moins dans des raisons morales, fort puissantes sur le sévère esprit de Boileau. Il a dit lui-même le derni.er mot de ses attaques, quand il a parlé de

… ces lieux communs de morale lubrique

Que Lully réchauffa des sous de sa musique.

La vie de Philippe Quinault se trouve partout, et nous n'en parlerons pas. Ses pièces sont au nombre de trente et une, dont dix-sept comédies, tragédies et tragi-comédies, et quatorze opéras. Dans une liste si considérable, nous ne pouvons nous occuper que des comédies, qui seules, d'ailleurs, se rattachent au sujet de ce recueil. C'est la partie la moins importante de ses œuvres : il n'y en a que quatre.

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    — Les Rivales, cinq actes, en vers, jouée à l'hôtel de Bourgogne en 1653 (Paris, Guill. de Luynes, 1661, in-12), œuvre romanesque, assez intéressante, et qui méritait d'attirer l'attention, comme début dramatique d'un poète de dix-huit ans. On la désigne quelquefois sous le titre de tragi-comédie. C'est à la première représentation des Rivales que se rattache un fait important dans l'histoire du théâtre : l'établissement du droit d'auteur, basé sur le neuvième de la recette de chaque représentation, au lieu du prix fixe qu'on payait jusqu'alors. Les Rivales reproduisent le sujet et une grande partie de l'intrigue des Pucelles, comédie de Rotrou.

    — L'amant indiscret, ou le Maître étourdi, cinq actes, en vers, jouée à l'hôtel de Bourgogne, en 1654, imprimée seulement dix ans après (A Rouen, et se vend à Paris, chez Guill. de Luynes, 1664, in-12). Telle est la date donnée par tous les bibliographes du théâtre, de Beauchamps, de La Vallière, Mouhy, etc. Le catalogue Soleinnes seul indique une édition chez Toussaint Quinet en 1656 ; mais c'est peut-être une erreur typographique par l'interversion des deux derniers chiffres. En tout cas, je n'ai pu trouver d'édition antérieure à celle de 1664, et l'absence de privilège ne m'a pas permis de vérifier si c'est bien réellement la première.

    — La Comédie sans comédie, cinq actes, en vers, jouée au Marais en 1655 (Guill. de Luynes, in-12 1657). Elle contient quatre autres pièces de diverse nature, et représente ainsi les principaux genres du théâtre : tragédie, tragicomédie, comédie et pastorale. Nous en reparlerons plus longuement dans le volume de ce recueil consacré au théâtre du Marais, où nous retrouverons Quinault.

   — La Mère coquette, ou les Amants brouillés, cinq actes, eu vers, jouée à l'hôtel de Bourgogne en 1664, imprimée en 1665, Paris, in-12. Beauchamps ne donne pas de date ; le catalogue Soleinnes n'indique pas d'éditions avant celle de M. David, 1705. C'est le chef-d'œuvre comique de l'auteur et l'un des chefs-d'œuvre de notre scène, où elle est restée au répertoire. Elle précéda de très-peu de temps la pièce du même titre de Visé, représentée également avec un grand succès, sur le théâtre du Palais-Royal. Dans sa préface, de Visé prétend que l'idée première et l'invention du sujet lui appartiennent, et il se plaint d'avoir été dévalisé par Quinault, à qui il en avait fait confidence et qui se hâta de prendre les devants. Malgré les mesures prises par Quinault pour prévenir les effets de cette accusation, et quoique de Visé, comme nous le verrons plusieurs fois dans le cours de cet ouvrage, soit fort suspect lui-même sur les questions de plagiat, les détails que nous avons sur cette affaire semblent nous autoriser à croire que l'assertion de ce dernier n'est pas une calomnie.

   Notre choix étant limité entre l'Amant indiscret et les Rivales, puisque, des deux autres comédies, l'une a été représentée au Marais, et la seconde est restée au répertoire, nous donnons, au moins dans sa plus grande partie, l'Amant indiscret, où l'on trouve quelques détails de mœurs assez curieux, et qui offre d'ailleurs matière à d'intéressantes comparaisons avec une pièce de Molière. « L'Amant indiscret, lit-on dans le Dictionnaire des théâtres de Léris, a quelque rapport avec l'Étourdi de Molière. » C'est trop peu

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dire : l'analogie de la conception du rôle fondamental, et même de quelques détails, est telle qu'il est impossible de n'en être pas frappé tout d'abord. Ce n'est pas le même sujet, si l'on fait consister le sujet dans les incidents, mais c'est la même idée. Dans l'une comme dans l'autre pièce, il s'agit d'un maître étourdi, qui semble prendre à tâche de détruire chacune des inventions que son valet accumule pour lui rendre service. La ressemblance serait encore plus grande, si la pièce de Quinault portait aussi la même étiquette que celle de Molière : or on pourrait soupçonner qu'on la désignait habituellement ainsi, car Chappuzeau la range sous le titre de l'Etourdi, dans son Théâtre français (1674, in-12).

    Auquel des deux appartient l'idée originale ? Quel est l'inventeur et quel est le plagiaire ? C'est ce qu'il n'est pas aisé de déterminer. En tout cas, ce n'est pas Molière, car si son Étourdi ne fut joué à Paris que le 3 décembre 1658, il l'avait été à Lyon dès 1653 : il est vrai qu'on ignore jusqu'à quel point il a pu modifier sa comédie dans l'intervalle. D'un autre côté, il est difficile d'admettre que Quinault ait pu avoir connaissance assez à temps d'une pièce représentée en province et non imprimée, pour en faire jouer une en cinq actes et en vers sur le même sujet, moins d'un an après ; ce qui, en tenant compte des délais ordinaires de réception et de répétition, supposerait de sa part une rapidité de composition bien extraordinaire. Sans doute ce que nous avons dit tout à l'heure à propos de la Mère coquette et des réclamations de Visé, est une présomption défavorable à Quinault, mais, dans le cas présent, il est plus naturel de croire qu'ils auront trouvé tous deux dans un même imbroglio étranger l'idée de leur pièce. Celle de Molière est tirée de l'Inavvertito de Nicolo Barbieri1. Si ce n'est de la même œuvre, c'est de quelque autre tout à fait analogue, comme il y en a tant sur la scène italienne, que s'est inspiré Quinault.

   Le titre de cette pièce pourrait tromper sur l'intention de l'auteur. Ce qu'il a voulu mettre en scène, c'est moins un amant indiscret, dans le sens ordinaire du mot, qu'un amant étourdi, poussant sa pétulante candeur jusqu'à une sorte de niaiserie. M. Auger dit, dans son édition de Molière, que cette comédie « est dénuée de toute espèce de mérite », et les frères Parfaict s'expriment à peu près de même. On pourra juger, en la lisant, du crédit que mérite une critique si sommaire et si dédaigneuse. A coup sûr, l'Amant indiscret ne vaut pas le Misanthrope, ni même l’Etourdi ; est-ce une raison pour lui refuser les qualités inférieures qu'elle possède ? Le style en est faible, la versification molle et souvent plate ; mais l'œuvre est spirituelle, l'intrigue amusante et vivement conduite. Le valet Philipin fait preuve de beaucoup d’imagination ; Lucresse est une maîtresse fille ; quant à la mère, il est impossible de se laisser tromper avec plus d'abandon et de se montrer plus commode pour faciliter le dénouement. Quelle que soit la valeur de la pièce, il n'est pas sans intérêt de connaître le point de départ de

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Quinault, et de constater la distance qui sépare ses premiers ouvrages de Roland et d’Armide. Elle obtint d'ailleurs un grand succès, constaté dans sa dédicace à Mgr le duc de Caudale et de la Valette, et dont Perrault a rendu aussi témoignage dans une anecdote de ses Hommes illustres (t. I, p. 86).

L'édition originale de l'Amant indiscret est très-rare, et elle n'a pas été reproduite dans tous les recueils des œuvres de Quinault.

1. On peut voir l'analyse de l’Innavvertito (1629) dans le tome I des Œuvres de Molière, par M. Taschereau (1823, in-8°, p. 165). Molière y a beaucoup plus puisé que Quinault, surtout dans la partie purement romanesque de la fable. J'ai indiqué en note quelques unes des imitations de notre auteur les plus saillantes.


VOLUME II

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Presque tous ses vers pour le roi ne sont que des exhortations à l’amour, ou l’apothéose plus ou moins voilée de ses tendres faiblesses. On y trouve par anticipation la facile morale de Quinault. Mais c’est à la fois celle de tous les poètes de cour et de presque tous les ballets.

[...]

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Lors de l’établissement de l’Académie royale de musique, le ballet passa sur ce théâtre, mais en se transformant. Jusque-là il avait été un divertissement aristocratique et privé. Avant la fondation de l’0pèra, les troupes dramatiques prenaient sans doute quelquefois part à l’exécution des ballets, mais en se rendant elles-mêmes chez les princes ou les riches particuliers qui les donnaient, et non en les représentant dans leurs propres salles. Il devait en être bientôt autrement, et ce divertissement, souvent intercalé d’abord dans les entr’actes des pièces régulières, allait devenir un nouveau genre dramatique d’un caractère spécial, formant une action suivie, comme la comédie, et un spectacle théâtral, comme l’Opéra. En 1672, Quinault imagina une œuvre mixte avec ses Fêtes de l'Amour et de Bacchus, où les entrées de ballet se mêlent au développement de la pastorale. Le Triomphe de l’Amour, représenté en 1681 à Saint-Germain devant le roi, joignait aux vers pour les personnages, faits par Benserade, une sorte d’opéra, de pièce dialoguée et chantée, dont Quinault était encore l'auteur, et il acheva par son succès le triomphe du nouveau genre. Dès lors la danse, qui était autrefois la partie principale, la seule essentielle, ne fut plus que l’accessoire ; elle dut se subordonner au chant et se résoudre à ne plus servir que d'intermède.

[...]

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[…] pour remplir le sujet proprement dit, on lui [à Benserade] adjoignit Quinault, alors dans sa plus grande vogue, car on voulait faire du Triomphe de l’Amour un divertissement complet et grandiose, qui réunit les charmes de l’opéra à ceux du ballet, et fondit pour ainsi dire l’ancien et le nouveau genre en un seul.

VOLUME III

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   Nous avons donné, dans le premier volume de ce recueil, une notice biographique sur Quinault, et n'avons pas à y revenir. Il suffira de parler ici de la Comédie sans comédie.

   La Comédie sans comédie, jouée au théâtre du Marais en 1654, et non en 1655, comme le disent les frères Parfaict, ni, encore moins, en 1656, comme l'écrit La Vallière, parut chez Guillaume de Luyne, 1657, in-12 (privilège du 16 juin, achevé d'imprimer le dernier juillet). Elle est dédiée à Mgr le marquis de la Meilleraye, grand maître de l'artillerie. C'est une pièce d'un genre nouveau, ou plutôt une réunion de pièces détachées, qui ne sont reliées entre elles que par le prologue, qualifié d'acte I, et quelques vers en tête du second acte et à la lui du dernier. Elle a été composée dans le but évident de faire une sorte d’exhibition pittoresque de la troupe du Marais, et de lui permettre de montrer ses talents dans les genres les plus divers. Quinault paraît s'être chargé de remplir l'office d'introducteur et de présenter les comédiens au public, en les faisant valoir sous toutes leurs faces. Un passage du premier acte (scène V) vient appuyer cette supposition, suggérée tout naturellement par la lecture de l'œuvre, qui ressemble à une pièce de réouverture.

   Quinault ne s'est pas mis en grands frais d'invention pour justifier cet ambigu dramatique, où l'on voit défiler tour à tour une pastorale, une comédie, une tragédie et même une tragi-comédie mêlée de chants et de machines, qui est un véritable essai d'opéra ; mais, tel quel, l'ouvrage a du plaire aux spectateurs par cette variété, si décousue qu'elle soit, aussi bien que par les détails intimes et curieux qu'il donne au début sur les acteurs les plus aimés du Marais. Déjà, en 1633 et 1634, Gougenot et Scudéry, dans leurs Comédies des comédiens, avaient mis en scène des acteurs sous leurs véritables noms, comme Molière allait le faire bientôt encore dans l'Impromptu de Versailles. Les mêmes, ainsi que Rotrou, dans le Véritable saint Genest ; Gillet de la Tessonnerie, dans le Triomphe des cinq passions, et quelques autres, avaient offert l'exemple d'une ou de plusieurs pièces intercalées dans le cadre primitif. Il ne faudrait donc pas prendre absolument à la rigueur ce que

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nous avons dit plus haut : que la Comédie sans comédie est d'un genre nouveau. Mais les différences entre cet ouvrage et les précédents n'en restent pas moins notables, et Quinault surtout est à peu près le premier qui ait réuni dans une seule pièce des échantillons de toutes les familles dramatiques. Il fut imité à son tour, et dix-huit ans plus tard, sur le même théâtre, Montfleury donnait une composition plus bizarre encore : l’Ambigu comique, où la comédie alterne, dans les intermèdes, avec la tragédie.

    Nous laissons de côté ici les trois actes, — ou plutôt les trois ouvrages, puisque chaque acte forme un tout isolé, — qui ne rentrent pas dans la spécialité de ce recueil. Le premier de ces ouvrages, ou le deuxième acte de la Comédie sans comédie, est la pastorale de Clomire (1) ; on y trouve les personnages habituels du genre, les bergers, les bergères et les satyres. Écrite d'un style harmonieux et facile, elle renferme quelques scènes charmantes et des détails d'une délicatesse ingénieuse. Le deuxième (acte IV) est la tragédie de Clorinde, tirée du Tasse. Le troisième (acte V) est la tragi-comédie d'Armide et Renaud, également tirée de la Jérusalem délivrée. On sait que l'auteur composa plus tard sous le même titre un opéra, joué en 1686 : il y profita de cette ébauche primitive du sujet, qui devint, avec beaucoup d'améliorations, le second acte de son opéra. Là le rythme et la douceur du style annoncent déjà Quinault : c'est surtout dans l'opéra et la pastorale qu'on peut mesurer le progrès qu'il avait fait d'une pièce à l'autre, car la Comédie sans comédie suivit immédiatement l’Amant indiscret.

    Les deux actes que nous reproduisons, c'est-à-dire le premier, qui est en réalité un prologue, comme nous l'avons dit déjà, et le troisième, ou la petite comédie burlesque du Docteur de verre, forment un tout complet et isolé. L'idée du Docteur de verre a été probablement inspirée à Quinault par une Nouvelle de Cervantes : le Licencié Vidriera, ou Le Licencié de verre, qui roule sur un sujet analogue, mais traité avec beaucoup plus de développement et d'une façon tout à lait différente dans les détails. Le type du licencié Vidriera fut, dit-on, l'écrivain et poète latin Gaspard Barlœus, des Pays-Bas, contemporain de Cervantes, qui était possédé de la plaisante folie prêtée par celui-ci à son héros. Comme pour le docteur de Quinault, c'est l'amour qui est cause de la folie du licencié Vidriera; une dame, éprise de sa personne, lui a fait prendre un philtre, à la suite duquel il a perdu la raison:

    « Le malheureux se figura qu'il était de verre, dit Cervantes, et telle fut en lui l'intensité de cette croyance que, sitôt qu'on l'approchait, il jetait les hauts cris, et d'une voix suppliante priait qu'on ne le touchât point, parl a raison qu'il n'était pas fait comme les autres hommes, mais réellement et véritablement tout de verre, des pieds à la tête. Pour le tirer de cette hallucination, sans avoir égard à ses cris et à ses prières, beaucoup le prirent entre leurs bras, lui disant qu'il voyait bien son erreur, puisqu'il ne se

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cassait point, quoi qu'on le touchât et qu'on le secouât. Mais tout ce qu'on y gagnait, c'est que le pauvre fou se jetait et se roulait par terre en poussant mille cris : il fallait le porter dans sa chambre, où il restait profondément évanoui pendant trois ou quatre heures, etc., etc. »

    On sait combien la littérature espagnole était mise alors à contribution par notre théâtre. Les Nouvelles de Cervantes, en particulier, avaient déjà été exploitées par un assez grand nombre d'écrivains français, et Quinault connaissait assurément le Licencié Vidriera.

    Ces deux actes sont d'un style assez aisé et offrent quelques traits comiques, mais le fond en est fort peu de chose. Ils n'offrent, à vrai dire, ni intrigue, ni situation, ni caractères ; seulement le type du pédant se trouve esquissé sommairement dans le Docteur de verre. Nous n'avons reproduit cette farce sans vraisemblance, sinon sans gaieté, que parce qu'elle était forcément amenée par la publication du prologue, très-curieux et digne d'être lu, au moins pour ses renseignements sur la vie, les mœurs et les talents de quelques comédiens célèbres.

1. Et non de Cléonice, comme le disent à tort les frères Parfaict et Léris dans son Dictionnaire des théâtres.